Le chef-vétérinaire du gouvernement mis en cause

Épizootie de la fièvre aphteuse

  • Des pressions exercées sur le chef-vétérinaire du gouvernement pour laisser les animaux malades entrer à Maurice

Négligences, laxisme et pressions politiques sont parmi les causes principales de la propagation de la fièvre aphteuse sur le sol mauricien et rodriguais en juillet et août 2016. Cette semaine, le Fact-Finding Committee présidé par la magistrate Hamuth-Laulloo a soumis son rapport au ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun, et ce dernier a déposé une copie au Parlement. Un rapport qui vient surtout pointer du doigt plusieurs négligences du service vétérinaire de Réduit.  Un aspect sur lequel nous avons déjà commenté l’an dernier pendant que l’épidémie faisait rage.

Marwan Dawood

 

Le secteur de l’élevage à Maurice et à Rodrigues a beaucoup souffert ces derniers mois avec l’épizootie de la fièvre aphteuse l’année dernière. Les causes de cette propagation demeuraient jusqu’à mardi dernier inconnues mais le rapport du Fact-Finding Committee présidé par la magistrate Hamuth-Laulloo semble apporter la lumière sur l’épizootie. Dans le rapport, plusieurs personnes, à Rodrigues comme à Maurice, sont pointées du doigt, notamment les vétérinaires J.M. Samoisy et Karen Samoisy à Rodrigues, et le Dr Meenowah à Maurice.

Tout commence le 7 juillet 2016 à Roseaux dans le nord de Rodrigues, où le premier animal infecté est apparu. Appelé sur place, le Dr J. M. Samoisy va diagnostiquer un empoisonnement à l’animal mais le lendemain, soit le 8 juillet, deux nouveaux cas sont apparus où les bœufs avaient de l’écume au niveau de la bouche. Le 11 juillet, un quatrième cas est apparu et le 15 juillet, six nouveaux cas sont apparus dans les régions de Roseaux, Terre-Rouge et Vanguard.

Selon le rapport, le chef-vétérinaire du ministère de l’Agro-Industrie à Maurice a été informé des différents cas mais le Dr Meenowah « did not give due consideration to the request ». Le Dr J. M. Samoisy affirme même devant le comité que des photos des animaux malades ont été envoyées  au Dr Meenowah mais en vain. Quelques jours plus tard, soit le 20 juillet, le Dr Karen Samoisy, épouse du Dr J. M. Samoisy, est arrivée à Maurice avec des échantillons de sang. Elle fut la première à suspecter une probable présence de la fièvre aphteuse à Maurice. Mais le lendemain, soit le 21 juillet, les résultats tombent et la présence du virus causant cette maladie est « ruled out ». Le rapport enfonce encore plus le Dr Meenowah quand il révèle qu’au 25 juillet, 62 cas d’infections avaient été répertoriés à Rodrigues et que le vétérinaire mauricien est resté sans réagir. Des tests sont effectués dans les fermes infectées à Rodrigues et les résultats tombent le 27 juillet : « not conclusive of Foot and Mouth disease in the blood tests ».

 

La cargaison de l’apocalypse

Pendant que l’épizootie se propageait à Rodrigues, une cargaison de 82 bœufs, 101 moutons et 140 chèvres quitte Rodrigues et arrive à Maurice le 15 juillet. Selon le rapport  : « Dr J.M. Samoisy failed in his duty to draw the attention of Division of Veterinary Services concerning the shipment of the 13th July ». Il est déjà trop tard, ces animaux sont repartis dans 18 fermes dans les alentours du port, soit à Cité La Cure, Vallée-des-Prêtres, Terre-Rouge et Notre Dame. À la fin de juillet, la maladie avait déjà atteint Rodrigues en entier. Ce n’est que le 26 juillet qu’une décision est prise à Maurice pour envoyer deux vétérinaires et un vétérinaire épidémiologiste de la Commission de l’océan Indien (COI) à Rodrigues, soit 12 jours après que les premiers soupçons de la fièvre aphteuse ont été éveillés.  Entretemps, le Dr Meenowah ordonne que la cargaison attendue à Maurice le 30 juillet ne quitte pas Port Mathurin.

 

Pressions politiques sur le Dr Meenowah

C’est alors que le rapport parle de pressions politiques exercées sur le Dr Meenowah pour que ce dernier laisse partir le MV Anna de Rodrigues, le 29 juillet. On apprend également que des bouchers de l’île Maurice qui avaient auparavant acheté des bœufs ont aussi fait pression pour que le vétérinaire revoie sa décision. Ce dernier cèdera et reverra sa décision sous pression. Le 1er août 2016, les premières indications des tests sanguins révèlent qu’effectivement les animaux sont infectés par le virus de la fièvre aphteuse et ce n’est qu’après ces résultats que les vétérinaires à Maurice réalisent le danger de la cargaison du 15 juillet, mais il est déjà trop tard. 24 jours sont passés depuis le premier cas et le rapport affirme que si les autorités avaient agi promptement, basés sur les signes du premier jour, le contingent du 13 juillet n’aurait jamais dû arriver à Maurice.

 

L’importation de la viande congelée de l’Inde mis en cause

Trouver les raisons qui ont conduit à un tel désastre, à Rodrigues comme à Maurice, ressemblait à trouver une aiguille dans une botte de foin mais le comité a réussi à trouver un élément qui, selon eux, aurait pu introduire ce virus sur le sol mauricien : le virus qui serait présent dans de la viande congelée importée de l’Inde.  Cette pratique existe depuis 1983 et il n’y a jamais eu de cas où des maladies ont été transmises par de la viande en provenance de l’Inde.  Mais on apprend qu’une décision du cabinet ministériel en 2009 a changé les règlements. « Products from the Agricultural Production Export Development Authority will automatically be authorised to export meat to Mauritius » et à 2009, ils étaient 20 compagnies indienne à exporter de la viande à Maurice.

«It is very disturbing that the veterinary import conditions imposed by the Head Veterinary Services do not include the import clause reaching to maturation of meat prior to deboning. This clause is present in the World Organisation for Animal Health terrestrial code for guidance to Chief Veterinary Officers and it ensures that Foot and Mouth Disease virus in meat is killed before processed and stored pending export », mentionne le rapport qui poursuit ainsi : « On the whole, the committee holds the view that the found virus most probably entered Mauritius via imported frozen buffalo meat from India because of lack of effective control on the part of the Division of Veterinary Services, to regularly inspect the meat establishments and to impose appropriate conditions although in the present outbreak of the disease, the virus came back from Rodrigues will be seen ».

Pour sa part, le ministre de l’Agro-Industrie dit devant le comité n’avoir rien changé dans les procédures car il ne voulait pas brusquer les Indiens en leur montrant que l’île Maurice a un manque de confiance dans les inspections en Inde.

 

Le cas Socovia

Indéniablement, le rapport fait aussi état de la ferme Socovia, touchée elle aussi par la propagation de cette maladie. Il y a eu 145 bœufs morts sur cette ferme et le comité mis sur place pour la gestion de cette maladie avait jugé « unnecessary » d’installer un barrage routier à proximité de cette ferme pour interdire les va-et-vient et éviter ainsi toute contamination. De plus, on apprend que les vaccins importés ont été refusés à la ferme sous prétexte que ce sont uniquement les officiers du gouvernement qui sont autorisés à vacciner les animaux.

Pertes économiques majeures

Le public en général n’a pas été suffisamment informé que cette maladie n’était pas transmissible à l’homme et que la viande d’un animal infecté est consommable. Le fait que les consommateurs ont choisi, par manque d’information, de ne pas consommer de la viande a eu une lourde répercussion sur l’économie de ce secteur.

 

Renforcir la loi

Le comité recommande ainsi un durcissement de la loi pour prévenir des cas de négligence à l’avenir.  «The committee recommends that an amendment be brought to existing laws to make any negligence on the part of any professional resulting in infected animals entering the Republic of Mauritius to be made a criminal offence carrying a heavy fine and even imprisonment. Such a law will make any veterinarian think twice before issuing a Certificate clearing a consignment or simply giving in to pressure. »