La Police est-elle politisée ?

Après les arrestations intempestives des internautes quelque temps de cela, sous la loi liberticide ICTA, nous avons vu le parti pris flagrant de la police après les incidents devant la cour de Mahébourg le 21 août. Quelle est l’indépendance de la police ? Quelle est la mainmise du pouvoir en place sur la police ? C’est ce que nous allons décortiquer dans le dossier de cette semaine, avec deux intervenants, Dev Jokhoo, qui est un ancien ‘Deputy Commissioner of Police’, et l’homme de loi et député du PTr, Shakeel Mohamed.

Après le récent départ de Mario Nobin, muté à la tête du département des prisons, on avait eu un regain d’espoir avec la nomination de Khemraj Servansingh comme Commissaire de Police. On croyait naïvement que le nouveau CP ferait preuve de plus de professionnalisme et d’indépendance que son prédécesseur. Hélas, les choses ont prouvé que nous avions tort.

Depuis un certain temps, ce sont les internautes qui se faisaient arrêter aux petites heures du matin à leur domicile, quasiment tirés du lit. Voyez-là une stratégie pour faire peur aux internautes et autres Facebookers, car le pouvoir sait que des personnes qui défendent des principes n’auront pas peur de se défendre en cour, quittes à être condamnés à une amende par la suite. Mais une arrestation au milieu de la nuit ? Un week-end passé en cellule ? De quoi décourager beaucoup…

Les arrestations et autres tracasseries infligées aux internautes se sont passées dans une certaine indifférence du public. Toutefois, les choses ont pris une autre tournure la semaine d’avant, alors que l’attention de tous les Mauriciens était focalisée sur la comparution des ministres Ramano et Maudhoo en cour de Mahébourg. On a vu des agents provocateurs du MSM nullement inquiétés par la police, alors qu’ils tenaient une manifestation illégale. En contrepartie, des habitants de l’endroit ont eu maille à partir avec les forces de l’ordre, après qu’ils eurent répondu aux provocations des activistes MSM.

Voyez-là une politisation de la force policière à outrance. Et c’est un phénomène qui, de jour en jour, va prendre de l’ampleur, alors que le mécontentement contre le régime en place ne fait que monter, depuis l’échouage du vraquier MV Wakashio.

La politique de deux poids, deux mesures de la police

DCP Dev JokhooL’ex-Deputy Commissioner of Police (DCP) Dev Jokhoo nous dit sans ambages que la manifestation organisée par des agents provocateurs du MSM le 21 août devant la cour de Mahébourg est « illégale ». Illégale parce que cette manifestation n’a pas eu l’autorisation de la police au préalable, mais aussi parce que les manifestants ne pratiquaient pas les normes sanitaires tels que la distanciation sociale et le port du masque.

Selon lui, la police a depuis le début mal agi. Les policiers auraient dû, dès l’apparition des premiers manifestants, essayé de les disperser, en leur expliquant que ce rassemblement était illégal. La police aurait dû aussi saisir les banderoles. De cette manière, le dérapage aurait pu être évité. L’ancien haut gradé ne mâche pas ses mots : « La police n’a rien fait vu que les manifestants étaient proches du gouvernement. »

Dans le cas de Dominique Veerasamy, il estime que la dame n’a rien fait de mal, car elle n’a fait qu’exprimer sa souffrance en tant qu’habitante de l’endroit.

Revenant sur le cas de l’agression de l’homme en vert, Dev Jokhoo dit carrément que la plainte  de cet activiste aurait dû être logée au poste de police de Mahébourg (ce dernier avait consigné sa plainte à Lallmatie). De plus, une ‘simple assault’ « is not an arrestable offence ».

Dev Jokhoo est aussi revenu sur les arrestations des internautes sous l’ICTA. Il dit qu’il est évident que des gens qui font entendre leurs voix contre le gouvernement sont victimes d’arrestations musclées du jour au lendemain. De l’autre côté, il y a des personnes qui ont porté plainte pour des affaires graves mais il n’y a eu aucune arrestation. L’ancien DCP dénonce ainsi « cette politique de deux poids, deux mesures. »

Quel regard jette-t-il sur celui qui est à la tête de la police actuellement ? Dev Jokhoo nous fait comprendre que « Actually, the police is being led by military officers ». Il dit avoir noté que les plus hauts niveaux de la hiérarchie policière sont occupés par des militaires, et non par des policiers de carrière. « Dans la force policière, si un policier n’a jamais marqué un chemin après un accident, ou s’il n’est jamais allé en cour, entres autres, il ne sera jamais un bon officier de police », pense-t-il.

Il prend ainsi l’exemple des incidents de Mahébourg. Pour lui, il y a eu une « total intelligence failure », vu que le service de renseignements de la police n’a pas pu anticiper qu’une telle chose aller se passer. Comment expliquer que les agents du MSM ont eu le temps d’organiser leur manifestation mais que personne du NSS n’était au courant de cette situation ?

Shakeel Mohammed : « La police agit de façon ridicule, et Dieu merci, le ridicule ne tue pas »

-shakeel-mohamedL’homme de loi et député du PTr Shakeel Mohammed est d’avis qu’avant tout, il est question de l’indépendance de la police. « Les questions que nous devons nous poser : Est-ce que la police agit de façon arbitraire ? Est-ce que la police agit en fonction des paramètres de la loi ? Ou bien est-ce que la police agit sous le diktat de ceux au pouvoir ? », nous fait-il comprendre.

Il élabore qu’il faut avoir une force policière qui est totalement indépendante, c’est-à-dire qui n’est pas au service du Premier ministre, des autres ministres et du gouvernement. Or, c’est là ou le bât blesse, c’est que la police est inféodée à ceux qui détiennent le pouvoir exécutif. « C’est ça le problème majeur de la force policière du pays et c’est ça qui embarrasse les officiers de police car ils se sentent forcés de faire certaines choses contre leur gré », dit-il.

Après l’arrestation des frères Dardenne, il estime que « La police agit de façon ridicule, et Dieu merci, le ridicule ne tue pas. » Il prend note que l’activiste Sangam a été convié par le CCID dans le sillage de l’enquête sur son agression pour des déclarations mais n’a jamais été interpellé pour la manifestation illégale qu’il avait tenue. « Le responsable de tout ça, c’est bien le Commissaire de police », conclut-il.

Face aux agents provocateurs du MSM, le parti pris flagrant de la police

Des heurts avaient eu lieu le vendredi le 21 août à Mahébourg, alors que les ministres Kavi Ramano et Sudheer Maudhoo devaient se présenter devant la cour de district de Grand-Port, suite à une ‘private prosecution’ logée par Bruno Laurette dans le sillage de l’échouage du MV Wakashio.

Plus d’une vingtaine de ‘manifestants’, se réclamant du MSM, s’était massée devant la cour munis de pancartes et de banderoles qui affichaient leur solidarité envers le gouvernement et les ministres en question.

Or, des plaisanciers, pêcheurs et habitants de l’endroit, présents sur place, ont été très remontés contre cet acte de provocation de la part des partisans du MSM. Certains ont fait comprendre à la police que cette manifestation était illégale, tandis que d’autres ont hurlé leur colère de toutes leurs forces après la catastrophe écologique qui a eu un impact non-négligeable sur les habitants du sud-est.

À un moment donné, une vive altercation avait eu lieu entre les habitants de la région et les soi-disant manifestants. Deeraj Sangam, un activiste notoire du MSM, connu sous le sobriquet de « jacket vert » depuis ces incidents, scandait à tue-tête « Pas touss nou Sudheer ».

Il devait être pris à partie par les habitants de l’endroit, qui l’ont vite ramené à de meilleurs sentiments. Notre homme a dû trouver refuge au bureau du Central Electricity Board de Mahébourg. De forts contingents de la Special Supporting Unit (SSU), aidés par les éléments de la police régulière, ont par la suite calmé les esprits.

Toutefois, les choses étaient loin d’être terminées. Une plainte a été logée contre certains plaisanciers par le dénommé Sangam vers 1 h du matin le samedi 22 août, au poste de police de Lallmatie. Cinq heures après, soit vers les 6 h, deux frères, Jonathan et Josuée Dardenne, des habitants de Trou d’Eau Douce, avaient été arrêtés par la CID de Flacq.

Jonathan et Josuée Dardenne, 37 et 42 ans respectivement, avaient passé toute la journée au CCID. Les frères Dardenne ont été arrêtés pour « agression avec préméditation.»                                                      

Valeur du jour, la police a ainsi sciemment ignoré les demandes des habitants d’arrêter les manifestants du MSM, qui participaient à un regroupement illégal. Mais au lieu de prendre des sanctions contre les manifestants, ou agents provocateurs, ce sont des habitants de l’endroit qui ont été arrêtés.

Concernant ces mêmes incidents, Dominique Veerasamy, une habitante de Mahébourg, qui avait montré sa colère en parlant devant le public présent de la souffrance des habitants de l’endroit, et qui avaient demandé aux manifestants de ne pas faire la politique sur le malheur qui a touché des familles de cette région, devait faire les frais de son franc-parler.

Le lundi 24 août, la quinquagénaire avait été convoquée pour un interrogatoire au siège de la CCID. Mais le lendemain, soit le mardi 25 août, elle avait été informée de ne pas se déplacer.

 

La section 71 de la Constitution interdit aux dirigeants politiques de s’ingérer dans les opérations de police

La section 71 de la Constitution prévoit le poste de Commissaire de Police, qui est ainsi un poste constitutionnel. Cette même section prévoit aussi que la force policière doit être sous son autorité.

 

 

Mais que prévoit la Constitution en ce qu’il s’agit du lien entre le Premier ministre (qui, à Maurice, a toujours occupé le portefeuille du ministre de l’Intérieur) et le Commissaire de Police ?

Les sous-sections (3) et (4) de la section 71 se lisent comme suit :

(3) The Prime Minister, or such other Minister as may be authorised in that behalf by the Prime Minister, may give to the Commissioner of Police such general directions of policy with respect to the maintenance of public safety and public order as he may consider necessary and the Commissioner shall comply with such directions or cause them to be complied with.’

(4)Nothing in this section shall be construed as precluding the assignment to a Minister of responsibility under section 62 for the organisation, maintenance and administration of the Police Force, but the Commissioner of Police shall be responsible for determining the use and controlling the operations of the force and, except as provided in subsection (3), the Commissioner shall not, in the exercise of his responsibilities and powers with respect to the use and operational control of the force, be subject to the direction or control of any person or authority.”

En clair, il peut y avoir un ministre qui est responsable de la gestion de la police. Ce ministre peut donner des directives ayant trait à la politique à adopter (par exemple, s’il faut donner plus de priorité aux cas de violence domestique) mais ne peut en aucun cas s’immiscer dans les opérations ou les enquêtes de police. Cette dernière ne doit ainsi recevoir aucune directive d’un dirigeant politique s’il faut orienter une enquête policière sur telle ou telle personne, ou s’il faut arrêter, ou s’il faut loger telle ou telle accusation provisoire contre elle, ou s’il faut s’opposer à sa remise en liberté.

En outre, le Commissaire de Police jouit de l’inamovibilité (‘security of tenure’), puisque qu’il ne peut être démis de ses fonctions que par un tribunal spécial nommé à cet effet, comme cela a été le cas pour l’ex-Commissaire de Police, Raj Dayal.

Priyanka Nundowah
Asraf Aullymun