Le patrimoine mauricien

« Les patrimoines doivent être conservés car ils représentent l’histoire et la mémoire du pays. En effaçant cela, le pays perd une partie de son identité. » Des paroles de l’historien Jocelyn Chan Low. Le gouvernement a-t-il retenu la leçon après la destruction de l’ancienne imprimerie du gouvernement en 1993 ? Il semblerait que non. On a vu la destruction du bâtiment antique, dit ‘La School’ à la Rue Edith Cavell à Port-Louis le 30 juin dernier, et la question de la protection de nos sites historiques et de notre patrimoine en général revient encore une fois sur le tapis. En effet, cette bâtisse a été érigée dans les années 1780, soit plus de deux siècles de cela, et a été le témoin des évènements majeurs du pays. 

Actuellement, le bâtiment qui abritait ‘La School’ située à la rue Edith Cavell n’est plus qu’un amas de bois. Selon le ministre des Arts et de la Culture, Pradeep Roopun, ce bâtiment n’était pas inscrit sur la liste des patrimoines de l’île Maurice et que le gouvernement avait voulu apporter un développement à un site délaissé.

Le gouvernement projette de construire  à la place un immeuble pour abriter la Cour suprême. Ce projet, au coût d’un milliard de roupies, sera financé par le gouvernement indien.

Cependant les activistes ne sont pas d’accord qu’un bâtiment doit être nécessairement inscrit sur la liste des patrimoines nationaux pour qu’il ne soit pas détruit.

« Ce bâtiment, datant du 18 e siècle était unique, vu qu’il a été le lieu privilégié de la formation de l’élite mauricienne », selon un communiqué émis le 4 juillet 2017 par le collectif Port-Louis Development Initiative (PLDI). « Nous abattons et nous reconstruisons en adoptant un visuel moderne qui projette au premier abord une image de progrès, de succès et d’innovation. Mais en réalité, nous reproduisons des solutions occidentales et étrangères, qui sont sources d’uniformité architecturale. Notre négligence et notre indifférence détruisent notre patrimoine architectural ».

L’historien Jocelyn Chan Low est un ex-membre de la National Heritage Trust Fund. En ce qui concerne la démolition de La School, il est catégorique : « C’est un désastre. Ce bâtiment était classé comme patrimoine mais je ne sais pas à quel moment, on l’a déclassé. » 

Quant à l’association SOS Patrimoine en Péril, elle a logé une demande d’injonction à la Cour suprême. L’affaire a été renvoyée pour le 17 juillet.

Opinion

La mort de La ‘School’

J’ai beaucoup entendu des festivals de la terre ou de la mer. L’Integrated Resort Scheme est un moyen de vendre nos plus beaux sites sur le littoral aux richissimes étrangers. Mais détruire ce qui est notre patrimoine est un crime odieux, impardonnable.

La ‘School’ ne méritait pas d’être réduite en planches bonnes pour être brûlées. C’est un pan historique de Port-Louis qui s’envole en fumée. Le gouvernement, comme le dit haut et fort Philippe La Hausse de Lalouvière (L’Express du 4 juillet 2017), ne maîtrise pas ce qui est patrimoine et ce qui ne l’est pas.

Un lopin de terre à Ebène aurait mieux fait l’affaire pour la construction de la nouvelle Cour suprême.  L’ICAC y vit de beaux jours. La MBC a vite oublié les jours sombres de la rue Pasteur.

J’ose souhaiter ardemment que le projet n’aboutisse pas et que le gouvernement y fasse (re)construire un édifice abritant le nouveau quartier général du ministère de l’Éducation. Une cour de justice, c’est pour « condamner » et « punir », rarement pour acquitter, l’éducation, c’est l’épanouissement d’une nation.

J’ai eu le privilège, voire l’honneur, même pour quelques mois, après le passage des cyclones Alix et Carol en 1960, de me retrouver sur les bancs de la ‘School’, tout comme l’école primaire Beaugeard, qui s’appelait dans le temps, l’école Rault, témoin de toute mon enfance.

On veut bien restaurer le Plaza, l’hôtel de ville de Curepipe et bientôt le théâtre de Port-Louis. Pourquoi le National Heritage Fund n’a-t-il pas songé à sauver la ‘School’ ? Shame on you !

Le gouvernement fait-il assez pour préserver notre patrimoine ?

Du côté du ministère des Arts et de la Culture, on nous explique que 200 sites à Maurice sont inscrits comme patrimoine national et 2 sites inscrits comme patrimoine mondial, dont l’Aapravasi Ghat et Le Morne. Dans le Budget 2017 / 2018, un montant de Rs 30 millions a été alloué pour la réhabilitation de plus d’une dizaine de sites historiques, y compris le mémorial de la bataille du Vieux Grand-Port, la Tour Martello à La Preneuse et la Tour Koenig. Des officiers du ministère effectuent actuellement un inventaire des bâtiments historiques afin de prendre les mesures appropriés pour leur préservation. 

Quand l’État privilégie le développement au détriment du patrimoine

La National Heritage Fund Act de 2003 établit la National Heritage Fund (NHF). L’objectif primaire de cet organisme  est de préserver, de sauvegarder et de gérer le patrimoine de Maurice. Le NHF doit identifier tout site qui peut être considéré comme un patrimoine et tenir un registre de ces sites.

La NHF Act  stipule que toute personne qui modifie ou détruit ou déplace ou essaie de cacher un patrimoine  commet un délit. Elle peut être passible d’une amende ne dépassant pas Rs 100 000 ou d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 2 ans.

Toutefois, là où le bât blesse, c’est que le NHF ne peut s’opposer au gouvernement si ce dernier décide de ne pas inscrire sur le registre de la NHF un site qui peut être potentiellement un patrimoine national. Comme dans le cas de La ‘School’ où le ministre Roopun avait affirmé que cet immeuble antique ne figure pas sur la liste des bâtiments protégés…

Sur les 16 membres du Conseil d’administration de la NHF, 9 doivent être des représentants du Bureau  du Premier ministre ou de différents  ministères. Il y a cinq autres membres nommés parmi la société civile, qui sont compétents dans le domaine de la préservation des sites d’intérêt historique ou archéologique.  Le  NHF est avant tout un organisme d’État. Il est placé ainsi sous l’égide du ministère des Arts et de la Culture. Des amendements à la National Heriatge Fund Act de 2003 seront apportés bientôt. Espérons qu’il y aura une plus grande marge de manœuvre de la NHF.

Il appartient donc à la société civile d’agir pour contrecarrer les plans du gouvernement si ce dernier veut démolir pour quelque raison que ce soit (le refrain du ‘développement’ revient sans cesse) tout bâtiment qui peut potentiellement devenir comme un patrimoine national. Comme dans le cas de La ‘School’, c’est l’association SOS Patrimoine en Péril, qui a logé une demande d’injonction à la Cour suprême.

Philippe La Hausse de Lalouvière, le directeur des Moulins de la Concorde, milite bec et ongles pour la protection des patrimoines locaux. Il nous explique : « Il y a quelques années, quelques habitants voulaient détruire un ancien temple à Beau Vallon datant de l’époque après l’esclavage. Ce temple a été construit par les travailleurs indiens engagés, et c’était le deuxième plus ancien temple à Maurice. Ceci pour vous dire qu’il ne faut pas détruire comme bon nous semble, mais il faut voir l’aspect valorisant de la cible de destruction. Il est temps de prendre en considération ce que l’on détruit. Il faut voir si on est en train de démolir quelque chose qui a de la valeur ou qui est sans valeur ; d’abord pour les citoyens locaux, mais le plus important  c’est de considérer la valeur sur une échelle plus globale. » 

Pour rappel, l’ancienne imprimerie du gouvernement située à Port-Louis avait ainsi été remplacée par la State Bank Tower en 1993. De nombreuses personnes avaient protesté alors. D’autres patrimoines avaient aussi été détruits, comme l’Hôtel de Ville de Port-Louis dans les années 60 et le marché de Curepipe dans les années 70.

Les obligations internationales de l’État mauricien

Maurice avait ratifié la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel le 19 septembre 1951.

La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel est un texte juridique adopté le 16 novembre 1972 par l’Unesco. Elle engage les États signataires à protéger les sites et les monuments dont la sauvegarde concerne l’humanité. Au 31 janvier 2017, 193 pays sont signataires de cette Convention.

En 2013, Maurice compte 2 sites inscrits au patrimoine mondial, notamment l’Aapravasi Ghat et Le Morne. Les autorités mauriciennes ont dernièrement inscrit douze nouveaux sites (bâtiments religieux et lieux de culte) au patrimoine national de l’île Maurice.

Plusieurs patrimoines négligées et à l’abandon

On ne peut parler de patrimoine sans faire état de la décrépitude dans laquelle les joyaux que sont le théâtre de Port Louis et le Plaza ont été laissées pendant des années, voire des décennies. Plusieurs projets avaient été ébauchés par les gouvernements qui se sont succédé, sans toutefois aboutir.

On annonce que cette fois,  la rénovation du théâtre de Port-Louis démarrera en aout prochain. Les plans du théâtre ont été approuvés par le National Heritage Fund et le processus d’appel d’offres a déjà été lancé. Plus de Rs 50 millions ont été investies pour la rénovation de ce théâtre, qui verra le concours du gouvernement et des compagnies privées pour son aboutissement.

Lors de la présentation du budget 2017/2018, le Grand Argentier, Pravind Jugnauth avait aussi  annoncé que le gouvernement attribuera une enveloppe de Rs 300 millions pour la rénovation du Plaza.

On espère que cette fois-ci, il y a une tentative sérieuse pour rénover ces deux sites, car au cas contraire, il serait vain de vouloir parler de la sauvegarde du patrimoine.

Selon l’historien et ex-membre de la National Heritage Fund, Jocelyn Chan Low, il y aurait un manque important de fonds pour la sauvegarde, le maintien et la restauration des bâtiments antiques, qui peuvent parfois coûter une fortune.

Pour lui, il est primordial que l’entretien et la préservation de ces patrimoines ne doivent pas être uniquement la responsabilité du gouvernement. « Les collectivités locales ont leur part à jouer et doivent participer eux aussi. » 

Une solution possible, selon Jocelyn Chan Low, c’est de trouver des moyens pour rendre utiles et fonctionnels les patrimoines à travers des activités économiques. « À une époque, le gouvernement ne savait pas quoi faire avec le bâtiment colonial qui abritait autrefois la poste centrale. Mais aujourd’hui ce patrimoine a été mis en valeur et abrite le musée de la poste de Maurice », explique-t-il.

Le patrimoine intangible de Maurice : un aspect méconnu et négligé

Un aspect méconnu du patrimoine mauricien est le patrimoine dit intangible. Le patrimoine intangible peut être par exemple le nom d’une rue historique. Le ministre de tutelle peut designer par décret tout nom historique comme patrimoine intangible. Or, selon nos propres observations et selon les observations des personnes que nous avons interrogées, cet aspect demeure souvent négligé à Maurice. Philippe La Hausse de Lalouvière nous précise que le patrimoine d’un pays est avant tout l’identité d’un peuple et ne se mesure pas uniquement dans les bâtisses historiques. Ainsi, « Les habits, la nourriture, voire la culture peuvent même être considérés comme patrimoines. »