La jeunesse mauricienne inquiète

Depuis quelque temps, les jeunes ont une image ternie. Comportements indécents sur les gares et violence envers leurs enseignants, consommation de drogues de synthèse et dernièrement des vidéos déplacées qui circulent sur le net. Que se passe-t-il dans notre société ? Nous avons tenté de faire le lien entre les déviances qui poussent les jeunes Mauriciens à la dérive et comment redresser la barque.

Les jeunes et la famille

La famille joue un rôle essentiel dans le développement des enfants et des jeunes. Le milieu familial peut à la fois constituer un milieu de risque et un milieu de protection.

Les familles qui présentent de multiples facteurs de risque sont considérées comme étant des « familles vulnérables » ou des « familles à risque ».

Il est important de pouvoir cerner et comprendre les effets de ces facteurs familiaux de risque et de protection afin d’empêcher les enfants et les jeunes d’adopter des comportements indignes d’un humain, voire illégaux, nuisibles ou inappropriés.

Selon Mahen Gungapersad, pédagogue, la famille mauricienne ne joue plus le même rôle qu’auparavant. À travers la famille étendue, qui comprenait les grands-parents, les jeunes se confiaient à ces derniers. Ce genre de famille a laissé la place à la famille nucléaire, avec seulement les parents comme mentors. Avec le père et la mère qui travaillent, les parents communiquent de moins en moins avec leurs enfants et par conséquent ces derniers se confient à leurs amis, et aux autres personnes de mauvaise influence. Les confidents sont eux-mêmes immatures et donc incapables de donner des conseils appropriés. Les enfants en manque d’affection et en quête du bonheur, prennent refuge dans les bras des réseaux sociaux.

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Les jeunes et les incartades en milieu scolaire

Force est de constater que c’est à l’école que les jeunes subissent les influences les plus néfastes. « L’adolescence est une période de découverte, de crise de puberté, voire de folie. Les adolescents savent toutefois faire la différence entre le bien et le mal, contrairement aux enfants », déclare Mahen Gungapersad.

Alcool, cigarette, drogue, sexe, violence, langage vulgaire, les jeunes sont exposés à toute sorte de mauvaises influences dans des établissements scolaires. On retrouve dans plusieurs cas, deux différentes personnalités du jeune. À la maison, c’est un enfant digne, sage et studieux, tandis qu’au collège, les écarts de conduites sont nombreux.

Les jeunes de 12 à 18 ans ont beaucoup de difficultés à gérer les relations souvent turbulentes entre amis. Ne pouvant gérer les conflits de façon mature, ils en viennent aux mains, selon les psychologues que nous avons interrogés. Les bagarres étaient autrefois l’apanage des garçons, les filles commencent malheureusement à se mettre de la partie. Des vidéos d’une rare violence avaient ainsi circulé récemment sur Facebook, où des collégiennes se sont filmées tabassant leur camarade de classe pendant la récréation. La victime a été blessée au point d’être admise à l’hôpital.

Cette violence déborde hors du milieu scolaire. Après les heures de classe, les élèves envahissent les gares. Avec leur uniforme, ils passent parfois des heures à flirter, à fumer et à importuner les passants. Les passagers du transport en commun se plaignent de plus en plus de la mauvaise conduite des élèves. Sur les gares d’autobus, des bagarres entre eux ont été postées sur Facebook.

Le cutter est l’arme de prédilections des élèves. Des receveurs et des chefs de gare, récemment même des policiers, ont été victimes de jeunes maniant le cutter.

Les écoliers du primaire ne sont pas épargnés. Entre les cigarettes et le langage grossier, cette nouvelle génération évolue mal.

Les jeunes et la drogue

Selon une étude réalisée l’année dernière par le ministère de la Jeunesse et des Sports sur le comportement de 1 000 Mauriciens, âgés de 15 à 24 ans, on peut constater que la violence est très présente chez les jeunes, que l’alcoolisme a augmenté et que la cigarette et les drogues demeurent toujours un sujet d’inquiétude.

En ce qui concerne la drogue, nous constatons qu’un pourcentage important de jeunes consomment de la drogue ou ont déjà essayé, et cela très tôt. Ainsi, ceux qui ont déjà essayé une drogue se situent en majorité dans la tranche d’âge de 13 à 14 ans.

Cannabis        23,8 % des jeunes disent avoir déjà consommé du cannabis, alors que 22 % en prennent toujours.

Héroïne          20,7 % disent avoir déjà essayé de l’héroïne, alors que 19,7 % en consomment toujours.

Subutex          26,9 % ont déjà essayé le Subutex, alors que 31,6 % en prennent toujours.

Psychotrope   34,8 % consommaient de psychotropes au moment de l’étude, alors que 23,8% avaient déjà essayé.

Ecstasy           32,9 % de jeunes consommaient toujours de l’ecstasy alors que 24,9 % en avaient déjà pris.

Concernant la consommation d’alcool, 61,7 % des jeunes affirment qu’ils ont déjà bu de l’alcool dont 32,1 % sont toujours des consommateurs actifs.

Drogue de synthèse

Depuis plus de deux ans, la drogue de synthèse a fait son entrée dans les établissements scolaires. Il n’y a pas un chiffre exact concernant le nombre de jeunes qui sont morts à cause de la consommation de ces substances nocives, mais selon le travailleur social Ally Lazer, qui milite toujours contre ce fléau, environ une trentaine de jeunes sont morts jusqu’ici.

La sexualité de plus en plus précoce chez les jeunes

Les adolescents deviennent de plus en plus sexuellement précoces. Ils passent à l’acte de plus en plus jeune. Avec les tendances de la jeune génération, voire le flirt, l’attirance physique et l’accouplage, les filles, trop jeunes, ne sont pas conscientes des conséquences. Le nombre de grossesse précoce continue d’augmenter. Selon les chiffres de la Mauritius Family Planning Association (MFPA) pour 2016, 217 cas de grossesse juvénile ont été recensés. Certaines étaient les victimes d’abus sexuel et de viol, mais plusieurs étaient consentantes. Cela ne serait que le sommet de l’iceberg.

La prostitution des adolescentes prend de l’ampleur à Maurice. La plupart viennent d’un milieu défavorisé. Parents drogués, récidivistes, prostitués ou dealers, les enfants suivent le mauvais exemple. La Mauritius Family Planning Association a enregistré en 2015 cinq cas de prostitution infantile.

 

Plusieurs vidéos pornographiques impliquant des jeunes postées sur Facebook

Depuis octobre dernier, les vidéos indécentes filmées par des jeunes adolescents font le buzz sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. « Gat », « Dem afraid », « Kevin », « Threesome », la liste est longue. Les auteurs de ces clips sont pour la plupart des adolescents et des collégiens, qui publient des vidéos à caractère pornographique sur Facebook.

Les internautes ont exprimé leur opinion sur ce sujet. Certains prennent la situation plutôt à la légère, alors que d’autres se montrent un peu plus sévères, les réactions n’ont pas tardé après quelques secondes de la mise en ligne des clips.

En ce qui concerne les dispositions légales, à Maurice, la Child Protection Act de 1994 stipule que toute personne qui pousse un enfant (personne ayant moins de 18 ans) à prendre part à des activités sexuelles, que ce soit avec son consentement ou pas, commet un délit. Aussi, toute personne qui partage des images d’un mineur commet un délit et les sanctions constituent une amende pouvant atteindre Rs 1 million et/ou une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans.

Quelles sont les raisons qui poussent les adolescents à poster des vidéos tabous sur le net ?  Le sociologue Ibrahim Koodoruth nous explique pourquoi il y a une hausse dans la propagation des vidéos à caractère pornographique sur les réseaux sociaux. « Certains jeunes le font par vengeance. Il y a beaucoup de raisons qui poussent les Mauriciens à publier des vidéos à caractère pornographique. D’autres veulent montrer à leurs amis ce dont ils sont capables de faire », nous dit-il.

De plus, il affirme que la jeune génération considère le déballage de la vie privée sur les réseaux sociaux comme une banalité. « Aujourd’hui, les jeunes ont de multiples possibilités pour filmer des vidéos sur leurs portables. Cela devient de plus en plus banal et les actes sexuels sont de moins en moins tabous. Les jeunes sont souvent victimes de leurs pairs, où ils sont piégés à leur insu », explique Ibrahim Koodoruth.

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Les solutions existent

 « Les jeunes ont un manque de repères. Ils ne sont pas totalement responsables. Parents, professeurs, travailleurs sociaux, nous sommes tous responsables quelque part. À tous les niveaux, il y a un manque d’encadrement », affirme Imtyaz Sardar, Youth Officer au ministère de la Jeunesse et des Sports. Il souligne que l’étude mentionnée plus haut vient confirmer ce constat. « Au niveau du ministère, nous organisons plusieurs sessions d’information, des sorties éducatives et des activités sportives pour meubler le temps des jeunes pour qu’ils ne sombrent pas dans ces fléaux sociaux », explique Imtyaz Sardar. De plus, il dit que les centres de jeunesse de l’île proposent toute une panoplie d’activités après les heures de classe, les samedis et pendant les vacances. C’est aux jeunes d’aller sur place pour bénéficier de ces services.

Une politique nationale, c’est ce que préconise Danny Philippe, coordinateur de l’ONG LEAD. Cette stratégie au niveau national verra la mobilisation des parents, des travailleurs sociaux, des ONG et du gouvernement. « La curiosité, l’influence des amis et l’accessibilité à la drogue dans leur entourage sont les principaux facteurs qui influencent les jeunes », affirme le coordinateur de LEAD.

Danny Philippe déplore toutefois un manque d’infrastructures pour accueillir les mineurs qui sont sous l’emprise des stupéfiants, car à ce jour les mineurs sont traités soit dans les hôpitaux publics, soit à l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard.

« Au niveau de LEAD, nous essayons de mettre en place une structure pour être à l’écoute des jeunes qui ont un problème d’addiction », affirme Danny Philippe. « Notre objectif est de réinsérer le jeune toxicomane au sein de la société. C’est-à-dire  l’encadrer pour qu’il puisse trouver un travail, fonde une famille, et soit honnête et responsable ».

Selon la psychologue Kalyani Bausram, il faut introduire une éducation basée sur la responsabilité au niveau académique dès le plus jeune âge. Un support psychologique est essentiel pour un enfant, surtout ceux-là qui souffrent de certains troubles psychologiques. Il s’agit là de la contribution de tout un chacun, parents et professeurs essentiellement. Il est aussi d’avis qu’il y a eu un laisser-aller chez les jeunes ces derniers temps. La situation pourrait devenir plus grave si rien de concret ne se fait pour résoudre le problème.

La solution, selon Mahen Gungapersad, serait d’éduquer les futurs couples à travers des séances de formation visant à les informer sur la façon d’élever un enfant. Les couples n’auraient pas les ‘basic tools’ nécessaires pour pouvoir prendre en charge un enfant. « Il faut qu’il y ait un échange entre les jeunes et les aînés afin d’améliorer la relation intergénérationnelle. En Hollande par exemple, les jeunes partent habiter dans des ‘homes’ et côtoient des personnes âgées. Cela permet alors des échanges d’idées et de dialogue qui sont très importants », ajoute-t-il.

Mis à part la famille, le pédagogue souligne l’importance de la religion dans l’encadrement des jeunes. Les groupes socioculturels et les institutions religieuses ont une grande responsabilité dans la lutte contre les fléaux sociaux. Cependant, ces institutions n’opèrent plus comme auparavant.

 

Réseaux sociaux : quel contrôle ?

Voulant savoir combien de personnes sont exposées à ce type d’images sur les réseaux sociaux, nous avons contacté l’ICTA qui nous a expliqué que l’ICTA n’est pas habilitée à contrôler ou recueillir des données sur les abonnements et la pornographie sur les réseaux sociaux. L’ICTA nous a néanmoins fourni les chiffres suivants : 200 347 maisons à Maurice ont accès à l’internet. Il y a en outre 1 037 580 abonnés à une souscription internet. On peut conclure qu’ils sont nombreux les jeunes qui sont potentiellement exposés à des images et des vidéos prônant la pornographie.

En 2011, l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) a lancé une ‘content filtering solution’ pour les utilisateurs du web à Maurice pour épurer tous les sites contenant des images ayant trait aux abus exercés sur des enfants.