La culture des quatre-saisons à Maurice

Dossier

Nous faisons face aujourd’hui à une petite crise alimentaire après la période de sècheresse suivie des pluies torrentielles, en février et mars dernier. La récolte et le prix des pommes d’amour, comme pour d’autres légumes, ne sont toujours pas retournés à la normale. Du potager jusqu’à votre assiette, les cultivateurs, les maraîchers, sans oublier les consommateurs, nous sommes tous concernés. Sunday Times vous invite à suivre la culture des légumes à Maurice, dès les premiers semis jusqu’à la vente au marché.

Une production locale défaillante : de moins en moins de jeunes deviennent planteurs

Au niveau de la production, le secteur agricole reste plus ou moins florissant malgré une tendance à la baisse au fil des années. Ainsi, la production locale de légumes n’a cessé de chuter au cours de ces dernières années. Selon les derniers chiffres officiels de Statistics Mauritius pour la période 2009 à 2015. La production est en cette régression, passant de 94 143 tonnes de légumes produits en 2009 à 79 853 tonnes en 2015 (ce qui représente une baisse de 15 %).

Le secrétaire de l’association des petits planteurs, Kreepalloo Sunghun, nous informe sur le nombre et le type des planteurs de légumes à Maurice : il y a environ 8 000 petits planteurs, 50 planteurs dits moyens, et environ 5 à 6 grands planteurs.

Cette baisse est due à la population vieillissante des planteurs et le fait que de moins en moins de jeunes s’y intéressent. Ainsi, la plupart des planteurs sont âgés de 55-65 ans. Seulement 10 % des planteurs sont dans la quarantaine. La situation pourrait retourner à la normale, selon  Kreepalloo Sunghun, si le pays se dirige vers un mode de production intelligent.

Notons aussi que la consommation de la production locale  est aussi en baisse, passant de 79 kilos par habitant en 2009 à 65 kilos par tête en 2015 (ce qui représente une baisse de 18 %).

 

Comment préparer le sol

Pour produire des légumes sains, il faut avant tout une terre saine.

Prendre soin de la terre avant de semer des graines est primordial. Il faut entretenir et garder le sol profond et aéré, nous explique un planteur avec plusieurs années d’expérience. Ce qui permettra aux racines des légumes de se développer de manière vigoureuse. L’apport de compost est indispensable. La terre doit être également humifère, c’est-à-dire riche en humus (l’humus est une matière produite par la décomposition de matières organiques d’origine végétale).

 

Les grades de légumes

Il existe quatre grades de légumes, commençant par le grade 1 qui désigne des légumes de premier choix et terminant par le grade 4, qui sont des légumes de dernier choix. Le consommateur doit connaître les grades des légumes, pour qu’il puisse en faire une bonne sélection de légumes par rapport au prix.  Ci-dessous, les différents grades des légumes :

  • Grade 1 : Ce sont les produits agro-alimentaires de premier choix. Ici, la qualité, l’apparence, l’emballage et la durée de conservation, entre autres, sont les critères qui désignent un légume de premier grade. Généralement, ce sont plutôt des légumes verts, mis en vente dans les grandes surfaces, notamment les supermarchés. Le coût est évidemment plus élevé que d’autres, sans parler d’un meilleur goût.
  • . Grade 2 : Les légumes de grade 2 sont des légumes moins verts et moins frais que ceux du grade 1, bien que la qualité reste plutôt bonne.
  • Grade 3 : Ici, ce sont des légumes qui ont été légèrement rongés par des insectes ou qui ont commencé à devenir un peu gros. Ils ont une apparence moins attirante.
  • Grade 4 : Dans le jargon des planteurs, les légumes de grade 4 sont connus comme des légumes ‘faye’. Ce sont généralement des légumes de mauvaise qualité, qui ont été abîmés et qui ont été lourdement affectés par des insectes. Ce type de légumes se vend à un prix très faible.

 

La vente et les prix des légumes

Apres la récolte des produits agro-alimentaires, les laboureurs lavent les légumes et les classent dans différentes bacs selon les grades. Ensuite ces bacs sont transférés dans l’un des trois lieux où s’effectue la vente à l’encan. Ici, les marchands viennent acheter des légumes pour ensuite les vendre aux consommateurs.

Ordinairement, les petits planteurs ne fixent pas le prix de leurs légumes. C’est à travers l’exercice de vente à l’encan que les prix se décident, par rapport aux offres et la demande des acheteurs.

En ce qu’il s’agit des légumes qui se vendent dans des supermarchés, le prix est exorbitant, car il comporte plusieurs frais, comme le nettoyage, l’emballage, l’étiquetage et le transport.

Un cultivateur mauricien à l’œuvre : des techniques de père en fils

Il est 7 h du matin et l’équipe de Sunday Times s’est rendue à Côte d’Or pour aller à la rencontre d’Amarjeet, un jeune cultivateur de légumes qui est aussi ‘encanteur’. Il est le propriétaire d’un terrain de quatre arpents où sept employés se dévouent. Amarjeet cultive des légumes comme des giraumons, des piments, des ‘patoles’, des ‘lalo’, des concombres et des pistaches.

Plusieurs techniques sont utilisées dans la production des légumes. Chaque cultivateur adopte sa technique personnelle.

Le secret pour une bonne production, selon Amarjeet, est d’utiliser le moins possible de produits phytosanitaires (herbicide, pesticide, insecticide etc.). Il utilise la méthode dite des cultures intercalées où du fumier bovin est placé pendant quelques semaines, pour laisser l’humus enrichir la terre. Une technique ancienne, nous explique-t-il, qui permet une utilisation moindre des produits phytosanitaires, et cela d’une façon soutenable pour les cultures. Amarjeet fait en sorte que la terre cultivable contienne toujours de l’herbe et des fleurs, pour attirer les abeilles vers son potager, pour une meilleure pollinisation des plantes et éventuellement une plus grande production.

Nous retrouvons non loin du potager, un carreau pour la production de pistache. Amarjeet cultive les pistaches précisément pour booster la production des autres légumes. La racine de du pistachier permettent la conservation du nitrogène (élément essentiel des produits phytosanitaires) dans la terre, ce qui protège les légumes contre les organismes nuisibles.

Aux quatre coins du potager, des pièges à insectes sont en place. C’est essentiellement une bouteille qui contient une substance liquide, notamment du vin mélangé à de l’insecticide. Comme vous pouvez le voir sur la photo, les insectes sont attirés dans la bouteille, ce qui permet de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires sur les légumes.

 

Marchand de légumes : un travail ingrat

Pushvardhan est un marsan bazar depuis plus de 40 ans. Cet habitant de Vallée-des-Prêtres fait un travail éreintant. Il doit se lever à 2 h du matin tous les jours et se diriger vers la vente à l’encan pour acheter ses légumes en gros. C’est ensuite une journée épuisante qui l’attend au Marché central, où il s’égosillera à longueur de journée pour pouvoir écouler ses légumes.

Il achète une partie des légumes dans la vente à l’encan et une partie directement des cultivateurs. Les marsan bazar, nous explique-t-il, sont obligés de revendre à un profit moindre aux membres du public.

Ranjee, quant à lui, est un cultivateur et revendeur, c’est-à-dire qu’il revend lui-même les légumes qu’il cultive, au Marché central. Il tient à vendre des légumes de première qualité. Il explique que les prix des légumes restent constants, sauf en cas de mauvais temps et cela, malgré la hausse des prix des produits phytosanitaires. « Bann planteurs bizin investi dan kalite zotte produits », dit-il. Les choses sont plus difficiles pour les cultivateurs comme Ranjee, qui vendent eux-mêmes leurs légumes au marché. En plus de puiser du temps et de l’énergie pour faire deux activités simultanément, les cultivateurs-vendeurs doivent faire face aux frais du transport.

 

La vente à l’encan

La vente dite à l’encan : une étape essentielle dans la production et la vente des légumes. Actuellement, c’est à Port-Louis et à Flacq que se tiennent les ventes à l’encan des produits vivriers. C’est là-bas que viennent s’approvisionner les marchands du Marché central, ainsi que ceux de plusieurs autres régions. Ces ventes de légumes en gros, suivant un système d’enchères, permettent à ces derniers d’avoir des produits frais tous les jours.

Les ‘encanteurs’ se chargent de récupérer les produits frais auprès des planteurs, grands ou petits, pour les revendre aux maraîchers. Sur chaque vente, un ‘encanteur’ touche alors une commission qui varie entre huit et dix pourcents.

Cependant, l’idée du gouvernement de centraliser la vente à l’encan dans la région de Belle-Rive a soulevé un véritable tollé. ‘Encanteurs’, planteurs et camionneurs demandent aux autorités de revoir leur copie, car cette décision leur portera préjudice. Ils appréhendent que cette décision se fasse au profit des propriétés sucrières, qui ont diversifié dans le secteur agricole. Selon eux, la marge de profit des petits planteurs sera réduite alors que le prix des produits vivriers accusera une hausse.