Kevin Teeroovendagum, économiste  « Un avenir sombre pour notre roupie »

Nous abordons le sujet de la dépréciation de la roupie avec l’économiste Kevin Teeroovendagum.  Il n’y a pas à sortir de la : la roupie se dépréciera à court terme et chutera même jusqu’à 1 USD = Rs 45 et 1 euro = Rs 50. Cela alors que nos piliers économiques sont eux-mêmes sous pression. En outre, le contexte n’est guère propice : une récession globale se pointe à l’horizon, tandis que Maurice pourra définitivement être sur la liste noire de l’UE en octobre. Tout ceci mènera à une flambée des prix et les consommateurs vont encore casquer.

La roupie était déjà sur une pente glissante

L’économiste dit d’emblée que ce sera une certitude que la roupie continuera à se déprécier mais il souligne que ce ne sera pas uniquement dû à la crise de Covid-19.

Si on jette un coup d’œil sur les cinq dernières années, la roupie a connu déjà une dépréciation face au dollar US. En 2015, un dollar valait Rs 31. L’année dernière, le dollar valait Rs 37-Rs 38. Avec la crise du covid-19, 1 USD valait RS 41 sur le marché des devises, ce qui veut dire une dévaluation de plus de 32 % par rapport à 2015. La même tendance a été observée en ce qui concerne les autres devises principales du forex, comme l’euro ou la livre sterling. En 2015, 1 euro s’échangerait échangerait à Rs 35, tandis que maintenant, il est passé à Rs 45, alors que la livre sterling vaut Rs 50.

Nos principaux piliers économiques mettront plus de pression sur la roupie

« La dure réalité est que nos principaux piliers économiques, notamment le tourisme, sont sous pression. Cela signifie un manque de revenus pour Maurice, ce qui mettra encore une fois la pression sur la roupie. Finis les jours de la roupie soi-disant forte », explique l’économiste. Prenant en considération nos composantes fondamentales économiques faibles, Maurice fait face au danger d’une dépréciation constante de sa roupie, ce que nous voyons normalement avec les pays d’Afrique ou d’Amérique Latine.

Il y a plusieurs facteurs qui ont provoqué ce phénomène.  C’est avant tout une question de l’offre et de la demande des devises étrangères, et plus fondamentalement, si Maurice a une économie faible ou forte. Une monnaie qui se déprécie est un signal que nos composantes fondamentales économiques sont faibles, ce qui est malheureusement le cas pour Maurice.

« Nous importons plus que nous exportons, et si cette situation n’est pas remédiée, cela mettra encore plus de pression vers le bas sur notre roupie », renchérit Kevin Teeroovengadum. « Nos secteurs d’exportation (textile, tourisme et même le secteur des services financiers) sont sous pression et de ce fait, génèreront encore moins de revenus en termes de devises si on compare aux récentes années », conclut-il.

La baisse du FDI aura un impact sur l’entrée de devises étrangères

En outre, il y aura encore moins de ‘Foreign Direct Investment’ (FDI) à Maurice cette année-ci, ce qui encore une fois aura un impact sur l’entrée de devises étrangères, et encore plus de pression sur la roupie.  « On doit aussi considérer les écarts de taux d’intérêt. Vu que la Banque de Maurice n’avait pas d’autre choix  que de réduire le ‘Repo Rate’ en début d’année, elle devra peut-être effectuer une autre réduction cette année-ci, le taux d’intérêt sur la roupie est très faible, et de ce fait, en tant qu’investisseur, vous aurez tendance à conserver les devises étrangères au lieu de la roupie », explique l’économiste.

Le ‘blacklisting’ de Maurice par l’UE ne vient rien arranger

Un autre facteur est le ‘blacklisting’ de Maurice par l’Union européenne.  « Nous avons des dépôts en devises étrangères des investisseurs étrangers dans des banques à Maurice, d’une valeur encore plus forte  que notre Produit intérieur brut (PIB). Si le ‘blacklisting’ de Maurice est confirmé par l’Union européenne le 1er octobre 2020, plusieurs investisseurs devront retirer leurs fonds de Maurice car ils ne seront pas autorisés à opérer ou à garder des fonds dans un pays sur la liste noire. Ce qui éventuellement voudra dire moins de devises étrangères encore une fois à Maurice », prédit Kevin Teeroovendagum.

Sur la scène internationale, la plupart des marchés émergents sont sous pression, vu qu’ils font face à une fuite de capitaux vers des «safe havens».  C’est ce qui se passe quand vous avez une récession globale. En ce qui concerne Maurice, on aura remarqué que les investisseurs étrangers se sont retirés du Stock Exchange of Mauritius (SEM) bien avant l’éclatement de la crise du covid-19. « Des signes bien avant l’apparition du covid-19 que le marché international mettait déjà Maurice à l’écart, vu que les acteurs de ce marché ne croyaient plus dans les bases économiques fondamentales de Maurice à long terme. Tous ces facteurs indiquent hélas un avenir sombre pour notre roupie », dit-il.

Les consommateurs vont encore casquer…

Les conséquences seront inévitables pour les consommateurs. Vu que nous importons plusieurs commodités, que ce soit le pétrole ou les aliments, cela voudra dire que les prix continueront d’augmenter si la roupie continue de se déprécier. « Déjà, nous avons pu constater que les prix des produits sur les étagères des supermarchés sont à la hausse. Cela n’est que le commencement, malheureusement… », prédit Kevin Teeroovendagum. « Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un contexte de récession globale, et chaque pays essaiera de reconstruire son économie, et il y aura une guerre des prix en utilisant les monnaies comme levier. »

Il poursuit : « Il est déjà peut être trop tard. Ce sera sans surprise si la roupie s’aligne à Rs 45 contre le dollar US et à Rs 50 contre l’euro. La Banque de Maurice ne pourra défendre la roupie pendant longtemps, vu qu’il y a trop d’incendies à éteindre pendant cette crise qui va durer, et nous verrons les réserves s’assécher rapidement. »

Nous avons perdu 10 ans en ce qui concerne la restructuration de notre économie

Kevin Teeroovendagum lance un appel au gouvernement : « La réalité est que nous avons perdu 10 ans pour n’avoir pas restructuré notre économie, et maintenant nous payons les conséquences de la récession globale. Cette récession amènera à une croissance négative profonde. J’espère que le gouvernement s’attèlera à la restructuration économique qui s’impose pour que nous puissions  construire une économie sur des bases plus solides, et éventuellement rendre notre roupie moins faible. »