Journée internationale de la Femme : « Les femmes doivent prendre les devants pour qu’il y ait du changement »

 

  • Dans le cadre de la Journée internationale de la Femme, observée ce dimanche 8 mars, nous faisons le point sur la situation de la femme à Maurice avec plusieurs femmes qui occupent, ou ont occupé, le devant de la scène. Nos interlocutrices font ressortir qu’il y a un progrès indéniable qui a eu lieu à Maurice en ce qui concerne l’évolution de la femme sur le plan familial, professionnel et social, mais qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Si sur le plan du travail, la discrimination commence à reculer, ces femmes mettent l’emphase sur le problème de la violence domestique, qui reste préoccupant, ainsi que sur la faible représentativité des femmes sur l’échiquier politique.

Avant la révolution féministe des années 60, que ce soit à Maurice ou dans d’autres pays, la femme avait une seule vocation : s’occuper de la famille. Elle ne pouvait pas prendre de décisions, que ce soit sur les plans politique, social, ou économique. En outre, la discrimination, voire la violence, à l’encontre de la femme était considérée comme étant la norme.

Un demi-siècle après, en 2020, les choses ont beaucoup évolué. Les femmes sont présentes dans quasiment tous les secteurs professionnels. Toutefois, la représentation de la femme sur la scène politique mauricienne reste minime : seulement 30 % des parlementaires sont des  femmes, et sur 22 ministres, il y a seulement 3 femmes, malgré le fait que la femme est majoritaire à Maurice. En outre, les femmes font face à Maurice à certaines réalités, telles que la violence domestique, un problème où les femmes sont nettement les plus vulnérables, entre autres.

Pour résumer le tout, on peut dire que beaucoup de chemin reste à faire : une meilleure éducation dès l’enfance sur la parité entre les genres, un changement de mentalité au niveau des employeurs, ou encore un meilleur ‘empowerment’ des femmes en termes de formation, de financement ou de création d’entreprise.

Notons qu’au 1er juillet 2019, la population de la République de Maurice était estimée à 1 265 985 âmes, dont 626 341 hommes et 639 644 femmes. En termes relatifs, il y avait 97,9 hommes pour 100 femmes.

Jane Ragoo (syndicaliste) :

« Un changement de mentalité est nécessaire pour briser les barrières »

Selon la syndicaliste Jane Ragoo, secrétaire-générale de la CTSP (Confédération des travailleurs des secteurs public et privé), en ce qui concerne la discrimination envers les femmes, que ce soit sur le salaire, les promotions ou le recrutement, nous avons 32 Remuneration Orders (RO) et certains contiennent toujours une discrimination, comme démontre par l’appellation Male Worker et Female Worker. Les salaires comme préconisés par ces RO sont diffèrents pour les genres, quoique le travail soit le même.

Jane Ragoo affirme qu’il y a toujours une discrimination contre la femme par rapport aux promotions et autres recrutements, car la femme est marginalisée à cause de ses responsabilités sociales. Certainement, c’est un handicap important à l’émancipation de la femme. « Il faudrait un changement de mentalité pour briser ces barrières », selon la syndicaliste.

Selon Jane Ragoo, certains employeurs préfèrent employer un homme, car celui-ci ne va pas prendre de congés de maternité, entre autres. Donc, au départ même, la femme est marginalisée et dans certains cas, doit se contenter d’un travail mal rémunéré, par exemple dans la zone franche, en tant qu’ouvrière.

Loga Virahsawmy (militante et féministe) : « Nou tou bizin met la tete ensam, ki li zom ki li fam, pou bane fam gagne ene meiller la vie »

Loga Virahsawmy, ex-présidente de Gender Link, fait ressortir que dans le secteur public, nous pouvons constater qu’il n’existe pas vraiment de discrimination contre la femme, car la femme et l’homme possèdent les mêmes droits. Idem pour les salaires : l’homme et la femme travaillant dans le secteur public reçoivent les mêmes salaires, en vertu des lois qui s’assurent que les salaires soient similaires.

« Si nous regardons bien la liste des CEO dans les ministères, nous pouvons ainsi voir que plus de 40 % des CEO sont des femmes. Donc, on ne peut à aucun moment dire qu’il y ait une discrimination envers la femme dans le secteur public. C’est aussi le cas dans le judiciaire, ou il y a plus de femmes juges à Maurice », élabore-t-elle.

Néanmoins, pour elle, la discrimination contre les femmes existe bel et bien dans le secteur privé. Elle souhaite ainsi que les entreprises du secteur privé adoptent ce qui est pratiqué dans le secteur public.

En cette Journée internationale de la Femme, Loga Virahsawmy souhaite faire passer un message : « Nou tou bizin met la tete ensam, ki li zom ki li fam, pou bane fam gagne ene meiller la vie. »,

Abordant le volet de la violence domestique, elle souligne que ce sont les femmes qui sont majoritairement les victimes. Elle fait ressortir que plusieurs lois pour prévenir ce genre d’abus sont malheureusement inefficaces. Elle illustre ses propos en faisant état que plusieurs personnes font fi du ‘Protection Order’ émis par la cour pour agresser leur conjointe.

Elle prend l’exemple d’un cas où une femme a été victime de violence domestique par son époux policier. Elle dénonce l’absurdité de cette situation, car les policiers qui sont censés être là pour veiller à la sécurité des personnes et le maintien de la loi sont eux-mêmes les  perpétrateurs quelquefois. Et de se demander dans ce genre de situation, quelle protection les victimes de  violence domestique peuvent évoquer.

« Que le gouvernement ‘Walk the Talk’, en ce qui concerne les lois qui ont été annoncées et discutées », affirme-t-elle. Par exemple, elle demande ainsi que soit mise en exécution le plus vite possible l’âge du mariage à 18, « pou ki bane baba aret maryer ! »

Sarvesh Dosooye (psychologue) : « On doit encourager les pratiques égalitaires chez les entreprises »

Pour le psychologue Sarvesh Dosooye, spécialisé dans les relations humaines sur le lieu du travail, certains employeurs exercent une discrimination vu que les femmes pourront devenir mamans. « Ça ne veut pas dire que quand la femme va avoir des enfants, elle ne peut pas contribuer au travail », indique le psychologue.

Toutefois, pour lui, il y a une prise de conscience au niveau des employeurs. Certains employeurs savent valoriser la femme, et lui donnant sa dignité et en reconnaissant sa contribution. Sur la parité du salaire entre l’homme et la femme, on devrait encourager les entreprises à adopter des pratiques égalitaires pour que les deux genres aient le même salaire. « Le changement commence à venir, mais la bataille continue », précise notre interlocuteur.

 Karen Foo Kune (députée du mauve) :

« La femme n’est pas assez partie prenante dans le processus de prise de décision »

 Karen Foo Kune, députée mauve de la circonscription no 20 (Beau-Bassin/Petite-Rivière) affirme que la femme n’est pas assez partie prenante dans le processus de prise de décision. « Il faut être capable d’intégrer dignement la femme dans le monde professionnel. Il faut dès lors que les femmes prennent le devant pour qu’il puisse y avoir des changements », affirme-t-elle.

Elle souligne le fait que le problème de l’égalité des genres est « un problème de fond ». « C’est-à-dire, dès l’enfance, les valeurs appropriées doivent être inculquées aux enfants », explique-t-elle. Toutefois, elle insiste pour que les hommes soient aussi associés dans ce combat. Selon elle, « Ce combat est un combat de l’homme et la femme, côte à côte, et non pas un combat impliquant seulement les femmes pour les femmes. »

Anushka Virahsawmy (Gender Links) : « La discrimination est toujours flagrante dans plusieurs secteurs »

La directrice de Gender Links, Anushka Virahsawmy explique qu’il y a toujours un gros problème du côté de la violence domestique contre les femmes.

Abordant le volet de la discrimination au travail, notre interlocutrice explique c’est flagrant dans différents secteurs. D’après un rapport de la Banque mondiale en 2018 que, les femmes gagnent 30 %  moins que les hommes. Une disparité qu’elle qualifie « d’énorme ».

Ainsi, dans de nombreuses entreprises, le problème d’inégalité perdure. Cela constitue  un véritable problème pour les femmes qui veulent fonder une famille, et si l’entreprise n’est pas prête à aider ou à donner un peu plus de temps, cette discrimination va perdurer.

En ce qui concerne la politique, « Il y a un long chemin encore à faire, même qu’il y ait eu un petit progrès. On constate qu’à la tête de tous les partis politiques aujourd’hui, surtout les grands partis politiques, ce sont les hommes qui occupent le devant de la scène. Il y a toutefois des partis, qui ont laissé le champ libre aux femmes, et ces politiciennes ont abattu un travail énorme pour les femmes », avance-t-elle.

Sheila Bappoo (ex-ministre de la Femme) : « La femme est toujours victime d’abus »

L’ancienne ministre de la Femme, Sheila Bappoo, est d’avis que depuis 1975 (l’année où a été décrétée pour la première fois la Journée internationale de la Femme), il y a eu beaucoup d’évolution au niveau mondial, mais qu’à Maurice, malgré l’évolution politique, le pays est encore en arrière-plan.

Elle plaide pour que le secteur des PME (petites et moyennes entreprises) mauricienes attire plus de femmes, comme l’ont fait la Chine, l’Inde et divers pays d’Afrique, notamment en termes de financement, ce qui encouragerait et aiderait les femmes à contribuer encore plus dans l’économie.

Sur le plan social, Sheila Bappoo lâche que hélas, la femme mauricienne est toujours victime d’abus. Tous les gouvernements successifs ont essayé d’amender les lois pour prévenir ces abus, en vain, les choses ne changent pas.

En tant qu’ancienne parlementaire, elle condamne le fait que les grands partis politiques, n’ont pas aligné 30 % de candidates. « Tous les partis débattent sur la chose, mais quand le grand moment arrive, rien n’est fait », lâche-t-elle.

Pour une société plus égalitaire

Sheila Bappoo propose plus de campagnes de sensibilisation, visant les hommes et les femmes, de tous les âges. « Si ce sont seulement les femmes qui vont être sensibilisées, le problème ne va jamais avoir de fin, car ce sont les femmes qui sont majoritairement les victimes », explique-t-elle.

Tout comme Jane Ragoo et Karen Foo Kune, elle pense aussi qu’il faut par un changement de mentalité, qui commence par une éducation sur les valeurs humaines, débutant à la petite enfance. Il faudrait éduquer tous les enfants de la même manière, leur faire comprendre qu’ils sont tous capables et peuvent tout faire, et les encourager à travailler ensemble,

A la maison aussi, il y a toute une éducation à faire pour faire comprendre à l’enfant que nous sommes tous égaux : garçons et filles peuvent faire la vaisselle, sécher le linge, aider dans la cuisine, aider les plus petits, aider les grands-parents, jouer au ballon ou à la poupée ensemble.

Aurore Perraud, ex-ministre de l’Égalité des Genres

« Maurice fait piètre figure sur le plan international »

Aurore Perraud nous a pour sa part donné un peu plus de détails pour mieux comprendre la problématique entre le genre et la violence domestique, à travers des études qui ont été faites, notamment le ‘Sociological Profiling of Perpatrators of Domestic Violence’, le ‘Gender Audit in the Civil Service’, le ‘Participatory Gender Audit in the Private Sector’.

Quant à la place de la femme dans la politique en 2020, elle fait ressortir que lors des dernières élections en 2019, sur 60 candidats, les grands partis avaient aligné seulement 12 femmes, ceci malgré que nous sommes signataires de nombreuses conventions : CEDAW, Beijing Declaration and Platform for Action, Optional Protocol on Violence against Women, Protocol to the African Charter on Human and Peoples’ Rights of Women in Africa.

Le gouvernement actuel a nommé seulement 3 femmes contre 24 hommes dans le cabinet ministériel. « Maurice fait piètre figure sur le plan international », explique-t-elle. La société patriarcale et la mentalité n’ont pas beaucoup évolué pour encourager l’engagement des femmes en politique. « Maurice a un très long chemin à faire pour donner à la femme la place qui lui revient sur la scène politique », dit-elle.

A l’aube du 52e anniversaire de notre indépendance, quelle analyse peut-on faire de l’égalité des genres au travail ? « L’égalité des genres n’est pas une réalité dans le domaine du travail », selon Aurore Perraud. « À travail égal, salaire égal, un principe qui n’existe pas dans le monde du travail. Le harcèlement est un problème dont font face beaucoup de femmes », selon elle.

Hors-Texte

Scrutin de novembre 2019 : Faible taux de participation des femmes

Normalement, les femmes représentent plus de 50 % de l’électorat, mais elles sont toujours sous-représentées comme candidates, comme le démontre les élections du 7 novembre 2019.

Lors des dernières élections, les grandes formations politiques de Maurice, comme l’Alliance Nationale, l’Alliance Morisien et le MMM, ont aligné seulement 20 % de candidates, soit 12 femmes, malgré les promesses de leurs leaders.

En outre, seulement trois femmes ont été nommées dans le nouveau cabinet ministériel, dont Leela Devi Dookhun Luchoomun, Fazila Jeewa Daureeawoo et Kalpana Koonjoo Shah.

 

N.N, S.K, A.A