Jocelyn Chan Low : « La popularité et la crédibilité du gouvernement ont pris un sale coup »

L’Associate Professor à la retraite et l’observateur politique, Jocelyn Chan Low, affirme qu’avec les divers scandales, la popularité et la crédibilité du gouvernement de l’Alliance Lepep ont sans doute pris un sale coup au sein de la population. Dans une interview accordée au Sunday Times, il soutient que le spectacle des ministres, s’entredéchirant, projette l’image très négative d’un gouvernement à la dérive, où il y a un manque  flagrant de sérieux  tout au moins chez certains. Il déclare aussi que ce serait idéal que chaque parti politique aille seul aux prochaines élections générales. Par ailleurs, il laisse entendre que  le MMM s’est fragmenté en plusieurs morceaux, outre le fait qu’il a tellement pratiqué les renversements d’alliances  qu’il a un sérieux handicap au niveau de sa crédibilité.

Propos recueillis par Sanjay BIJLOLL

 

Q : Après deux ans seulement au pouvoir, le gouvernement est secoué par de nombreux scandales. En tant qu’observateur politique, pensez-vous que l’Alliance Lepep arriverait à s’en sortir?

R : Avec les divers  ‘scandales’,  la popularité et la crédibilité du gouvernement ont sans doute pris un sale coup au sein de la population, mais il dispose d’une solide majorité au Parlement, sans compter  que le MSM, à lui tout seul, détient une  majorité parlementaire alors que de l’autre côté, l’opposition est très divisée. D’ailleurs, tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l’Indépendance ont connu  leur lot de scandales, d’affaires politico-financières et de secousses internes. Et sir Anerood Jugnauth a connu la pire situation. Par exemple en 1985, il y eut l’affaire Amsterdam, le départ de Khader Bhayat  et  d’autres  ‘senior ministers’, la ‘démission’ d’Harish Boodhoo, etc. Or, le gouvernement avait survécu et même remporté les élections en 1987.

Évidemment beaucoup dépendra de la suite des événements. Est-ce que quelqu’un pourra mettre un peu d’ordre dans cette pagaille qui s’est installée depuis peu, avec des ministres s’affrontant ouvertement ou d’une manière indirecte ? Le temps nous le dira.

 

Q : Il paraît que le gouvernement de l’Alliance Lepep est miné à l’intérieur par des clans, des bisbilles et même de guerre ouverte, à l’instar de l’épisode Lutchmeenaraidoo-Bhadain où l’un a même juré un affidavit contre l’autre. N’est-ce pas là un mauvais signal que ces ministres envoient à la population ?

R : Bien sûr ! L’exemple vient d’en haut. A chaque occasion, sir Anerood Jugnauth ne manque pas de souligner  à la population l’importance du travail et de la discipline afin que Maurice puisse amorcer un deuxième miracle économique. Mais  le spectacle de ministres, s’entredéchirant, projette au  contraire l’image très négative d’un gouvernement à la dérive, où il y a un manque  flagrant de sérieux  tout du moins chez certains.

Sans compter que cette instabilité n’est guère propice aux investissements.

 

Q : Le Premier ministre n’a-t-il pas failli à ses responsabilités en ne parvenant pas à rappeler ses troupes à l’ordre ?

R : Dans une certaine mesure oui, mais il faut aller au fond du problème.

Nous ne sommes pas en régime présidentiel mais dans une démocratie parlementaire où le Premier ministre est le leader d’un parti ou d’une alliance majoritaire. Or, quand SAJ a quitté le Réduit, il n’était à la tête d’un parti. Pourtant le remake 2000 l’avait présenté comme PM pour les trois premières années et l’Alliance Lepep pour toute la durée du mandat. Aujourd’hui, il  dépend  complètement des leaders des différents partis. Il a lui-même avoué au Parlement que l’Heritage City était son projet, mais qu’il a dû l’abandonner  parce que les leaders des trois partis étaient contre la continuation du projet. Idem pour le cas de Lutchmeenaraidoo qui pendant la tempête est allé chercher du soutien chez Pravind Jugnauth. Donc, il y  a plusieurs pôles de pouvoir, et à mon avis, SAJ n’a plus les coudées franches.

 

R : Les Mauriciens éprouvent déjà un sentiment de ras-le-bol alors que le régime en place n’est qu’à sa deuxième année de règne.  Pensez-vous qu’il pourra aller jusqu’au bout de son mandat, surtout quand on sait qu’il y a une instabilité au sein de l’Alliance Lepep au vu des divers épisodes koz-kozé de part et d’autre ?

R : Qu’il ira au bout de son mandat, je n’en doute point puisqu’il dispose d’une solide majorité au Parlement. En outre, SAJ a, à plusieurs reprises, affirmé qu’il terminera son mandat.  Il  est vrai aussi qu’un grand nombre de Mauriciens reprochent au gouvernement  actuel certaines pratiques-notamment au niveau des nominations-qui ressemblent beaucoup à  celles en cours sous l’ancien régime. Mais, c’est surtout sur le plan économique que le régime sera évalué. Et à ce niveau, le défi est énorme et le gouvernement a placé la barre très haut et demande du  temps. Sur ce plan, le gouvernement est condamné à survivre.

 

Q : En dépit de nombreux scandales, les partis de l’opposition semblent avoir du mal à rallier la population derrière eux. Comment expliquez-vous cette léthargie des partis de l’opposition et des Mauriciens en général ?

R : Cette léthargie  est due à plusieurs facteurs. Le leader du Parti travailliste souffre d’un déficit de crédibilité en raison de  divers procès auxquels il a  à faire face-Roches Noirs, les millions des coffres-forts, etc. Quant au MMM, il s’est fragmenté  en plusieurs morceaux, outre du fait qu’il a tellement pratiqué les renversements d’alliances  qu’il a un sérieux handicap au niveau de sa crédibilité. Mais il ne faut pas s’y méprendre. A l’île Maurice, les changements de gouvernements, à travers les urnes, sont très fréquents.

  • «  Le spectacle des ministres, s’entre-déchirant, projette l’image très négative d’un gouvernement à la dérive »

 

Q : L’ancien Premier ministre, Dr Navin Ramgoolam, a souhaité que chaque parti politique aille seul aux prochaines élections générales. Etes-vous sur la même longueur d’onde que lui ?

R : Ce serait l’idéal, mais le système électoral à l’île Maurice est basé sur le first past the post. Cela conduit inévitablement à des alliances car l’électeur  pratique le vote stratégique. Il vote celui qu’il croit va remporter la victoire. Comme Gaëtan Duval le  disait  si bien «  il vole au secours de la victoire » . En outre un tel système amplifie démesurément la représentation du vainqueur au Parlement. C’est pour cela que toute la vie politique tourne autour des alliances, les partis traditionnels ne voulant prendre aucun risque.

 

Q : Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’il est temps d’en finir avec les partis traditionnels et que le lancement d’un nouveau parti politique crédible s’impose ?

R : Encore une fois, ce serait l’idéal. Mais le MMM aussi, à sa naissance,  se présentait comme un parti qui voulait bousculer les pratiques de la culture politique d’alors. Mais en décidant de prendre le pouvoir à travers les élections, il a intégré le système et le système l’a transformé. J’ai peur que la même chose  se reproduise pour ce nouveau parti si jamais il émerge. Car le système actuel ne favorise pas l’émergence d’une troisième force. Il y  a eu plusieurs tentatives dans le passé de créer une troisième force. Elles ont toutes échoué lamentablement.

 

Q : L’affaire Trilochun continue à faire beaucoup de bruits. Ềtes-vous aussi choqué que le Premier ministre quant à ses honoraires de Rs 19 millions?

R : Comment ne pas l’être ? Surtout quand l’ex-directeur de l’ICTA nous fait comprendre qu’il aurait fallu passer par un appel d’offres pour toute somme dépassant les Rs 5 millions. Attendons les résultats de l’enquête initiée autour de cette affaire qui, aujourd’hui, a pris une autre tournure.

 

Q : Quel scénario politique prévoyez-vous aux prochaines législatives prévues dans trois ans ?

R : Il est toujours hasardeux de prévoir le jeu des alliances   à l’ile Maurice. Jusqu’à la veille des élections générales, toutes les permutations sont possibles. On ne peut donc que constater le présent où  le dégel entre Pravind Jugnauth et le leader du MMM est une réalité tout comme le retour de certains partisans du PTr à la case mama.

 

Q : Un mot de la fin ?

R : Je souhaite, comme la majorité des Mauriciens, qu’il y ait plus de sérénité, de sérieux  et de rigueur  dans la gestion des affaires du pays. Maurice est à un tournant de son histoire. Elle a des atouts pour rejoindre le club sélect des high income countries en l’espace d’une décennie. Pour cela, il faut plus de discipline et de rigueur même au sein du gouvernement.