Jean-Claude Barbier : « On recherche l’alternance au gouvernement actuel »

Le député du Mouvement Patriotique (MP), Jean-Claude Barbier, aborde le sujet d’alliance en vue des prochaines élections générales. La seule alternance, selon lui, demeure le Parti Travailliste (PTr) et non le MSM. Le député de la circonscription no. 1 évoque aussi un autre sujet qui lui tient particulièrement à cœur, soit celui de proposer un nouveau mode de fonctionnement pour le MP, mais aussi pour les autres partis politiques.

Zahirah RADHA

 

Q : Le bureau national du MP, paraît-il, est en présence d’une motion en faveur d’une alliance avec le MSM et que les membres sont divisés sur la question. Qu’en est-il exactement ?

Non, ce n’est pas exact. Il n’y a pas eu de motion mais plutôt une proposition faite par deux ou trois membres pour que le MP ouvre une ligne de communication avec le MSM. Point à la ligne. La question d’alliance avec le MSM n’est pas à l’ordre du jour.

Q : Mais qu’entendez-vous par une ligne de communication ?

(Rires) Koz kozé en d’autres mots.

Q : Certainement, mais à quelle fin ?

On peut toujours commencer à « koz kozé » et de l’arrêter par la suite. Le « koz kozé » n’aboutit pas nécessairement à des choses concrètes. De toutes les façons, on « koz koz » et on discute souvent dans les couloirs de l’Assemblée nationale, surtout parce qu’on a des amis dans les autres partis, même si on n’épouse pas la même politique ou les mêmes philosophies. Mais est-ce qu’on l’appelle vraiment une ligne de communication ? Je ne le crois pas.

Une ligne de communication, c’est quand il y a quelque chose d’établi entre les dirigeants et qu’on essaie de trouver un terrain d’entente. Toutefois, ce n’est pas le cas actuellement. Il y a eu certes une proposition pour qu’on établisse cette ligne de communication avec le MSM, mais qui va le faire ? Je ne vois personne au sein du MP qui osera prendre les devants.

Q : Pourquoi pas ?

Ce n’est pas aussi facile de contracter une alliance avec le gouvernement quand on a combattu plusieurs de ses actions durant cinq ans. Je le trouve personnellement grotesque et irrationnel. D’ailleurs, comment l’expliquer et la faire accepter à ceux qui nous ont suivis durant tout ce temps ? Ce sera très difficile. Il y a eu, sous ce gouvernement, des mesures répressives alors que d’autres promesses électorales n’ont pas encore été réalisées.

Le gouvernement avait, par exemple, promis une « Freedom of Information Act » mais, en réalité, il y a eu un amendement à l’ICT Act pour empêcher les gens de s’exprimer et la presse d’informer, comme le montre les convocations récentes des journalistes. Je ne veux pas m’attarder sur toutes ces mesures répressives ou les promesses non-tenues telles que la fourniture d’eau sur une base 24/7, mais la liste est longue tout simplement.

Q : Quelle autre option le MP a-t-il sinon que de s’allier au PTr ?

Il faut être réaliste. Le MP n’existe que depuis quatre ans et il n’a que deux députés à l’Assemblée nationale. On est passé par une petite secousse, il faut l’avouer, mais on est en reconstruction. Ceci dit, le MP avait participé à l’élection partielle au no. 18 et il est maintenant dans la course au no. 7. On sera évidemment présent aux élections générales. L’alternatif pour moi, ainsi que pour d’autres membres du MP, reste le PTr.

La situation économique, le law and order et les mesures répressives prises sous ce présent gouvernement nous préoccupent beaucoup. Je l’avais soutenu aux dernières élections municipales parce que je croyais qu’il allait tenir ses promesses. Malheureusement, il a fait tout le contraire de ce qu’il avait dit. Sans compter les gaspillages des fonds publics, comme les Rs 19 milliards pour les caméras de Safe City, et les nominations scandaleuses des proches à des postes clés. On est à l’heure du bilan et le gouvernement est loin d’en avoir un qui soit bon. Sur le plan économique, par exemple, si on ne fait rien, Maurice s’explosera comme la Grèce. Tous les économistes vous le diront d’ailleurs. Raison pour laquelle le PTr demeure le seul alternatif.

Q : Y a-t-il déjà eu une ligne de communication avec le PTr ?

Effectivement, oui. Alan Ganoo l’a dit d’ailleurs.

Q : Etes-vous à la recherche du meilleur deal, comme certains le disent ?

Je ne sais pas qui a dit cela, mais ce n’est pas du tout ce qu’on recherche.

Q : Que recherchez-vous donc dans une alliance ?

L’alternance au gouvernement actuel.

Q : Quelles sont les conditions du MP ?

Qui dit alliance dit conditions. Dans les grandes lignes, il faut que le programme électoral comprenne une réforme électorale, une « Freedom of Information Act » et une meilleure représentation féminine au Parlement, entre autres. Au sein du MP, on milite en faveur de l’introduction du langage kreol au Parlement.

Q : Quid de la question de tickets ?

C’est toujours en négociation. À ce stade, rien n’est finalisé. Vous savez, la question de partage des tickets est un exercice très compliqué. Si éventuellement, il y a une alliance entre deux ou trois partenaires, il faudra voir comment classer leurs candidats potentiels respectifs au niveau des différentes circonscriptions tout en prenant en considération certains critères ainsi que les spécificités de chaque circonscription.

À Maurice, cet exercice est équivalent à double the trouble. Il peut même provoquer des mécontents. Cela prendra donc le temps qu’il faudra. Il y a plusieurs personnes qui travaillent sur ce dossier. Attendons voir ce que cela donnera dans la forme, une fois approuvée.

Q : Au sein du MP, avez-vous déjà une ébauche du programme que vous aimeriez voir appliquer ?

On a un préambule où on définit le MP et sa philosophie politique. Il y a aussi eu des documents relatifs aux valeurs que nous défendons, que ce soit sur l’ethnicité, le cannabis, le langage kreol ou encore sur la limitation de deux mandats pour le Premier ministre. Il y a une série d’autres sujets qu’on a déjà abordé et sur lesquels on a  apporté des débats et des réflexions d’une façon dépassionnée.

Il reste maintenant à converger nos objectifs à ceux de nos alliés. Notre position sur le cannabis médical rejoint d’ailleurs celles du PTr et du PMSD qui ont adopté une approche plus acceptable, civilisée et ouverte. Le gouvernement, lui, a raidi la ligne sur cette question de peur d’y laisser quelques plumes. Cependant, l’économie demeure notre priorité puisque le gouvernement a failli lamentablement sur ce dossier, d’autant qu’il ne propose jusqu’ici aucun plan pour montrer comment il la redressera.

Q : Certains de vos anciens camarades de parti, du temps où vous étiez au MMM, semblent subitement apprécier le gouvernement. Est-ce une indication que ce dernier ratisse large en dépit de toutes les critiques ?

(Rires) Est-ce ratisser large ou débaucher ? Ils essaient de débaucher le maximum de personnes. Mais ce débauchage entraînera des conséquences graves pour le MSM. Vous verrez les réactions au moment du partage des tickets.

Quant au MMM, j’avais déjà prédit, deux ans de cela, qu’il passera par une crise à l’approche des élections. J’en étais sûr parce que je sais qu’il y a un problème organisationnel au sein de ce parti. C’était donc inévitable. Malheureusement, certains ne l’ont toujours pas compris. Ils adoptent toujours cette attitude « moi, moi et moi ».

Q : Qu’est-ce que le MMM aurait dû faire pour surmonter cette crise, selon vous ?

Vous en aurez une idée quand on publiera officiellement la constitution du MP, d’ici les élections peut-être. Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi je devrais leur donner des idées. Ils n’écouteront pas de toutes les façons. J’ai déjà essayé de le faire, tout comme Obeegadoo. En vain.

Q : En tant qu’ancien militant, pensez-vous que le MMM peut toujours rebondir ?

Pas tout de suite. Après les élections générales cependant, il devra, une fois pour toutes, revoir sa gestion. S’il y a une remise en question, le MMM peut remonter la pente. Mieux, s’il change de stratégie, nomme un nouveau leader avec de nouvelles idées et qui gère le parti avec une nouvelle approche, il pourra certainement rebondir. En fait, le MMM a tout pour pouvoir rebondir.

Q : Les partis politiques traditionnels manquent-ils cette capacité de se remettre en question ?

Ç’aurait encore été bien s’il en manquait. Mais ils n’ont point de capacité de se remettre en question ! Cela s’explique par le fait qu’ils fonctionnent dans un cadre limité où tout se tourne autour du leader. C’est lui qui sait tout et qui décide de tout. Raison pour laquelle certaines de leurs décisions sont contestées.

Le programme sur lequel nous travaillons sera synonyme d’une rupture totale par rapport au fonctionnement des partis. Les autres partis pourront même l’essayer sur une base pilote. Au cas contraire, on sera condamné à vivre le même cinéma qu’on a vu durant ces cinq dernières décennies pendant encore cinquante ans.

Q : Vous êtes confiant de pouvoir apporter ce changement?

We have to start somewhere. On sait qu’on peut au moins le démarrer. Dans cinq ans, je suis sûr que je ne serai plus intéressé à faire partie de la course politique. Même pour les prochaines élections, mon objectif n’est pas d’obtenir un ticket, mais plutôt de faire partie d’une équipe qui nous permet de nous épanouir et de poursuivre les discussions en vue d’améliorer le paysage politique mauricien.  Il faudra un débat sur toute la question. Bien entendu, ce ne sera pas possible pour les élections qui viennent mais pour celles qui auront lieu dans cinq ans.

Q : Est-ce que ce changement doit passer par une réforme électorale et un redécoupage des circonscriptions ?

Pas nécessairement, mais ce serait bien que tel soit le cas. Je pense qu’il faut d’abord revoir le fonctionnement des partis politiques, dont le problématique des tickets. Il faut challenge le système existant. On veut proposer une rupture au lieu d’un leadership qui décide à la place de tout le monde. On prendra le risque d’apporter quelque chose de nouveau pour provoquer des débats, comme on l’avait fait sur le cannabis il y a trois ans de cela. Je suis confiant qu’on pourra au moins ouvrir les débats. Ce sera un grand pas en avant.