Interview de Rashid Imrith : « Rs 13 500 comme salaire minimum n’est pas exagéré »

  • « Le gouvernement ne doit pas se presser avec le ‘third reading’ du NWCC Bill »

Rashid Imrith, dirigeant syndical chevronné de la Fonction publique, a bienveillamment accepté de répondre à nos questions sur le salaire minimum, le National Wages Consultative Council Bill étant sur la table de l’Assemblée nationale pour être débattu. S’appuyant sur les conclusions de l’Office central de statistique au terme d’une étude scientifique, le président de la Fédération des Syndicats du Service Public (FSSP) soutient que Rs 13 500 comme salaire minimum n’est pas un chiffre exagéré. Dans l’entretien qui suit, il s’explique.

 

Dans son manifeste électoral, l’Alliance Lepep avait pris l’engagement qu’une fois au pouvoir au terme du scrutin du 10 décembre 2014, elle allait introduire le salaire minimum dans les trois mois suivant son intronisation, n’est-ce pas ?

C’est vrai de dire que c’était une promesse électorale faite lors de la dernière campagne en vue des législatives de décembre 2014. En mars 2015 au plus tard, on aurait dû déjà présenter le projet de loi sur la salaire minimum. « It was long overdue. » Ce n’est que le 28 août 2015 que nous avons eu une première réunion de travail avec le ministère concerné.  Le 14 octobre 2015, nous aurons une rencontre avec le ‘Director of Labour’.

 

Que s’est-il passé lors de ces deux réunions ?

À chaque fois, le gouvernement devait prendre l’engagement de tenir des discussions avec les syndicats sur le contenu du projet de loi. C’est à ce moment-là que le mouvement syndical a insisté pour rencontrer le ministre Soodesh Callichurn. Ce dernier a accepté de nous recevoir le 26 novembre 2015 pour nous informer que le National Wages Consultative Council Bill sera déposé à l’Assemblée nationale en février ou mars 2016 non sans assurer les dirigeants syndicaux qu’ils allaient recevoir une copie…

 

Et l’engagement gouvernemental sur les points que les syndicalistes ont soulevé lors de ces trois réunions n’ont donc pas été respectés ?

Nous avons été pris par surprise quand nous avons appris que le Cabinet a, le 22 avril 2016, pris note d’un avant-projet de loi dont la première lecture à l’Assemblée nationale se fera le mardi 26 avril. Ce n’est que la veille, soit le lundi 25 avril, que toutes les confédérations syndicales recevront une copie du Bill par « special dispatch. »

 

Outre l’important sujet qu’est le salaire minimum, que contient le National Wage Consultative Council Bill ?

L’autre important aspect de ce projet de loi piloté par le ministre du Travail, des Relations industrielles, de l’Emploi et de la Formation, après l’introduction d’un salaire minimum national aux employés des secteurs public et privé, est le paiement d’une compensation salariale à tous les travailleurs du privé et du public suite à la hausse dans l’indice des prix à la consommation  (CPI- Consumer Price Index). Voilà pourquoi il y a eu cet « outcry » parmi les syndicats.

 

  • « Jusqu’ici nous n’avons eu droit qu’à des discours académiques »

Pourquoi ce tollé syndical ?

Parce que sur deux questions aussi importantes, les hommes politiques ne peuvent pas « lave lamé complètement ek sa » pour les laisser entre les mains des fonctionnaires qui siégeront sur le National Wage Consultative Council (NWCC). C’est l’indignation des syndicalistes qui a poussé Soodesh Callichurn à se lancer dans une série de consultations les 4 et 5 mai. Le vendredi 13 mai, le ministre du Travail a présidé une réunion après avoir écouté, individuellement, les dirigeants de neuf confédérations syndicales suivant le mémorandum qu’ils ont soumis au ministère. Ce jour-là, le ministre devait annoncer trois changements majeurs qu’il allait apporter dans le Bill.

 

Que sont-ils ?

Premièrement, le NWC Council ne s’occuperait pas de la question de compensation salariale suite à la hausse dans le CPI. Deuxièmement, la définition de « Young Workers » sera revue. Et troisièmement, la clause de confidentialité sera enlevée pour que ne soit pas poursuivie toute personne qui aurait divulgué des informations ou délibérations du Conseil. Dans le Bill, provision avait été faite pour des poursuites en justice avec une amende de Rs 50 000 ou une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an.

 

  • « Il faut laisser les parlementaires s’exprimer librement sur ce projet de loi historique »

Est-ce tout qu’il y avait comme désaccord sur ce projet de loi ?

Il y a d’autres points évidemment surtout concernant la nomination du président du Council par le ministre ou encore le fait que toutes les recommandations du NWCC seront remises au ministre. Ainsi, ce dernier aurait eu trois possibilités une fois en présence de ces recommandations : 1. Les accepter et faire des règlements pour les appliquer. 2. Les rejeter. 3. Apporter des modifications et ne pas prendre en considération ce que le NWCC a recommandé. Tout ça faisait partie de notre contestation.

 

Le montant du salaire minimum est aussi une pomme de discorde, non ?

Pour le montant du salaire minimum, c’est le gouvernement qui doit venir de l’avant avec son chiffre parce que c’est une décision politique. Si le gouvernement insiste pour que cette tâche soit confiée au Conseil, c’est un politicien qui doit le présider, en l’occurrence le ministre des Finances, assisté de six autres ministres. Ainsi, c’est le National Wage Consultative Council qui devra décider des paramètres pour déterminer le salaire minimum.

Tels que ces paramètres  sont définis dans le projet de loi et avec l’objectif du Conseil, nous craignons fort que le salaire minimum décidé par le NWCC ne soit pas à la hauteur des aspirations des citoyens, surtout de ceux qui ont plébiscité l’Alliance Lepep en décembre 2014. Selon nous, le salaire minimum décidé sur la base des paramètres du présent projet de loi ne dépassera pas Rs 6 500 ou Rs 7 000.

 

Comment réagissez-vous devant la référence du ministre aux conclusions d’un expert de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur le sujet ?

L’expert de l’OIT avait proposé plusieurs scénarios, en septembre 2014, en se basant entre autres sur le Household Budget Survey (HBS). Le dernier rapport sur le HBS rédigé par le Bureau central de statistique, en 2012, avait conclu que les dépenses moyennes mensuelles d’un ménage (average household monthly expenditure) à Maurice étaient de Rs 24 000. Quand nous avons mis à jour le rapport quatre ans plus tard, nous avons réalisé que la corbeille ménagère a subi une hausse entre Rs 1 500 et Rs 2 000. Quand nous divisons le nouveau total par deux en considérant que deux personnes travaillent dans une famille, nous arrivons au chiffre de Rs 13 000 à Rs 13 500 qu’un travailleur doit contribuer aux revenus familiaux, mensuellement, pour faire face à la réalité. Il faut déterminer le montant du salaire minimum en fonction des dépenses à la lumière des chiffres du Central Statistical Office qui sont le fruit d’une étude scientifique. C’est pourquoi nous disons que c’est le gouvernement qui doit déterminer le montant et l’officialiser. C’est une décision politique et historique. Parce que c’est la première fois que sera déterminé le salaire en fonction des dépenses.

 

Sera-t-il applicable aux travailleurs du secteur public comme celui du privé ?

Quand nous parlons de salaire minimum, nous faisons référence à tous les travailleurs du pays, qu’ils soient de la fonction publique ou du secteur privé. Dans le public, avec le rapport du PRB 2016, le salaire minimum est de Rs 8 100 alors que celui d’un employé du privé au bas de l’échelle tourne autour de Rs 6 000. Dans la zone franche, c’est Rs 5 000. Le salaire minimum ne doit pas être le Gross Pay imprimé sur le Salary Slip d’un travailleur, mais le Net Pay qu’il perçoit et qu’il peut ramener chez lui à la fin du mois après toutes les déductions à la source.  Nous avons aussi en tête la classe moyenne qui touche entre RS 15 000 et Rs 40 000 et qui ne bénéficie d’aucune facilité de l’État pour un emprunt à un taux préférentiel pour la construction d’une maison ou une subvention pour couler sa dalle. Un tel employé n’a pas droit à une aide légale, doit payer le PAYE (Pay As You Earn) et est contraint d’emprunter pour financer les études tertiaires de ses enfants. En fin de compte, il se retrouve avec une somme maigrelette à la fin du mois. Nous sommes d’avis que quand le gouvernement parle du combat contre la pauvreté à travers le salaire minimum, il doit prendre en considération la situation précaire des citoyens de la  classe moyenne.

 

  • « C’est le ministre des Finances qui doit présider le NWC Council »

Qu’avez-vous retenu du discours du ministre Callichurn au Parlement mardi dernier ?

Je constate qu’il est venu avec d’autres amendements au sujet de la définition de « Trade Unions » comme contenue dans le projet de loi original où un syndicat est défini comme un groupe de personnes appartenant à une association enregistrée ou pas. Mardi, Soodesh Callichurn a redéfini Trade Unions et au sein du NWCC, il y aura sept représentants d’organisations des travailleurs avec quatre du privé et trois du public. Pour nous, cet amendement équivaut à une catégorisation des syndicats. Si nous nous inspirons de la philosophie du ministre, nous proposerons, qu’au lieu de sept représentants des employeurs du privé, qu’il y ait, au sein du Conseil, quatre seulement et trois venant des rangs du gouvernement comme ce serait le cas pour les syndicats. Au lieu de 21, nous aurons 14 membres au sein du Council.

 

Depuis la présentation en première lecture, y a-t-il eu des améliorations au NWCC Bill ?

Oui, il y a eu des changements de fond. C’est pourquoi nous disons que le gouvernement ne doit pas « rush with the third reading ». Donnez-nous le temps pour que nous ayons une loi qui répondra aux aspirations de tous les travailleurs. J’ajoute que pour un débat aussi important, il faut laisser les députés s’exprimer librement et non leur imposer la discipline du parti. Nous remarquons que les parlementaires de l’Alliance Lepep sont en train de prononcer des discours académiques et il paraît qu’ils ignorent l’enjeu historique autour du salaire minimum. Le combat pour décider du salaire minimum date de l’époque de l’esclavage et des travailleurs engagés quand ils n’étaient pourvus que de leurs besoins de base. Le premier rassemblement d’Emmanuel Anquetil à Port-Louis pour un salaire minimum date de 1937-38. Que nos parlementaires réalisent que derrière le salaire minimum, il y a toute une histoire, tout un combat.

 

La question que les travailleurs se posent : qui déterminera finalement le chiffre du salaire minimum ?

Le gouvernement doit le déterminer et ensuite on travaillera ensemble pour son application. Le comité tripartite décide de la compensation salariale suite à la hausse dans le CPI et ce sera un outil important dans l’implémentation du salaire minimum. L’État doit privilégier une politique d’équité de sorte à rapprocher ceux au bas de l’échelle et la classe moyenne vers le haut. C’est la voie pour atteindre la vision gouvernementale de faire de Maurice une « high income economy ». L’appel que nous lançons aux parlementaires, surtout ceux de l’Alliance Lepep, c’est de ne pas rater cette occasion avec l’histoire car le salaire minimum n’est pas une finalité en soi. C’est la vision de pays à revenus élevés qui doit l’être et cela passera par la détermination du salaire minimum et des moyens de son implémentation. Le chiffre de Rs 13 500 comme salaire minimum n’est pas exagéré.