Interview de Dr ArvinBoolell : « Faux, archi-faux de dire qu’on a eu une concession de l’Inde ! »

  • Le gouvernement a adopté une attitude de « retreat and surrender»
  • SAJ a fui devant ses responsabilités

La révision du traité de non double imposition fiscal avec l’Inde sonne le glas pour l’offshore mauricien. C’est ce qu’affirme l’ancien ministre des Affaires étrangères, le Dr Arvin Boolell. Ce secteur, dit-il, subira une mort certaine. Et c’est l’économie mauricienne qui en pâtira! Il tient le présent gouvernement responsable pour cet état de choses. Ce dernier a abdiqué  ses responsabilités, dit-il.

Zahirah RADHA

 

Q : Les bases du Global Business à Maurice tremblent, ses opérateurs sont inquiets et certains parlent même de coup de massue de « Mother India ». Comment réagissez-vous  aux derniers développements sur le dossier de ‘Double Taxation Avoidance Agreement’ (DTAA) entre l’Inde et Maurice ?

R : C’est avec beaucoup de tristesse, de déception et de colère que j’ai pris connaissance des derniers développements. Ce gouvernement n’a pas compris ce que c’est que  la permanence de l’État. Ce dossier nécessitait une approche bipartisane et sur lequel  les autorités concernées auraient dû avoir un ‘cross-party consensus’. D’ailleurs, tous les chefs d’État ont œuvré dans ce sens dans le passé. À commencer par le ‘primeministership’ de sir Anerood Jugnauth (SAJ) en 1991. Rama Sithanen était alors le Grand argentier. Il y a ensuite eu plusieurs autres ministres des Finances : Vasant Bunwaree, Manou Bheenick, Pravind Jugnauth et Xavier-Luc Duval, Paul Bérenger, Vishnu Lutchmeenaraidoo, entre autres. Mais il y a toujours eu une cohésion par rapport à ce dossier.

Or, j’ai été choqué par les récents développements. SAJ, en tant que chef du gouvernement, a fui devant ses responsabilités. Il y avait, depuis juin 2015, une cacophonie incroyable et une politique contradictoire entre le ministre des Services financiers et l’ancien ministre des Finances sur ce dossier. Ce dernier voulait prendre certaines mesures correctives à la demande des opérateurs.

La rencontre de Bhadain avec mon ami Rama Sithanen est, à mon avis, synonyme d’un manque d’égard et un affront aux opérateurs du secteur. La situation est extrêmement grave parce que Maurice, à travers ses négociateurs, a ‘retreat and surrender’ face aux autorités indiennes. Et cela laisse un goût amer étant donné que nos deux pays ont des relations extrêmement privilégiées.

 

Q : Avec la décision de l’Inde d’imposer la ‘Capital Gains Tax’ sur les investissements qui passent par l’offshore mauricien, quel impact cela aura-t-il sur notre Global Business?

R : L’impact sur le Global Business sera considérable. Voyez-vous, il y a 10 000 ‘Global Business Companies’ (GBL1) à Maurice. Quand ces compagnies s’enregistrent, elles doivent effectuer un audit. Cet exercice coûte chacun $ 5000. Donc, seulement les ‘audit fees’ nous rapportent Rs 2 milliards. En sus de cela, il y a les ‘legalfees’. Sans compter les 15 000 gradués qui travaillent, directement ou indirectement, dans ce secteur. Il faut aussi prendre en considération les ‘multiplier agents’, à commencer par les ‘estate agents’ allant jusqu’aux chauffeurs de taxi. Il faut aussi souligner qu’il y a $ 630 millions dans l’‘offshore banking deposit’. Ce dépôt aide indirectement les banques en ce qu’il s’agit du ‘capital adequacy’. Rien qu’en termes d’ ‘Income Tax’, le Global Business contribue à hauteur de 30% des revenus. Il y a au moins 171 ‘licensed management fees’ avec un turnover de $ 191 millions. Qui plus est, le secteur a connu une croissance de 7 % et contribue à plus de 10% du GDP (Gross Domestic Product).

Tout cela sera connaîtra une mort soudaine. ‘C’est ène secteur ki ti kouma dire ene sunrise mais subitement line vine sunset’. On a ébranlé non seulement le secteur de l’offshore, mais aussi celui des services financiers. Et cela impactera inévitablement sur l’économie. Donc c’est toute l’île Maurice qui ‘stand to lose’.

 

Q : C’est en avril 2017 que l’Inde imposera une ‘Capital Gains Tax’ à hauteur de 50%aux investisseurs. Que prévoyez-vous d’ici là ?

R : Soyons plus précis. La décision a été prise de shifter les ‘taxing rights’ de Maurice à l’Inde. C’est ce qu’on appelle la ‘Capital Gains Tax’. On a aussi le ‘grand fathering’, c’est-à-dire que toutes les compagnies existantes ne seront pas inquiétées jusqu’au 1er avril 2017. Ainsi, de 2017 à 2019, soit durant la période de transition, la ‘Capital Gains Tax’ sera de l’ordre de 50% de la valeur de la taxe domestique imposée par l’Inde. A titre d’exemple, si l’Inde applique une taxe de 20%, la ‘Capital Gains Tax’ reviendra à 10%.

« Je me demande si ces Rs 12,7 milliards sont un don ou une ligne de crédit pour des travaux d’infrastructure?»

Maintenant, le ministre de la Bonne gouvernance tente de faire croire qu’on a eu une concession concernant le ‘grandfathering’. C’est faux, voire archi-faux ! Déjà, le ‘General Anti Avoidance Rules’ (GAAR) serait entré en vigueur en 2017. On l’avait déjà ‘secured’. Il n’y a rien de nouveau là-dedans. Donc, le ministre de la Bonne gouvernance est en train de défoncer une porte ouverte quand il dit qu’il y aura une transition. Par contre, en 2019, il y aura un sauve-qui-peut généralisé dans le secteur. D’ores et déjà, avec l’incertitude qui règne, nous serons désavantagés par rapport à Chypre, Singapour ou encore aux Pays-Bas. D’ailleurs, c’est un fait connu que tous les pays qui ont remis en cause la ‘Capital Gains Tax’, fussent-ils l’Indonésie ou la Chine, ‘c’est business zéro’.

Nous avons tout à perdre avec ce nouveau protocole. Nous avons non seulement cédé nos ‘taxing rights’ (l’article 13) à l’Inde, mais nous serons aussi lourdement affectés par le prélèvement d’une nouvelle taxe de 7,5% sur les intérêts perçus sur le remboursement de prêts contractés à Maurice. Le ministre de tutelle a affirmé que l’Inde a littéralement menacé de révoquer le traité. Si la partie indienne a effectivement dit cela, j’aurais, à sa place, quitté la table de négociations. Il ne faut pas oublier qu’on a toujours soutenu la Grande péninsule sur bon nombre de dossiers dans les instances internationales. Le ministre se vante d’avoir reçu une subvention de Rs 12,7 milliards.  Je me demande si ces Rs 12,7 milliards représentant un don ou une ligne de crédit pour des travaux d’infrastructure? Je dois rappeler au ministre de la Bonne gouvernance que l’ancien gouvernement avait reçu une ligne de crédit de plus de $ 650 millions et des facilités énormes pour le projet de métro-léger sans qu’il n’y ait eu de ‘trade off’’.

 

Q : Le gouvernement indien veut combattre, à travers ce traité, l’évasion fiscale et le ‘round-tripping of funds’. Est-ce justifié jusqu’à menacer sérieusement l’un des piliers de notre économie ?

R : Je le dis haut et fort, Maurice se trouve sur la ‘white list’ de l’OCDE(Organisation de coopération et de développement économiques). Maurice s’est toujours plié aux conventions internationales. Même sur les échanges d’informations, on a toujours réagi promptement.

 

Q :New Delhi parle de « more stable and transparent tax regime and long-term positive for investors ». Qu’en pensez-vous ?

R :Si cela avait été vrai, les transactions sur la Bourse indienne n’auraient pas chuté. La presse indienne estime avoir remporté une victoire suite à la campagne infecte qu’elle a menée contre Maurice. Mais elle va vite déchanter.

 

Q : Le gouvernement Lepep, avec Roshi Bhadain surtout, a-t-il échoué dans sa tâche de négocier le meilleur ‘deal’ pour Maurice ?

R : Il ne faudrait pas jeter tout le blâme sur le dos de Bhadain. Il y a aussi Pravind Jugnauth, Xavier-Luc Duval et Vishnu Lutchmeenaraidoo. Ils ont également travaillé sur le dossier. Au sein même du gouvernement, il y a des députés, surtout des comptables et des entrepreneurs,  qui sont en train de « fuming with rage » parce qu’ils estiment que le traité a été mal négocié.

Comme je l’ai déjà dit, le gouvernement a adopté une attitude de ‘retreat and surrender’. Ce qui m’agace, c’est le mépris des négociateurs indiens envers Maurice. Et nous avons prêté flanc à cela de par notre amateurisme. Le Premier ministre et le conseil des ministresn’ont pas assumé leur rôle comme il se doit. Moi, je ne pense pas qu’un ministre puisse ‘overshadow’ un Conseil des ministres. Cela montre très clairement que les ministres se sont résignés et ont abdiqué leurs responsabilités. Ils peuvent monter au créneau pour défendre les cinq grandes compagnies qui investissent dans les ‘smart cities’, mais ils ne peuvent pas le faire quand il s’agit de défendre un secteur où il y a eu une véritable démocratisation de l’économie. À travers cette négociation, le gouvernement a fait un tort immense à la jeunesse mauricienne.

 

Q : De votre point de vue, quelle aurait été une situation gagnant-gagnant pour les deux pays ?

R : Au moment de nos négociations, il y avait deux scénarios. Il n’était pas question pour nous de toucher aux articles 11 et 13, car c’était sacro-saint. Le seul ‘trade off’ qu’on avait accepté par rapport à l’article 13, c’était d’augmenter les ‘limitations of benefits’. ‘As a last resort’, s’il fallait faire un petit ‘trade off’ sur la ‘Capital Gains Tax’, on l’aurait fait. Cependant, les négociations doivent être un ‘two-waytraffic’. Or, nous constatons qu’elles ont été un ‘one-waytraffic’. Ce n’est pas parce que l’Inde a brandi une menace qu’on a dû se plier la queue entre les jambes pour devenir les garçons de courses des autorités indiennes.

Nos malheurs ne s’arrêteront pas là.On veutsoi-disant diversifier et accroître les affaires avec l’Afrique. Les pays africains ont tous des ambassades en Inde. On est membre de l’Union Africaine (UA), de la SADC et du COMESA. Maintenantqu’on a capitulé devant l’Inde, les autorités africaines vont nous compliquer la vie. Mozambique a déjà commencé à faire un remue-ménage. Et les autres pays avec lesquels on a signé des traités de non double imposition vont exiger les mêmes traitements de faveur.

 

Q : Parlons un peu de politique locale. Les sorties publiques des dirigeants travaillistes sont bien accueillies moins de deux ans après leur défaite électorale. Qu’est-ce qui explique ce regain de popularité ?

R :Nos meilleurs agents sont les membres du gouvernement. Ils ont fait des tonnes de promesses qu’ils n’arrivent pas à réaliser. Il y a une série de dérives qui sont synonymes de dérives totalitaires. Il y  a eu une fracture entre le gouvernement et les électeurs. Ces dernierss’estiment victimes d’une haute trahison. Le PTr essaie, pour sa part, de tirer des leçons de ce qui s’est passé. Nous prônons un retour aux sourceset aux valeurs travaillistes. Entre le travail effectué par les députés travaillistes à l’Assemblée nationale et les réunions de mobilisation à travers l’île, je pense que ‘we are well on ourway’.

 

Q : Avec les guerres intestines entre membres du MSM, les tiraillements entre les élus de l’Alliance Lepep, les affaires Lutchmeenaraidoo et Dayal, entre autres, sir AneroodJugnauth maîtrise-t-il la situation ou bien laisse-t-il faire sachant qu’il ne se présentera plus devant l’électorat ?

« On a ébranlé non seulement le secteur de l’offshore, mais aussi celui des services financiers »

R : Je l’ai toujours dit. Le MSM qui est un partenaire majoritaire dans l’Alliance Lepep est une comédie ancrée dans les réalités tragiques de ce parti. Aujourd’hui, il paie les conséquences. La politique a toujours ses lettres de noblesse, mais ce gouvernement l’a dévaluée. Conséquence : il y a un désarroi total. On a vu l’affidavit juré par l’ancien ministre des Finances. On a aussi vu le communiqué émis par le Bureau du Premier ministre pour remettre en cause ce que Lutchmeenaraidoo a dit. Il n’y a ni leadership, ni gouvernance. Le gouvernement devient un agent pour une descente vers un chaos social. Le peuple en a marre. J’aimerais lui rappeler le printemps arabe. Le gouvernement doit comprendre qu’il est en train de provoquer des étincelles. La seule revendication de la masse, c’est qu’on retourne aux urnes au plus vite.