Interview Ashok Radhakissoon : « L’IBA n’est pas juste dans certaines de ses décisions »

Boycott aux conférences de presse, publicités supprimées, suspensions d’antenne, convocations arbitraires, procès en cour… Certains titres de presse font régulièrement les frais des mesures répressives adoptées par les autorités ces derniers temps. L’ancien chairman de l’IBA et de l’ICTA, Ashok Radhakissoon, fait le point sur la situation…

Zahirah RADHA

Q : À la place de la « Freedom of Information Act » promise, on voit plutôt un gouvernement qui s’acharne à vouloir bâillonner une section de la presse. Ironique ?

Très ironique. Les partis politiques ont successivement fait part de leur intention, à travers leurs manifestes électoraux, d’introduire une « Freedom of Information Act » pour garantir l’accès à l’information, que ce soit aux journalistes ou au citoyen. Cependant, on a vu que ceux qui ont donné des informations ont plutôt été visés par des actions répressives et policières. Ce qui poussera bien entendu tous ceux qui ont des informations à partager, soit avec la police ou aux médias, à penser deux fois avant de le faire. Qui voudra chercher d’ennuis même s’il est rempli de bonne volonté ? On se retrouve finalement entre deux pôles extrêmes avec d’un côté la promesse d’une liberté totale de l’accès à l’information, sous certaines réserves de la loi, et de l’autre, une politique de répression contre des informateurs.

Q : Bien que les relations presse-pouvoir n’aient jamais été au beau fixe, ce gouvernement n’a-t-il pas poussé le bouchon trop loin en adoptant certaines mesures considérées comme radicales ?

Je ne dirai pas que les relations presse-pouvoir ont toujours été antagonistiques comme elles le sont dans certains pays. Ce n’est pas l’information elle-même qui pose problème car elle ne peut pas être créée ni par la presse ni par le gouvernement, mais c’est plutôt le traitement de l’information qui est source de divergences. Un média peut traiter une information, après enquête et vérification, à partir d’un angle qu’il juge nécessaire. Il incombe au pouvoir de mesurer l’ampleur de cette information et de juger si elle lui bénéficie ou si elle lui nuit et qu’elle peut lui poser des problèmes en amont.

Si cette information est favorable au gouvernement, il n’y aura pas de réaction négative. Mais si, comme dans la plupart des cas, elle ne plaît pas au gouvernement, il y a un risque qu’il y ait des mesures répressives à travers des arrestations, des affaires en diffamation au civil ou au pénal, un durcissement de la loi ou en abrogeant certaines sections de loi qui donnaient un peu de largesses ou d’espaces démocratiques à la presse, aux radios ou au commun des mortels.

Q : Serait-il juste ou exagéré de dire qu’on se dirige vers une dérive totalitaire ?

Je n’irai pas aussi loin, mais il y a néanmoins eu un changement par rapport à la communication de l’information. Il n’y avait pas auparavant cet élément de peur qu’il y en a maintenant dans la communication et la réception de l’information. Il y a eu des mesures répressives dans le passé mais elles n’ont jamais été de cette ampleur. Si vous avez une information aujourd’hui, vous hésiterez avant de la partager de peur que vous soyez réprimé. Ce qui est mauvais dans ce schéma qui se dessine, c’est que vous devenez au final un agent de blocage d’information. Quand l’information ne circule pas et que la population n’est pas informée, on aura droit à un scénario où le pouvoir prend le dessus sur l’espace démocratique.

Q : Les dénonciations et la publication des informations libres et transparentes sont donc compromises ?

Certainement, surtout si certains organes de presse pensent que leur rédactions ou journalistes pourraient être opprimés ou interdits d’accès dans certains quartiers. Ils auront peur de chercher l’information. Ce qui faussera alors le jeu démocratique car les sections 3 et 12 de la Constitution prévoient la garantie de la circulation de l’information. Quand le pouvoir prend des actions qui entravent la liberté et la garantie pourvues par la Constitution, cela relève d’une démarche anti-démocratique et c’est très grave.

Q : En sommes-nous là ?

Les événements récents me poussent malheureusement à dire que nous en sommes très proche. À titre d’exemple, l’arrestation des journalistes, les critiques publiques surtout lors des manifestations socio-religieuses, l’interdiction d’accès à certains journaux pour la couverture des conférences de presse, etc.

Q : On voit de plus en plus de dénonciateurs qui sont inculpés pour complot. Ne faudrait-il pas une loi pour protéger les ‘whistleblowers’ ?

Il n’y a aucune loi cadre ou généralisée qui protège les ‘whistleblowers’, bien qu’il y ait des règlements sectoriels au niveau de certaines institutions ou opérations financières ainsi que certaines lois comme la POCA ou la FIAMLA qui encouragent le ‘whistleblowing’. Mais j’insiste qu’il faut faire une distinction entre une vraie information et une ‘fake news’. L’informateur doit savoir quelle information il communique.

Si une information est fausse, non-vérifiée et qui peut causer du mal à autrui, la personne qui l’a disséminée est passible de sanctions soit au niveau civil ou au criminel. Mais si l’information n’est pas fausse et qu’elle est soutenue par des documents, il n’y a pas de raison, dans ce cas-ci, pour qu’il y ait des mesures répressives. Quand rien n’est ‘fake’, préjudiciable, et causer du tort à autrui, il n’y a alors rien d’anticonstitutionnel et une arrestation dans ce cas précis serait illégale, condamnable et qui peut être suivie de procédés en cour pour atteinte à la liberté.

Q : Dans un tel contexte, devrions-nous donc dire adieu à une loi qui élargirait l’espace démocratique ?

Théoriquement, toute loi qui vise à élargir l’espace démocratique et donner plus de libertés à ceux qui communiquent l’information est la bienvenue. Mais sur le plan purement politique, ce n’est pas demain qu’on trouvera un gouvernement prendre une telle initiative de son plein gré. Je pense personnellement que le pouvoir et les politiciens ont peur de la communication. Il y a un manque de la culture d’informer et de la maîtrise de la communication parmi nos politiciens.

 

Q : Des hommes et des femmes issus de la sphère de la communication siègent pourtant à l’Assemblée nationale…

C’est cela l’ironie du sort. Ils sont formés pour informer et communiquer, mais maintenant qu’ils sont au pouvoir, ils ont enfermé tout ce qui les attachait à la liberté dans une boîte hermétique et l’ont envoyé au fond de l’océan. C’est un des malheurs que le pays connait actuellement.

Q : Un syndicat de la presse aurait-il pu aider à forcer la main du gouvernement pour faire avancer sa cause ?

J’aurais aimé qu’il y en a. Mais les événements ont démontré qu’il n’y a pas de solidarité au sein de la presse. Je défends Top FM dans plusieurs procès, mais quand elle a été suspendue d’antenne à deux reprises, je n’ai vu aucune solidarité forte de la part d’autres radios et de la presse. Il y a eu certes quelques échos en guise de solidarité, mais il n’y a pas eu de mouvement fort, ferme et organisé pour constituer un rempart et une protection contre ce genre de menaces. D’ailleurs, la menace est toujours présente contre cette radio et nous craignons les conséquences qui pourraient en découler matin et soir. La démarche répressive adoptée contre cette radio vise à lui faire peur pour qu’il puisse ‘toe the line’. Le régulateur joue peut-être ce rôle au nom du pouvoir.

Q : L’IBA ferait donc la sale besogne pour le gouvernement ?

Hormis les fonctionnaires, tous ceux qui y siègent ont des connexions politiques et sont nommés par le pouvoir. Gardant cela en tête, j’estime que le régulateur n’a pas été juste dans certaines des décisions qu’il a prises.

Q : Mais il y a toujours eu des nominés politiques sur le board !

J’ai moi-même été un nominé politique quand j’avais été nommé comme le tout premier chairman de l’IBA. Mais j’ai quand même apporté la libéralisation des ondes. Je ne l’avais pas fait parce que le gouvernement me demandait de le faire, mais parce que le cadre légal exigeait qu’on le fasse. Mais je ne pense pas qu’il y a eu des suspensions. Certes, on avait durci le ton avec certaines radios à un certain moment, mais on privilégiait le dialogue et il n’y a jamais eu plus que ça.

En fin de compte, l’IBA est payée par les ‘broadcast licencees’ pour faire son travail de régulateur. S’il y a des écarts justifiés par rapport à la loi, le régulateur a tout le droit de taper sur le doigt d’une radio particulière. Tout ce qu’on lui demande, c’est qu’il soit indépendant, juste et qu’il pratique l’équité. Mais malheureusement, il n’y a actuellement pas d’équilibre…