Halte à la politisation ?

Organisation du Hadj 

Ils sont des milliers de musulmans qui rêvent un jour d’accomplir le cinquième pilier de l’Islam qu’est le Hadj. Cette année, ils sont 1 500 Mauriciens à avoir pu faire le déplacement en Terre Sainte, à la Mecque, en Arabie saoudite. Mais avant d’en arriver là, plusieurs étapes doivent être franchies localement, et pour faciliter la tâche des pèlerins, il existe des opérateurs qui s’occupent avec la collaboration du Islamic Cultural Centre (ICC), l’organisation de ce pèlerinage pour les pèlerins mauriciens. Cependant pour l’année 2016, plusieurs lacunes ont été notées dans cette organisation qui a poussé le ministre responsable de ce dossier à dire que dorénavant il ne s’occupera plus du Hadj.

Marwan Dawood

 

Faciliter le pèlerinage des Mauriciens en Arabie saoudite c’est leur rôle clé.  Ils s’efforcent d’offrir un service de qualité afin d’offrir un maximum de confort aux pèlerins.  Mais force est de constater que cette année les pèlerins n’ont pas réellement bénéficié d’un service de qualité comme ce à quoi ils s’attendaient. Plusieurs se sont manifestés sur les réseaux sociaux dont Facebook et même à travers une vidéo qui a affolé la toile (voir sur la page Facebook du Sunday Times).  Certains parlent même de promesse non tenue de la part du Islamic Cultural Centre et du ministre Showkutally Soodhun.

 

Le rôle de l’ICC

Pour le pèlerinage de cette année, l’Islamic Cultural Centre a entièrement agi comme organisateur du Hadj 2016 pour les futurs hadjis.  Mais le rôle joué par le ministre Soodhun est aussi la cible de plusieurs critiques.  Alors que dans le passé, les opérateurs devaient trouver un hébergement pour leurs pèlerins, cette année a été marquée par une nouvelle mesure visant à rassembler tous les pèlerins mauriciens sous un seul toit.  C’est ainsi que le choix s’est porté sur l’établissement hôtelier Sana Al Bayt à Ajyad, une région montagneuse de la Mecque. Contrairement aux attentes, cet endroit se trouve à plus de 12 minutes de marche de la mosquée sacrée. On se rappelle que quelques mois avant le début du pèlerinage, le ministre Soodhun avait effectué pas moins de deux voyages en Arabie saoudite à la recherche de ce fameux endroit où les Mauriciens devaient loger.  Ainsi l’ICC en agissant sur les recommandations du ministre Soodhun et du responsable du Hadj Committee, Yusuf Salehmohamed, a avalisé le choix de Sana Al Bayt.

 

Les opérateurs

Afin d’être opérateurs, il y a plusieurs critères imposés par l’ICC à respecter.  Tout d’abord, quiconque souhaite être opérateur doit faire partie d’une organisation enregistrée. Leur temps de service au sein de l’organisation est aussi pris en considération. La personne doit avoir une notion de la langue arabe et connaître la géographie du pays qui est l’Arabie saoudite, afin de  pouvoir accompagner des hadjis et s’assurer que ces derniers accomplissent leur Hadj selon les règles et sans difficulté.  Il est aussi recommandé que cette personne soit âgée de moins de soixante ans et a déjà accompagné un minimum de 50 hadjis. Cette personne doit être digne de confiance et avoir une bonne réputation et est reconnue dans la société. Pour l’instant Maurice compte 12 opérateurs qui ont une licence émise par l’ICC. Autre critère à respecter est que l’éventuel opérateur doit avoir un  casier judiciaire vierge, et qui n’a jamais été blacklisted par les autorités mauriciennes ou internationales.  Ce sont ces opérateurs qui sont responsables de prendre en charge des pèlerins en Arabie saoudite, qui consiste à faire leur transfert  de l’aéroport, à l’hôtel puis aux lieux sacrés. Ces opérateurs sont dans l’obligation de faire preuve d’expertise.

C’est ainsi que depuis 2009, les opérateurs sont régularisés.  Car auparavant les opérateurs pouvaient choisir librement le lieu d’hébergement pour les pèlerins, ce qui donnait lieu à une disparité entre la qualité de l’hôtel, la distance entre l’hôtel et le Haraam, mais aussi le prix contradictoire de chaque opérateur qui ne reflétait pas la réalité.

C’est ainsi qu’est venue l’idée de créer la «Mauritian House »  qui permet à tous les Mauriciens d’être logés sous le même toit.

 

Le logement

La création de la Mauritian House est considérée comme étant un nouveau souffle dans l’accompagnement des pèlerins lors du pèlerinage.  Les conditions qui doivent être respectées sont un barème de prix pas exorbitant qui se situe dans la fourchette de 4 500 ou 5 000 riyals, et que ce lieu d’hébergement devrait  se trouver à une distance de moins de 15 minutes du Haraam, une bonne accessibilité à la route principale et qui est reconnu par le gouvernement saoudien pour accueillir les pèlerins. «On ne doit pas oublier que les Mauriciens habitaient des lieux privilégiés dans le passé. Ce n’est pas parce que le prix est abordable que nous devons trouver un hôtel qui est éloigné du Haraam.  Mais cette fois-ci nous voyons que le prix est exorbitant et la distance entre le Haraam et l’hôtel est toujours longue », déclare le Dr Farad Aumeer. Ce dernier estime aussi que le groupe d’organisateurs a des explications à fournir. « Zot pou bizin vine demande excuse haut et fort ».

 

Le rôle du gouvernement

Le gouvernement joue un rôle majeur dans l’organisation du Hadj.  Le ministre qui obtient la responsabilité de ce dossier doit être celui qui négocie le nombre de visas qui sera accordé aux Mauriciens.  Ces négociations se font au plus haut niveau entre les gouvernements respectifs. Le côté administratif et logistique lors de l’octroi des visas se fait par l’ICC, mais sous la supervision du ministre.

Autre rôle du ministre concerné est celui des négociations avec la compagnie d’aviation qui transportera nos pèlerins en Terre Sainte. Elles relèvent du domaine très sensible,  car notre compagnie d’aviation nationale, à savoir Air Mauritius, ne possède pas un droit d’atterrissage en Arabie saoudite, c’est pour cela que des négociations se font principalement avec Emirates Airlines ou Etihad Airways.

 

L’organisation du Hadj souffre-t-elle d’une politisation ?

Cette question est souvent posée dans le giron.  Les actions du ministre sont-elles les raisons de l’échec dans l’organisation du Hadj cette année ?  Nous avons posé la question à l’ancien directeur du ICC, le Dr Farad Aumeer. Selon lui, le ministre avait une bonne intention avec la mise sur pied de la  Mauritian House, mais estime que ce dernier a été mal conseillé. «J’ai appris par le biais de la presse des problèmes auxquels ont fait face les pèlerins en Arabie. Je pense que cela n’aurait pas dû se passer ainsi vu le nombre d’opérateurs d’expérience qui ont fait le voyage. Est-ce qu’il y avait des personnes qui ont fait le déplacement pour vérifier les lieux ?» , s’est-il demandé.  Cependant le Dr Farad Aumeer fait une suggestion au ministre Soodhun : «  Mo suggère qui li retire li de l’organisation Hadj  mais garde ène droit de regard lor organisation. Laisse banne techniciens ICC faire zotte travail. »

 

Hadj business lucratif ?

Les sommes d’argent avec lesquelles jonglent opérateurs et organisateurs laissent percevoir que le Hadj pourrait être un business lucratif pour certains.  L’ex-directeur de l’ICC, nous donne son avis sur le sujet.  Il soutient que depuis 2009, la régularisation des opérateurs permet à l’ICC d’avoir un droit de regard permanent sur leurs opérations. «Avec le concept Service Fee, nous avons pu avoir le contrôle sur le prix du logement et une assurance sur le prix du Qurbani. Le Service Fee actuellement permet aux opérateurs de prendre en charge les pèlerins et compense son time-off qui lui permet d’accompagner les pèlerins. »  Il se dit fier d’avoir pu, lors de son passage à l’ICC, mettre de côté certaines personnes qui profitent du Hadj sur le plan financier.

 

Les agences de voyages : la solution ?

À Maurice, ils ne sont pas beaucoup à opérer dans l’organisation du Hadj, mais plusieurs offrent leurs services pour le pèlerinage de l’Oumrah.  Nous avons tenté en vain d’en parler à quelques responsables d’agences de voyages, mais ils se montrent avares de commentaires à ce sujet qu’ils jugent très «sensible ». Le Dr Farad Aumeer, lui, pense que la solution pourrait venir de ce secteur. «Si une agence de voyages est en possession des permis requis, qu’il a une bonne garantie bancaire et un sentiment de sûreté à ses clients, alors pourquoi pas ? »

Pour cela, il faudra veiller à ce que chaque agence puisse négocier pour un quota de visas. Ainsi, il faudra que des critères soient établis pour permettre aux agences de voyages d’opérer et d’offrir un service de qualité aux futurs pèlerins. Au Dr Aumeer d’ajouter que ce concept «évitera une politisation de l’organisation du Hadj. Éviter une politique de copain/copine et éliminer la perception de business lucratif. »