Grossesse précoce : Un phénomène qui prend lentement de l’ampleur à Maurice

 

Le rapport annuel de l’Ombudsperson for Children 2020-2021, qui vient d’être publié la semaine écoulée, fait état de trois cas de grossesse précoce qui avaient quelque peu défrayé la chronique. Dans ce dossier, nous nous penchons sur ce problème qui est encore largement tabou dans la société mauricienne. Une fois de plus, à la base du problème, il y a l’absence d’éducation sexuelle dans les écoles.

La grossesse précoce est une grossesse qui survient chez la jeune fille avant qu’elle ne soit prête physiquement et psychologiquement à assumer cette lourde responsabilité.

Selon les critères juridiques dans plusieurs pays, on peut définir ainsi toute grossesse avant l’âge de 18 ans. La grossesse précoce peut être désirée ou non. Dans les deux cas, on peut constater des problèmes de santé, pouvant conduire à la mort.

À peu près 16 millions de filles de 15 à 18 ans mettent au monde des enfants chaque année. 70 000 adolescentes meurent des suites de complications de la grossesse et de l’accouchement par an.  Dans le monde, 1 fille sur 5 donne naissance à son premier enfant avant 18 ans.

Le rapport de l’Ombudsperson for Children indique que malgré que Maurice ait un taux de grossesse précoce plutôt bas par rapport au taux moyen de grossesse précoce dans le monde et à celui de la plupart des pays africains, les grossesses des adolescentes reste toutefois un problème qu’il ne faut pas ignorer.

Selon les chiffres de Statistics Mauritius, le nombre de grossesses précoces sont stagnants.

Age 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019
10 ans à 14 ans 28 27 27 24 30 29 31
15 ans à 19 ans 1,179 1,078 1,010 1,012 1,023 1,024 977

Toutefois, il y a aussi une perception générale parmi les organisations locales travaillant avec des adolescentes enceintes que la situation s’aggrave sur le terrain et qu’un nombre croissant d’adolescentes plus jeunes tombent enceintes.

Qu’est-ce qui explique les grossesses précoces ?

Le manque d’information et l’absence d’éducation sexuelle sont des facteurs majeurs derrière le fait que le nombre de grossesses précoces prend l’ascenseur dans certains pays.

Toutefois, les cas de violences et d’abus sexuels sont aussi des facteurs qui ne doivent pas être négligés. Sur le chemin de l’école, dans les écoles, lors des situations d’urgence (par exemple, dans le sillage d’une catastrophe), au sein même de la famille, les filles sont vulnérables et deviennent des victimes faciles de violences et d’abus sexuels non protégés.

En outre, il existe les tabous liés à la culture. Ainsi, dans certains pays en voie de développement, parler de sexe est toujours tabou. Les filles qui tombent enceintes suite à un rapport sexuel ou à un abus sexuel ont honte d’en parler.

Monique Dinan, MAM : « Les garçons sont aussi concernés »

Monica DinanL’ONG,  Mouvement d’aide à la Maternité (MAM), accompagnement les futures mamans, y compris les adolescentes, dans les cas de grossesse précoce, pendant et après leur grossesse.

La philosophie de MAM : éduquer les futures mamans d’aimer le bébé qu’elles portent « car le bébé ressent ce que la maman ressent », nous explique Monique Dinan, de MAM.

 

Elle explique qu’à la base du problème, il y a un manque d’éducation sur la sexualité. En tant qu’experte dans le domaine, elle fait comprendre que le rapport sexuel en soi est un bel acte et n’a rien de honteux, et qu’il est impératif d’expliquer cela aux jeunes.

En ce qui concerne les grossesses précoces, elle voudrait mettre l’emphase sur le fait qu’il ne s’agit pas de quelque chose qui regarde seulement les filles. Les garçons sont aussi concernés, vu qu’ils encourent plus de risques que les filles dans les affaires de grossesse précoce, car ils peuvent avoir des démêlés avec la police et la justice, ce qui pourra affecter leur avenir.

De ce fait, l’éducation sexuelle des jeunes, filles comme garçons, depuis un jeune âge, est important. Selon Monique Dinan, il reste un travail essentiel, mais en même temps très positif, à abattre.

« Durant ce travail, on ne va pas leur dire, ne fais pas ceci ou ne fais pas cela. Plutôt, on va leur dire de connaitre leur corps, de connaitre leur sexe et leurs pulsions. C’est en comprenant tout cela qu’un enfant va comprendre sa ligne de conduite », explique-t-elle. Elle met l’emphase que cela doit se faire dans un langage très positif, où les filles et les garçons se rendront compte à quel point ils mettent en jeu leur avenir et celui de l’enfant qu’ils vont mettre au monde.

Quel est l’âge idéal pour le début de toute éducation sexuelle ? Selon elle, l’éducation sexuelle doit commencer dès l’âge de 10 ans.

Qu’en est-il des effets sur la santé de la maman ainsi que de l’enfant des grossesses précoces ? Monique Dinan est d’avis que cela dépend beaucoup de la maman, c’est-à-dire comment la jeune fille vit sa grossesse : « Est-ce qu’elle est dans le désarroi par rapport à ses parents, par rapport à ses études ou par rapport au garçon, qui dans la plupart des cas, va abandonner la maman ? » Ce sont ces facteurs qui peuvent provoquer des problèmes psychologiques graves, qui vont déterminer la santé de la porteuse de l’enfant, et de l’enfant lui-même.

Vidya Charan, MFPWA : « On vient plus souvent de l’avant pour dénoncer les grossesses précoces »

Vidya CharanVidya Charan, la directrice de Mauritius Family Planning Welfare Association (MFPWA), est d’avis que maintenant, contrairement au passé, les cas de grossesses précoces sont de plus en plus dénoncés.

Aujourd’hui, avec les facilités et les lois existantes, les filles et les parents viennent plus souvent de l’avant pour dénoncer les grossesses précoces. Mais d’un autre côté, les jeunes d’aujourd’hui sont plus exposés à toutes sortes d’influences et sont beaucoup plus libres qu’avant. Les jeunes ont leurs copains/copines, et ils s’engagent dans des activités sexuelles plus facilement.

La directrice de la MFPWA déplore la même chose que Monique Dinan en ce qui concerne le manque d’éducation sexuelle. « Il est vrai que les enfants ont les informations, mais pas les bonnes informations. De ce fait, quand ils sont confrontés à des situations où leurs pulsions prennent le dessus, ou encore à de mauvaises influences, cela crée une situation de vulnérabilité. De ce fait, ils s’engagent dans des activités sexuelles.» 

Et il ne faut pas ignorer le fait que les jeunes sont facilement influencés par d’autres jeunes, ou encore par les  adultes qu’ils côtoient.

Si dans le passé, les cas d’abus concernaient plus un enfant et un adulte, aujourd’hui, il est maintenant question de deux ados consentants qui ont des rapports sexuels. Or, ces derniers ne connaissent pas la loi, ne savent pas les conséquences de leur acte, et se laissent emporter par des facteurs externes.

Il ne faut pas oublier le fait que dans certains cas, les filles sont exploitées par leurs proches ou par d’autres jeunes, et dans ce genre de situation, beaucoup se retrouvent en situation de grossesse et de détresse

Est-ce que si les solutions proposées par les experts avaient été mises en place depuis longtemps, cela aurait pu diminuer le nombre de grossesses précoces ? « Ce qu’on souhaite, c’est bien sûr de faire diminuer le nombre de grossesses précoces mais c’est à la base du problème qu’il faudrait s’attaquer : ceux touchés par ce problème sont des enfants qui viennent souvent des familles qui ne sont pas stables, et ces adolescents sont en manque d’amour et d’affection. Et là, ils seront plus exposés à tomber amoureux de celui qui va s’intéresser à eux », nous fait-elle comprendre.

Himla Devi Bhoma, gynécologue : « Des conséquences assez graves sur le plan médical »

Himla Devi BhomaHimla Devi Bhoma, pour sa part la gynécologue, nous fait comprendre que les mères adolescentes vont connaitre plus ou moins les mêmes problèmes de santé qu’une mère adulte, plus précisément les problèmes liés à l’hypertension ou au diabète.

 

Toutefois, les mères adolescentes peuvent avoir un peu plus de complications. Celles qui souffriront de l’hypertension souffriront de cette maladie avec un effet extrême, les poussant même à avoir des convulsions.

Le corps des jeunes filles se développe à un âge en dessous de 18 ans, et de ce fait, pour donner naissance, les filles peuvent avoir des difficultés pour le passage du bébé, ce qui fait que dans plusieurs cas, les mères adolescentes doivent avoir recours à une césarienne.

En ce qu’il s’agit de la santé du bébé, tout dépend de la santé de la maman : pour les mamans souffrant d’hypertension, les bébés peuvent être petits, et pour les mamans qui souffrent de diabète, les bébés peuvent avoir un traumatisme ou encore, les bébés peuvent être prématurés, ce qui peut présenter des risques pour la vie du bébé.

Quelles sont les précautions qui doivent être prises ? Dès qu’une fille sait qu’elle est enceinte, elle doit voir un médecin, pour savoir si la grossesse est en bonne voie ou pas, et qui va la conseiller sur les traitements à suivre.

Elle explique que dans les cas de grossesse précoce, cela veut dire que les filles ont eu des relations sexuelles à un très jeune âge, ce qui augmente le risque pour que les mamans adolescentes souffrent d’inflammation au bas ventre. Si cela arrive, une jeune fille peut saigner à mort, causant même la perte de son enfant. Cela parce que ces jeunes filles ne sont pas prêtes, et elles manquent beaucoup de choses dans leur corps, voire elles souffrent déjà des maladies avant leur grossesse. Il y a même plusieurs filles adolescentes qui ont recours à la drogue, ce qui fait qu’elles n’arrivent pas à bien gérer leur grossesse.

Neevedita Nundowah