Fourniture d’eau 24/7 : Pas l’ombre d’un changement depuis 6 ans

Dans ce dossier, nous abordons le problème de la fourniture d’eau. Les experts sont quasi-unanimes : le gros problème se situe au niveau des perditions d’eau dans les tuyaux de la CWA. Ce sont en effet des millions de litres d’eau que nous perdons chaque jour. Ce qui saute aux yeux, c’est que depuis six ans, absolument rien n’a été fait pour remédier à ce problème – en contraste avec le manifeste électoral de l’Alliance Lepep en 2014, qui mentionnait l’amélioration de la fourniture d’eau comme une priorité absolue (le fameux ‘dilo 24/7’). En toile de fond : une pluviométrie moindre pour cet été.

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Sunil Dowarkasing, écologiste

sunil_dowarkasing« On perd environ 200 millions de litres d’eau par jour »

Très actif sur le plan environnemental, que ce soit à Maurice où à l’étranger, Sunil Dowarkasing explique que « Le problème d’eau dans le pays est un problème éternel, qu’on essaye de résoudre pendant des décennies mais on n’adresse pas le problème comme il l’aurait fallu ».

Ce dernier explique quand le pays est à genoux en période de sècheresse, les mêmes problèmes refont surface, et on propose encore une fois les mêmes solutions, mais une fois que les réservoirs sont remplis de nouveau, tout le monde oublie que la sècheresse va montrer le bout de son nez l’année suivante.

Le problème, selon lui, réside dans le développement foncier : les morcellements, les maisons et autres ‘smart cities’ ont poussé comme des champignons, mais de l’autre côté, la capacité de rétention et de stockage d’eau n’a pas été rehaussée. Il fait comprendre que la population augmente, y compris les exigences de cette population, mais la fourniture d’eau n’a pas été modernisée.

Le plus grand problème qui n’a pas été adressé, selon l’écologiste, c’est qu’environ 48 % de l’eau se perdent avant même qu’elle n’arrive dans les robinets dans les maisons. En 2014, un rapport du ‘National Economic and Social Council’, avait mis en exergue le fait qu’on perd environ 200 millions de litres d’eau par jour. « Cela, c’était en 2014. Imaginez-vous, 6 ans après, ce que doit être la situation », dénonce l’écologiste.

En ce qui concerne les ‘boreholes’, Sunil Dowarkasing se base sur certains rapports et explique que les nappes phréatiques souterraines peuvent capter uniquement 40 % de ‘run-off’ water. 50 % de cette eau finit dans la mer et 10 % s’évapore. Aujourd’hui, avec les constructions à travers l’ile, l’eau ne descend pas dans les nappes souterraines.

Abordant la question du ‘wastewater’, il se demande si le traitement des eaux usées, connu comme le traitement tertiaire, se fait toujours. Il fait rappeler qu’on avait proposé aux planteurs d’acheter cette eau mais ils avaient refusé, tandis que les pays tels que Singapour utilise cette eau même dans les maisons, car cette eau a une pureté de 98 %, après avoir été traitée.

Un autre problème que Sunil Dowarkasing aborde : quand il n’y a pas de verdure près des réservoirs, l’eau est mal retenue, ce qui s’ajoute au problème de la sècheresse.

Il y a en dernier lieu le problème de changement climatique. On peut voir que la pluie tombe de moins en moins. « Probablement que ce problème va s’aggraver dans le futur », prédit l’écologiste.

Anil Bachoo, ancien ministre

Anil Bachoo« Où est passé l’argent qui allait être utilisé pour changer les tuyaux ? »

Anil Bachoo, ancien ministre des Infrastructures publiques sous la bannière du Parti travailliste (PTr), fait comprendre que le problème d’eau ne date pas d’hier, et c’était déjà le cas à l’époque où le PTr était au pouvoir, mais des solutions avaient été apportées afin d’atténuer ce problème.

Il tient ainsi à rappeler que c’est le PTr qui a construit les deux barrages du pays, soit le ‘Midlands Dam’ et le ‘Bagatelle Dam’. En outre, des ‘boreholes’ avaient été forés pour assurer la fourniture d’eau. « Il y avait des problèmes mais on trouvait des solutions », résume Anil Bachoo.

Selon l’ancien ministre, il ne faut pas oublier qu’en 2015, il y avait une taxe de Rs 4 qui était prélevée sur chaque litre d’essence, qui allait être utilisée pour changer les tuyaux à travers le pays. « Mais où est donc passé cet argent ? Durant 6 ans, les tuyaux n’ont pu être changés ! Les membres du gouvernement présent passent leur temps à accuser d’autres personnes pour les choses dont ils sont eux-mêmes à blâmer », fustige Anil Bachoo.

En ce qui concerne les fuites d’eau, ce dernier maintient que celles-ci sont laissées telles quelles, car les tuyaux défectueux n’ont jamais été remplacés.

 

Pitch Venkatasamy,  Think Mauritius

Pitch Venkatasamy« On détruit les réserves d’eau naturelles »

Pitch Venkatasamy, de Think Mauritius, explique que les tuyaux de la CWA, notamment à Port-Louis, sont très vieux. Il y en a qui datent même avant l’Independence, selon lui.

Dans certaines régions, il y a des fuites d’eau de plus de 50 % et rien n’est fait pour régler ce problème. Dans la pratique, remplacer ces tuyaux demande beaucoup de planification, et jusqu’à maintenant, aucun gouvernement n’a proposé un plan d’ensemble.

Mais le problème le plus grave, selon Pitch Venkatasamy, c’est que les réserves d’eau naturelles sont en train d’être détruites. Il explique que quand il pleut, l’eau s’évapore sur les chemins quelques heures après les averses, mais quand la pluie tombe dans des endroits recouverts de végétation, l’eau est absorbée par la terre, ce qui fait qu’il y a des réserves d’eau naturelles souterraines.

Par contre, depuis pas mal d’années, avec le développement immobilier et foncier, on a beaucoup moins d’eau qu’avant. Il faut, selon Pitch Venkatasamy, revoir toute notre politique de ‘Land Development’.

Il maintient qu’il y a beaucoup d’ingénieurs qui ont la compétence requise pour apporter des solutions à ce problème.

Pitch Venkatasamy note qu’avant les élections de 2014, il avait dit à un leader politique que la fourniture d’eau 24/7 est une chose impossible à l’heure actuelle, parce que le réseau de fourniture d’eau n’a pas la capacité requise pour fournir de l’eau pendant 24 heures tous les jours. Or, pour assurer la fourniture d’eau 24/7, cela demanderait beaucoup d’investissements.

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Des solutions existents pourtant

Selon Osman Mahomed, les fuites d’eau constituent un problème majeur de santé publique. le député rouge explique que sous les chemins, il y a des tuyeaux d’eau potable ainsi que des tuyeaus d’eaux usées, provenant des WC. Les eaux des deux types de tuyeaux, peuvent se mélanger si la CWA augmente la pression d’eau… Et cette eau mélangée eput couler dans les robinets des maisons.

Cependant  les fuites d’eau constituent un problème majeur de santé publique. Le député rouge explique que sous les chemins, il y a des tuyaux d’eau potable ainsi que des tuyaux d’eaux usées, provenant des WC. Les eaux des deux types de tuyaux, peuvent se mélanger si la CWA augmente la pression d’eau… Et cette eau mélangée peut couler dans les robinets des maisons.

Pour Osman Mahomed, le réseau de fourniture d’eau est vieux et il n’y a pas assez d’investissement qui se fait pour la renouveler. Il faudrait aussi, selon lui, que la CWA déploie plus d’effectifs sur le terrain et effectue un ‘monitoring’ des tuyaux fuites avec plus de rigueur.

En dernier lieu, il estime que la mauvaise gestion prédomine. « Il faut mettre des gens qui sont techniquement compétents pour gérer la fourniture d’eau. Il ne faut pas que ce soient les officiers qui doivent montrer à leurs supérieurs comment il faut faire le travail car ces derniers sont des nominés politique. Il faut avoir de la compétence et du sérieux pour faire ce travail », conclut-il.

Osman Mahomed explique que le problème de fourniture d’eau peut être adressé de différentes manières.

Il prend l’exemple des pays avancés, tel que Singapour, qui utilise les eaux usées des WC. Cette eau est traitée et purifiée, mais en raison des préjugés des gens, ils refusent de consommer cette eau. De ce fait, elle est utilisée au niveau industriel.

Il y aussi le ‘rain water harvesting’. Pourquoi ne pas encourager les maisonnées à collecter l’eau de pluie, qu’elles utiliseront pour faire le nettoyage, par exemple ?

Sunil Dowarkasing propose pour sa part que le problème de perdition d’eau à travers les tuyaux percés doit être résolu avant toute chose. « Je suis sûr que si ce problème est réglé, il n’y aura pas la nécessité de construire un nouveau réservoir », maintient-il. « Au lieu de dépenser des milliards dans la construction d’un nouveau barrage dans le sud du pays, il aurait été plus avisé d’utiliser cet argent pour régler le problème de fuites d’eau », assène-t-il.

Les maisons qui sont en voie de construction peuvent, pour leur part, faire provision pour collecter l’eau de la pluie (‘rain water harvesting’), et si possible, toutes les maisons et toutes les entreprises doivent s’engager dans cette voie.

Les hôtels ou autres entreprises peuvent eux adopter le dessalement de l’eau de mer.

L’écologiste propose qu’au lieu de laisser que toute l’eau d’une rivière soit déversée dans les lagons, il faudrait mettre des barrages pour conserver cette eau.

Les ‘boreholes’ doivent être bannis pour l’agriculture, et les agriculteurs doivent utiliser les eaux recyclées. Il faut aussi avoir des ‘water charges’ additionnelles pour que les gens ne gaspillent pas l’eau.

Il faudrait aussi replanter des arbres près des réservoirs.

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Le dessalement, une solution ?

Il existe bien le dessalement de l’eau, c’est-à-dire la purification de l’eau de mer pour la rendre potable à la consommation. Ce procédé laisse toutefois planer beaucoup de questions.

Premièrement, c’est une méthode qui consomme beaucoup d’énergie, et elle peut avoir des impacts environnementaux. Mais le dessalement pourrait être adopté par certaines entreprises uniquement, par exemple les hôtels, explique Osman Mahomed.

L’écologiste Sunil Dowarkasing dit sans ambages que le dessalement n’est pas une bonne idée, car le problème de ‘brine’ (saumure) est omniprésent. Ainsi, malgré le dessalement, il y a toujours un résidu de sel, un problème que beaucoup de pays n’ont pu régler.

Si l’eau qui a été dessalée reste très concentrée et impropre à la consommation, et que si elle est déversée de nouveau dans la mer, cela pourrait affecter la faune aquatique.

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Le ras-le-bol des habitants privés d’eau

À l’Escalier, petit village paisible du sud, les habitants ont fait comprendre que la fourniture d’eau irrégulière ne date pas d’hier mais dure depuis cinq ans déjà. Cette fois-ci, les robinets ont été à sec pendant une semaine malgré les diverses requêtes faites auprès de la Central Water Authority (CWA). Et il n’y avait aucune raison de croire que cela va changer pendant la période festive. Les villageois, pour exprimer leur colère, sont descendus dans la rue.

Or, ce n’est pas la première fois que les gens descendent dans les rues pour cause de privation d’eau. En effet, en mars 2019, à Cité Attlee, Forest-Side, les habitants étaient descendus dans les rues en mettant le feu à des vieux pneus usés pour bloquer la circulation.

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Hors-texte 1

Maurice bientôt classé comme un ‘water stressed country’ ?

En 2016, la Banque mondiale avait précisé que si Maurice ne trouve pas de solution au problème d’eau en 2020, Maurice sera classé comme étant un ‘water stressed country’. Or, quatre ans se sont écoulés, durant lesquels on aurait pu régler ce problème, mais absolument rien n’a été fait jusqu’à maintenant.

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Hors-texte 2

Le taux de remplissage des réservoirs actuellement

Mare-Longue à 68 %

Mare-aux-Vacoas à 59.4 %

Piton-du-Milieu à 56.5 %

La Nicolière à 51.9 %

Midlands à 40.2 %

Bagatelle Dam à 36.3 %

La Ferme à 20.9 %

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Hors-texte 3

Une pluviométrie moindre pour cette année

Selon la station météorologique de Vacoas, avec l’impact du réchauffement climatique, l’apparition des pluies estivales sera légèrement retardée. Le début prévu des pluies d’été se situera autour de la dernière semaine de décembre 2020.

Les précipitations pour la première moitié de l’été seront légèrement inférieures à la moyenne à long terme. Il y a une indication qu’elles diminueront encore au cours de la seconde moitié.

On s’attend à ce que les précipitations estivales cumulées sur Maurice atteindront environ 1050 mm, ce qui est inférieur à la normale. (La pluviométrie normale des étés pour la période entre 1981 et 2010 est d’environ 1331 mm.)

Par ailleurs, le nombre de tempêtes nommées évoluant dans le sud-ouest de l’océan Indien pour l’été 2020-2021 (du 1er novembre 2020 au 15 mai 2021) sera probablement compris entre 7 et 9.

 

Neevedita Nundowah