Filles, pas épouses*

Elle est peut-être une novice en politique, mais elle a du cran. La nouvelle ministre de l’Égalité des genres a pris les taureaux par les cornes en annonçant que l’âge légal du mariage passera désormais à 18 ans. Une initiative qu’on ne peut que saluer. Elle a su trancher là où ses prédécesseuses ont tergiversé, notamment en raison des susceptibilités religieuses ou culturelles et, à fortiori, des divers lobbies. Raison de plus pour laquelle le projet de loi doit être présenté et adopté le plus vite possible à l’Assemblée nationale avant que ces mêmes groupuscules ne s’en mêlent.

Disons-le haut et fort, ceux qui tentent de communaliser ce débat font fausse route. Sur le plan global, approximativement 15 millions de filles sont mariées annuellement avant d’atteindre l’âge adulte. Ce qui correspond à environ 41 000 filles par jour. 700 millions de femmes ont, pour leur part, vécu en concubinage avant leurs 18 ans. Ce sont évidemment des chiffres qui donnent froid dans le dos. Mais ce qu’on en déduit, c’est surtout le fait que le mariage des enfants transcende les frontières des pays, des cultures, des religions et des ethnies. Cessons donc d’être hypocrites en accusant telle ou telle communauté de soutirer cette pratique.

Puisque la pratique du mariage des enfants est souvent attribuée à la communauté musulmane par manque de compréhension ou de mauvaise interprétation,  il convient de souligner qu’il ne s’agit en réalité que d’une fausse perception. Si la ‘Shariah’ (loi coranique) stipule qu’une fille peut se marier dès qu’elle atteint l’âge pubère, il y a cependant d’autres éléments à prendre en considération. Selon des théologiens, l’ensemble des versets coraniques, plus précisément ceux du chapitre 4 – Al-Nisa (Les Femmes), relatifs au contrat de mariage ne concernerait que des femmes adultes et mature. C’est une des raisons qui poussent désormais des pays islamiques ou majoritairement musulmans à légiférer pour bannir le mariage en-dessous de 18 ans. L’Arabie Saoudite vient d’ailleurs de prendre une décision en ce sens en décembre 2019 alors que la Malaisie pourrait très prochainement lui emboîter le pas.

À Maurice, bien que nous franchirons un pas dans la bonne direction si l’annonce de Kalpana Koonjoo-Shah se matérialise, il ne faudra quand même pas s’attendre à ce qu’une législation pour fixer l’âge minimum du mariage légal à 18 ans suffira à elle seule à résoudre tous les problèmes auxquels les jeunes filles sont exposées. Un éventail de lois et de mesures devra ainsi être adopté en parallèle si on veut que les résultats soient probants. N’est-ce pas une ambiguïté, par exemple, que l’âge permis pour avoir des relations sexuelles consentantes est à 16 ans alors que l’âge minimum pour se marier civilement est à 18 ans ? Les risques auxquels nous serons confrontés dans un tel cas de figure méritent aussi qu’on s’y attarde. Car il entraînera invariablement une hausse de la promiscuité et, par extension, d’un probable accroissement du nombre de grossesses indésirables et de possibles avortements clandestins, avec tout le lot d’inconvénients, de stress et de risques qu’ils comportent. Sans compter la dégradation certaine des valeurs…

Il appartiendra donc aux législateurs de trouver un cadre juridique et politique solide qui pourra freiner le mariage des enfants tout en minimisant les autres dangers qu’on pourrait voir surgir. Des actions durables doivent également être prises dans le même souffle afin d’apporter le changement voulu. Ce qui doit impérativement passer par l’éducation sexuelle, la sensibilisation, mais aussi par un changement de comportement et de mentalité.

* Fillespas épouses est un partenariat mondial de plus de 700 organisations de la société civile qui se sont engagées pour mettre fin au mariage des enfants.