La population mauricienne est depuis ces derniers temps interpellée par la situation qui règne dans le pays : un taux de criminalité qui est en hausse, le ‘law and order’ qui est menacé, la drogue qui fait des ravages, et le manque de confiance dans la police et les  institutions. Il convient de se tourner vers les associations socioculturelles. Ces dernières reçoivent des subsides substantiels de l’État, mais essaient-elles de comprendre ou de soulager les maux qui rongent notre société ?

Depuis la levée du confinement, le pays connait une grave crise économique. Ajouté à cela, il est secoué de plus en plus par des problèmes de société. Il semblerait que personne n’est épargné. On a vu des enfants qui sont les victimes, ainsi  que les personnes âgées.

Des crimes atroces qui défrayent la chronique, des agressions pour un oui ou pour un non, le nombre de suicides qui prend l’ascenseur depuis l’année dernière, la prolifération des drogues dangereuses et qui touchent de plus en plus les jeunes, les femmes victimes de violence domestique…. Une situation de décadence, ou doit-on dire une situation qui fait peur et qui interpelle la société.

Même si ces derniers temps, les Mauriciens n’ont plus confiance en la police, les forces de l’ordre font tant bien que mal leur travail pour déférer devant la justice les prévenus.

Toutefois, il convient de se poser la question : quel rôle jouent les associations socioculturelles, alors qu’elles reçoivent environ Rs 16 à Rs 17 millions par an du gouvernement ?

 Catherine Boudet, docteure en analyse politique 

Catherine Boudet 2 « Les associations socioculturelles ont un rôle important à jouer dans le maintien de la paix et dans la solidité du tissu social »

Docteure en analyse politique, Catherine Boudet explique d’abord que les organisations socioculturelles tiennent une place spécifique à Maurice, dans l’interface entre la politique et le social.

 

Pour comprendre leur rôle, il faut remonter à l’ère coloniale où les premières associations socioculturelles œuvraient à éveiller politiquement des groupes opprimés par le système colonial. Elles veillaient aussi à leur éducation et à la défense de leurs droits.

Avec l’indépendance en 1968, le rôle ‘parapolitique’ des socioculturels se précise, en rapport avec l’élaboration d’un modèle national qui s’appuie sur la représentation politique des communautés.

Les élites politiques censées représenter leurs groupes ethniques respectifs négocient entre elles pour maintenir une entente intercommunautaire (c’est la démocratie dite consociative). Les socioculturels entrent alors en jeu pour cimenter les communautés avec les valeurs culturelles et religieuses et pour assurer des banques de vote ethnique aux politiciens.

Par le biais des subsides aux associations religieuses, l’État valide le quadruple rôle des socioculturels : diffusion des valeurs religieuses et culturelles, aide sociale et caritative, la défense des intérêts des communautés et le lobbying politique, fait comprendre Catherine Boudet.

Avec le temps, note la Dr. Boudet, certains socioculturels, forts de leur position, ont même commencé à s’arroger un rôle de défenseur du ‘law and order’ en créant des milices. En raison de leurs accointances politiques qui leur assurent une certaine impunité, certains de ces socioculturels naviguent alors dans une zone grise, en marge parfois de l’État de droit. La dérive des socioculturels intervient quand la défense des intérêts ethniques prime sur celle des valeurs religieuses ou lorsque les valeurs religieuses sont mises au service du pouvoir ethnique, et non plus de l’intérêt général.

Le problème du rapport des socioculturels avec la violence politique est rendu encore plus aigu dernièrement avec la flambée de violences en tous genres que connaît le pays depuis le confinement.

C’est en effet un cocktail dangereux de violence sociale, politique et mafieuse qui affecte Maurice actuellement. Sans compter la recrudescence de rivalités et provocations interethniques et la débauche d’incitations à la haine religieuse qui ont accompagné la mobilisation sociale dans le sillage du Wakashio, entraînant une surenchère de la part de des socioculturels qui se sont sentis directement visés, déclare Catherine Boudet.

Toute cette violence est montée d’un cran supplémentaire depuis octobre dernier avec l’assassinat de l’agent politique Soopramanien Kistnen, d’autres morts suspectes non élucidées, le lynchage d’un internaute ayant tenu des propos d’incitation à la haine raciale, et l’agression mortelle d’un socioculturel la semaine dernière.

Au cœur de cette spirale de violence politico-criminelle, se pose désormais la question d’une possible dérive de certains socioculturels et leur part de responsabilité en lien avec des intérêts occultes. Rien de vraiment nouveau car des épisodes similaires de déstabilisation se sont déjà produits auparavant dans l’histoire du pays, si ce n’est que la conjoncture actuelle atteint une ampleur inédite.

Pourtant, les associations socioculturelles ont un rôle important à jouer dans le maintien de la paix et dans la solidité du tissu social. De leur résistance aux provocations et de leur capacité à surmonter les rivalités dépend grandement l’avenir du pays. Il appartient désormais aux socioculturels de bonne volonté de monter au créneau pour poser des nouveaux jalons d’une concorde nationale, dans l’intérêt supérieur du pays, conclut Catherine Boudet.

 

Les associations socioculturelles et l’église s’expliquent

Bashir Nuckcheddy, du Conseil des religions et du Muslim Citizen Council 

Bashir Nuckcheddy « De plus en plus, les gens sont matérialistes et ont perdu leur valeur spirituelle »

« De plus en plus, les gens sont matérialistes, ce qui fait que les Mauriciens ont perdu leur valeur spirituelle » note Bashir Nuckcheddy. Selon ce dernier, c’est le seul moyen pour un retour à la normale et un retour vers nos sources.

Les hommes religieux doivent puiser de nouveau dans leurs livres sacrés afin de retrouver les valeurs, puis les enseigner aux jeunes, car toutes les religions ont ce qu’on appelle des « universal core values ».Il y a de nos jours plus de prières que de spiritualité, nous dit-il. « C’est bien de faire la prière mais il faut aussi méditer et réfléchir, entres autres ».

Au niveau du conseil des religions, des cours connus comme « Inter Religious Education » sont destinés aux collégiens pour aider à promouvoir le vivre ensemble et le dialogue. Et au niveau des universités, des cours en « National peace and nation building » sont dispensés.

Du côté du Muslim Citizen Council, le PRO Bashir Nuckcheddy fait comprendre que des campagnes de conscientisation se font régulièrement pour encourager les jeunes à étudier et à faire du sport, car il y a un dicton selon lequel des « empty minds create monsters », ce qui fait que les gens sont encouragés à faire de mauvaises choses. Surtout, avec les nouvelles technologies, les gens deviennent passifs.

Bashir Nuckcheddy fait comprendre que la religion ne peut se détacher avec la politique, mais il ne faut pas que la politique se serve de la religion. Il ne faut pas utiliser la religion pour des gains personnels.

Narayanam Pallany, secrétaire de la Tamil Temples’ Federation : « La technologie a pris la place du dialogue dans la famille »

Narayanam PallanyLe secrétaire de la Tamil Temple’s Federation, Narayanam Pallany, pour sa part dit que les vendredis, des séances de conscientisation se font lors des séances de prière dans les temples tamouls (‘Kovil’) par des religieux, ainsi que par les représentants du temple. Mais les rassemblements se font moins depuis le confinement car il y a toujours le protocole de distanciation sociale, qu’il faut toujours respecter. Durant ces dernières semaines, les séances de conscientisation dans les temples se font en plus de la prière du Thaipoosam Cavadee.

Toutefois, Narayanam Pallany est d’avis que l’éducation doit tout d’abord débuter à la maison, « car la maison est la base ». « De nos jours, tout le monde est témoin que la technologie a pris la place du dialogue dans la famille », selon lui.

De plus, certains amendements dans les lois ont apporté des situations inattendues en ce qui concerne le tissu social, et qui doivent être revus. « Mais il faut faire l’éducation de tout un chacun pour pouvoir améliorer la situation », soutient-il.

Le Père Gérard Mongelard
 « C’est ensemble que nous allons gagner ce combat »

Il est vrai que la situation dans le pays s’est dégradée de plus en plus, nous indique le père Gérard Mongelard. « Le rôle de l’église est d’apporter les bonnes nouvelles, et surtout de dénoncer quand les choses vont mal, et quand les choses nuisent au bien-être de l’être humain », explique-t-il. L’église travaille aussi pour le bien commun, c’est-à-dire pour que la méritocratie soit respectée.

Père MongelardConcernant la situation de la drogue, le père Mongelard dit être étonné de voir la prolifération de la drogue durant le confinement. Il indique que de plus en plus de familles souffrent de ce fléau.

De ce fait, au sein de l’église, il y a une formation qui est dispensée aux gens (il y a environ 80 personnes actuellement), qui vont par la suite partir dans différents quartiers pour assister, donner un réconfort, et un soutien aux familles dans le besoin.

Le père Mongelard dit avoir rencontré des gens qui lui disent que c’est une perte de temps car malgré tout le travail abattu, la drogue continue de faire des ravages. « Si personne ne le fait, c’est comme une non-assistance à personne en danger », fait comprendre le père Mongelard.

« Les autres religions sont les bienvenues si les responsables souhaitent travailler ensemble, car quand les fléaux sociaux tels que la drogue touchent une victime, ils ne choisissent pas de quelle religion est la victime, et c’est ensemble que nous allons gagner ce combat », dit-il.

Abordant les agressions, les suicides et les autres problèmes de société, le père Mongelard note que la base d’une bonne société est la famille. Ce qui veut dire si dans une famille, il y a des problèmes, comme par exemple des parents séparés, ou violents, ou alcooliques, ou qui se droguent, les enfants vont grandir dans des milieux à problèmes. De là, les problèmes de société vont grimper en flèche.

De plus en plus, il y a moins de dialogue dans la famille, comme cela se faisait autrefois. Il n’y a pas de cohésion familiale car tout le monde est accroché à son téléphone portable.

En ce qui concerne les propos communaux qui incitent à la haine raciale sur les réseaux sociaux, c’est malheureux car l’avancement du pays se fait avec l’aide et le soutien de tout le monde. Il dit que les Mauriciens devraient être fiers que leur pays ait toutes les religions. De l’autre côté, le père Mongelard pense que tous les gouvernements et les hommes politiques devraient eux aussi faire attention aux mots qu’ils utilisent, pour ne pas créer de division.

Le père Mongelard est d’avis que les hommes politiques doivent être des modèles et que la corruption entre autres, doit être éradiquée petit à petit dans le pays.

Navin Unoop (Voice of Hindu)

« Les associations socioculturelles ne reçoivent pas de subventions uniquement pour accueillir les hommes politiques, mais elles ont un autre rôle à jouer sur le plan social »

 Au niveau de Voice of Hindu(VOH), des réunions sont organisées en vue de faire des campagnes de sensibilisation, car la communication dans les maisons ne se fait plus comme dans le passé. Navin Unoop partage le même avis que nos autres interlocuteurs car dans les maisons, les parents sont eux même accrochés à leurs téléphones portables.

Navin Unoop De l’autre côté, les gens de nos jours ont un manque de loisirs, chose qui est très importante. De ce fait, Navin Unoop fait une demande aux autorités concernées pour que les centres de jeunesse opèrent même après 16 h, car c’est l’heure à laquelle les jeunes retournent de l’école et du travail. Car aux centres de jeunesse, les jeunes pourront faire différentes activités et même avoir des dialogues avec leurs amis.

En ce qui est des associations socioculturelles, alors qu’elles reçoivent des subsides du gouvernement, le responsable de VOH pense qu’il est du devoir du gouvernement de vérifier chaque trois mois l’argent reçu est dépensé comment, au lieu de faire le bilan après une année. De cette manière, il va y avoir un contrôle.

Les associations socioculturelles ne reçoivent pas de subventions uniquement pour accueillir les hommes politiques, mais elles ont un autre rôle à jouer sur le plan social.

Neevedita Nundowah