Et si on parlait des salaires de misère ?

Fête du Travail

En marge de la Fête du Travail lundi, 1er mai, il est impératif que le gouvernement, les partis politiques (qui ont depuis longtemps accaparé la Fête du Travail), les médias, les forces vives, le patronat, mais aussi les Mauriciens dans leur ensemble, prennent conscience des salaires de misère qu’une bonne partie de la population continue de percevoir. En effet, en 2017, il existe encore des personnes qui reçoivent moins de Rs 5 000 mensuellement et cela dans le contexte du coût de la vie qui ne cesse d’augmenter. Sans compter ce sentiment de colère et d’injustice quand on apprend que plusieurs nominés politiques, comme Vijaya Sumputh ou  Gérard Sanspeur, qui toucheraient entre Rs 300 000 et Rs 500 000.

Quelques chiffres

  • Selon la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), plus de 100 000 personnes à travers Maurice ne toucheraient pas plus de Rs 5 400 mensuellement.
  • L’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM) estime qu’environ 50 000 personnes peuvent être considérées comme étant mal payées.
  • À ce jour, sur les 400 000 salariés à Maurice, 200 000 toucheraient moins de Rs 12 500.
  • Environ 20 000 travailleurs toucheraient moins de Rs 3,500 par mois.

Témoignages

Les cleaners : moins de Rs 4 000 pour un travail ingrat

Nombreux sont les employés de plusieurs compagnies de nettoyage qui toucheraient un salaire dérisoire. Sarah, employée d’un service de nettoyage basé à Port-Louis, affirme qu’elle touche Rs 4 000 mensuellement. « Nous travaillons du lundi au samedi, 7 heures par jour. Les femmes touchent un salaire mensuel de Rs 4 000 tandis que les hommes perçoivent Rs 5 000 », déplore-t-elle. Abondant dans le même sens, Devika, une autre employée, affirme que le salaire qu’elle perçoit ne suffit pas pour lui permettre de joindre les deux bouts. « Nous faisons un appel au gouvernement pour trouver une solution au plus vite afin de soulager la misère de ceux qui sont au bas de l’échelle », lance-t-elle.

Au bureau de poste, les employées qui assurent le nettoyage côtoient chaque jour la démotivation et le découragement. Avec un salaire de misère, ces mères de famille n’arrivent pas à joindre les deux bouts et encore moins à économiser pour les études de leurs enfants. Anita (prénom fictif), perçoit Rs 4 000 mensuellement, transport inclus. Ce salaire est resté le même malgré le fait qu’elle travaille à la Mauritius Post depuis presque 2 ans.

De plus, elle doit remplacer quelques fois ses collègues mais sans être rémunérée. Mère de deux fillettes en bas d’âge, leur quotidien devient de plus en plus difficile avec le coût de la vie. Malgré le fait que son mari travaille, la mère d’Anita doit les aider dans les moments difficiles. « Rs 4 000 pa suffisant pou ène semaine », dit-elle amèrement. À chaque fois elle aborde le sujet d’une augmentation avec son patron, celui-ci lui répond invariablement : « Après nou koz sa ».

 

Rs 1 500 par mois pour nettoyer un grand collège

Danielle (prénom fictif), touche quant à elle un salaire, variable selon les heures ouvrables, entre… Rs 1 500 et Rs 2 000 par mois pour nettoyer les salles de classes et les toilettes d’un collège de la capitale. En outre, cette quinquagénaire habitant salles de Port-Louis a des complications de santé.

Marie Sylviane Perrine, habitant Tranquebar dépend sur un modeste salaire de Rs 1 800. Elle est employée par une entreprise privée comme cleaner et travaille elle aussi dans une école de la capitale. Parmi les tâches qu’elle doit assumer : nettoyer la cour de l’école et les vitres de plusieurs salles de classes tous les jours. « Parfois mo gagne Rs 1 800 ou Rs 2000, mo salaire pas fixe. Mo pas gagne augmentation, ni mo gagne pay slip », explique-t-elle. De plus, elle nous apprend qu’elle reçoit le même salaire pour les congés publics.

Ne possédanr pas de bonnes qualifications, ces deux femmes n’arrivent pas à trouver un emploi mieux rémunérée. Elles sont donc condamnées, pour ainsi dire, à mener un combat pour pouvoir manger, avec ce salaire de misère.

  • « J’estime que Rs 1 500 c’est anormal, il est temps de cesser cet abus », nous affirme Reaz Chuttoo. Le syndicaliste du CTSP, Reaz Chuttoo nous annonce que la campagne de mobilisation pour les femmes qui touchent Rs 1 500 bat son plein. 300 de ces employées reçoivent maintenant Rs 8 500 alors que quelque 325 autres sont toujours en attente. « Elles feront une grève de la faim si le gouvernement n’intervient pas d’ici août », explique Reaz Chuttoo. Selon lui, elles n’abandonneront pas leur combat aussi longtemps qu’elles n’obtiennent un salaire qui leur permettra de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.

 

Les gardiens pas mieux lotis

Un gardien d’école que nous avons interrogé nous explique qu’il reçoit la modique somme de Rs 150 par nuit, ce qui fait Rs 5 500 par mois. Soulignons que ce travail exige la présence de l’employé 7 jours sur 7. Il semblerait que ses patrons considèrent qu’il n’a pas le droit à une augmentation ou d’être payé quand il travaille les congés publics. Il ne reçoit qu’un quart de bonus de fin d’année, ce qui est contraire à l’Employment Rights Act de 2008. Il aurait enregistré plusieurs complaintes à l’inspectorat du ministère du Travail, mais sans résultats : « Comier fois monn ale bureau travay, zotte dir zotte pé travay lor la mais nanier panne faire ziska l’here ».

Le salaire minimum : une nécessité urgente

Selon le président du National Wage Consultative Council (NWCC), Beejaye Coomar Appana, lors d’une conférence de presse le 12 avril dernier, le salaire minimum devrait être une réalité d’ici janvier 2018. Si jusqu’ici aucune décision n’a été prise concernant le montant du salaire minimum, le chairman de la NWCC a affirmé que les consultations sont sur la bonne voie et qu’un rapport final sera soumis d’ici octobre.

Le salaire minimum préconisé par la NWCC variera selon le mode de travail. Par exemple, un employé à temps partiel sera payé à l’heure. Trois comités ont été mis sur pied pour étudier les salaires des employés dans le secteur de l’agriculture, de l’industrie et dans le monde des affaires.

Le NWCC aura comme responsabilité de proposer le montant du salaire minimum, qui sera revu en 2020. Une révision aura ensuite lieu chaque cinq ans.

Le ministère du Travail ne doit pas faire dans les demi-mesures

Sollicité pour une réaction, le ministère du Travail affirme, par l’entremise de son attaché de presse, que sous le National Remuneration Board, le salaire de plusieurs employés de différents secteurs ont été revu à la hausse.  C’est d’ailleurs l’actuel gouvernement qui considère la mise sur pied du salaire minimum. Le ministère du Travail a déjà revu les lois du travail et va aussi créer une agence nationale de l’emploi dans le but d’offrir des formations et de trouver des emplois pour les sans-emplois.

La société mauricienne appauvrie et endettée

Cette situation a un impact important et délétère sur la société mauricienne.

Une misère étendue Jayen Chellum de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM) nous explique que de très nombreuses familles arrivent difficilement à payer leurs factures d’eau et d’électricité, à s’acheter de la nourriture ou même à envoyer leurs enfants à l’école. Pour lui, il est clair que de très nombreux Mauriciens arrivent difficilement à joindre les deux bouts.

L’approfondissement de l’écart entre riches et pauvres Selon Jayen Chellum, l’écart entre les riches et les pauvres est en train de se creuser. Le constat de l’ACIM est inquiétant : les 20 % des familles au bas de l’échelle deviennent de plus en plus pauvres.

L’endettement Beaucoup de Mauriciens n’ont pas le choix vu le niveau très bas de leur salaire et doivent nécessairement s’endetter, par exemple pour l’acquisition d’une maison. L’endettement des gens pauvres s’accroît d’année en année, selon Jayen Chellum. D’autres sont poussés vers les gains faciles des jeux du hasard, ce qui peut faire perdurer le surendettement et perpétuer ainsi le cercle vicieux où plusieurs familles n’arrivent pas à sortir de l’endettement et de leur condition sociale.

  • Il faut aussi mentionner certains facteurs qui aggraveraient la situation. Premièrement, le coût de la vie augmente sans cesse. Deuxièmement, plusieurs Mauriciens planifient mal leurs dépenses et beaucoup vivent au-dessus de leurs moyens. Troisièmement, ils dépensent trop dans les vices comme l’alcool, la cigarette, voire la drogue. Faire des économies est difficile dans le contexte actuel, mais c’est aussi une habitude qui n’est plus dans les mœurs des Mauriciens.