Drame humain : 6350 Mauriciens coincés à l’étranger depuis trois mois, seulement 1 883 rapatriés

L’un des dossiers les plus épineux que le gouvernement a eu à gérer durant cette période de crise sanitaire aura été le non-rapatriement des milliers de Mauriciens bloqués à l’étranger. Et c’est loin d’être fini. Car à ce jour, seuls 1 883 de nos concitoyens ont été rapatriés, alors que 6 350 sont toujours coincés dans les quatre coins du monde. Malgré le plan de rapatriement annoncé par le ministre Nando Bodha lors de la PNQ de mercredi dernier, les critiques pleuvent toujours aussi lourdement sur le gouvernement, et avec raison. Retour sur ce drame humain.

La population prise de court par Pravind Jugnauth

Les milliers de Mauriciens qui se trouvaient à l’étranger pour des études, des vacances, des soins médicaux ou pour d’autres obligations, étaient loin de s’imaginer qu’ils allaient se retrouver dans une pareille situation. Où qu’ils auraient à implorer le gouvernement pour pouvoir rentrer au pays, alors que ce droit de retour est garanti par la Constitution et sous les conventions  internationales.

Rappelons qu’au début de la propagation de la pandémie de covid-19 à Maurice, rien ne laissait présager une fermeture abrupte de nos frontières. Car dans un premier temps, le gouvernement se félicitait de n’avoir aucun cas de covid-19 à Maurice. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait meme annoncé des mesures pour encourager les touristes de venir à Maurice.

Sauf que quelques jours après l’annonce de ces mesures, le lundi 16 mars, le Premier ministre s’adressait à la nation, l’informant de la fermeture partielle de nos frontières, avec le Royaume-Uni, la Suisse et les pays de l’Union européenne.

Deux jours plus tard, le 18 mars, avec les trois premiers cas de coronavirus à Maurice, Pravind Jugnauth annonce, tard dans la soirée, la fermeture complète de nos frontières, une fermeture qui prendra effet à partir du lendemain à 10 h du matin, et qui s’appliquera non seulement pour les étrangers mais aussi pour les Mauriciens dans les pays etrangers. Du coup, ces derniers sont pris au dépourvu, et se retrouvent dans l’incapacité de regagner le pays dans un délai aussi court, soit moins de 12 heures.

Confinés… à l’étranger

À partir de ce jour, c’est un long calvaire interminable qui débute. Dans l’immédiat, une affaire est entrée en Cour suprême contre le gouvernement par Rajen Narsinghen, mais avant même que le juge ne donne son ruling, l’État avait assoupli sa position en organisant quelques vols de rapatriement. Mais pas assez. Car, comme révélé au Parlement mercredi dernier, seulement 1 883 Mauriciens ont pu être rapatriés à l’heure actuelle, contre 6 350 qui sont toujours bloqués à ce jour à l’étranger.

Ces Mauriciens, des personnes en vacances, des étudiants, des malades, entre autres, se retrouvent ainsi livrés à eux-mêmes sans aucune assistance. Plusieurs n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins, que ce soit en termes de logement ou d’alimentation, faute de moyens financiers. Trois mois se sont écoulés, et ils survivent toujours tant bien que mal dans 92 pays.

Le prêt de la discorde

Que fait le gouvernement pour les assister ? Le constat est cru : il n’y a aucun plan définitif de rapatriement. Une mesure financière est annoncée. En effet, le gouvernement soutient que nos compatriotes bloqués à l’étranger auront un prêt de Rs 50 000 sans garanti mais avec un intérêt de 3 %. Sauf que plusieurs ne sont pas d’accord et affirment que ce n’est pas de leur faute s’ils se retrouvent dans une telle situation.

Bateaux de croisière : une intransigeance totale du gouvernement mauricien

Des Mauriciens travaillant sur des bateaux de croisière ont passé jusqu’à 10 mois en mer. Ils devaient rentrer à Maurice en mars pour certains et en avril pour d’autres. Au total, ils seraient environ 2 000 à être coincés sur les paquebots à travers le monde. Jusqu’ici, aucun de ces Mauriciens n’a été rapatrié car le gouvernement est resté campé sur sa position.

L’exemple le plus criant demeure le cas de ces compatriotes qui se trouvaient à bord des bateaux de croisière qui sont vogué tout près de Maurice, mais qui n’ont pu rentrer au pays. La raison : le gouvernement mauricien n’a pas donné l’autorisation à ces bateaux de croisière de débarquer à Maurice. Roshi Bhadain avait logé une affaire en cour pour que les Mauriciens qui étaient à bord de l’Island Princess puissent rentrer au pays. Ils allaient être transférés sur le MS Volendam qui allait par la suite les débarquer à Maurice en cas de jugement favorable.

Mais les représentants du gouvernement ont affirmé que de toute façon le gouvernement n’autoriserait pas le paquebot en question à accoster Maurice. Ainsi ces Mauriciens, tout en étant passés tout près du pays, sont ainsi contraints à effectuer le tour du monde sur ces bateaux et iront jusqu’en Indonésie et même au Japon en passant par l’Inde. D’autres se retrouvent toujours à Miami.

 

Bloqués sur un bateau de Croisière : « Kumadir nou bane voler dan nou pays »

Deenesh, un jeune ‘seaman’, n’a pas quitté le bateau sur lequel il a travaillé. Il explique que le 22 mars, le bateau a commencé à débarquer quelques personnes au Portugal et la fin du même mois, ils ont arrêté de travailler et ont été placés en quarantaine sur le paquebot, tout en étant soumis à des tests réguliers.

Ce n’est que le 10 avril, en vérifiant leur salaire, que Deenesh a réalisé que la compagnie avec laquelle il a travaillé avait mis fin à son contrat depuis le 1er avril. Toutefois, on avait mis à leur disposition trois ‘chartered flights’ pour qu’ils puissent retourner dans le pays mais les autorités de Maurice n’ont pas fourni le permis d’atterrissage.

Le jeune homme remet en cause les autorités : « Kifer nou Mauriciens bizin paye Rs 54 000 pou nou billet mais touristes gagne discount ? Kumadir nou bane voler dan nou pays », s’insurge Deenesh. 

Jusqu’à $3 000 pour rentrer au pays

« Pourquoi monnayer un Mauricien de la sorte ? ». Tels sont les propos utilisés par Shakeel Mohamed au Parlement mercredi dernier. Le député du Parti travailliste a par la suite publié un document sur les réseaux sociaux faisant état d’une demande du gouvernement mauricien pour que les compagnies de croisière paient pour que nos compatriotes puissent rentrer au pays. La somme : $3 000, soit environ Rs 120 000 par personne pour les frais de quarantaine, du billet d’avion et des tests PCR. Certaines compagnies de croisière ont accepté alors que d’autres auraient refusé.

Pendant ce temps, les jours, les semaines, et les mois s’écoulent et ces Mauriciens ne sont pas prêts de retrouver leur pays. Vendredi, en conférence de presse, le Premier ministre, Pravind Jugnauth a tenu à féliciter son ministre des Affaires étrangères, Nando Bodha, pour sa gestion de ce dossier !

Des Mauriciens bloqués en Inde demande à être rapatriés par le vol du 22 juin

Ces Mauriciens étaient partis en vacances en Inde et devait y séjourner du 5 mars au 19 mars, mais hélas, le Premier Ministre devait annoncer la fermeture de nos frontières. Nous avons contacté une de nos compatrotes qui se trouve actuellement à Dehli.

Kumari nous explique qu’elle vit dans la frayeur car le nombre de cas en Inde augmente en flèche. Elle nous confie qu’elle est stressée par le fait de rester bloquée dans un hôtel, avec des dettes et sans nourriture : « Nou pe bizin bwi lalo dans boulwar pou kapav manzé ». Les Mauriciens n’ont qu’une seule demande : c’est de pouvoir retourner  au pays le plus vite possible, soit sur le vol du 22 juin.

 

Neevedita Nundowah