Dossier Vivre de son art : Une utopie ?

Manque d’encadrement, manque de financement, piratage, découragement…autant de facteurs qui affectent le développement artistique à Maurice. Pourtant à l’instar de Virginie Gaspard, Jane Constance et Fabien Cornelius, nombreux sont les Mauriciens qui ont porté haut le quadricolore sur la scène internationale pour leur participations à la compétition The Voice. Mais ce ne sont que des exceptions… De retour à Maurice, le rêve se brise.  Peut-on vraiment vivre de son art à l’île Maurice ? Les avis divergent, le type d’art pratiqué change… Survol de la situation.  Il est important de bien différencier « vivre de la musique » et « vivre de sa musique », qui sous-entend vivre de ses propres créations.

Marwan Dawood

L’art est avant tout une passion.  Mais peut-on faire de sa passion son métier ? Oui et non…nombreux sont les artistes que nous avons interrogés à dire que la situation à Maurice est difficile pour l’évolution de l’art.  Cependant, l’affaire Sky To Be vient relancer le débat éternel : peut-on vraiment vivre de son art à Maurice ?  Il est triste, on pense encore que la musique n’est qu’un passe-temps.  Le musicien n’étant pas intégré dans le système social mauricien, se retrouve souvent confronté à une sous-évaluation de son savoir-faire et de sa valeur. Profitant de ce manque de règlementation, de nombreux amateurs, arrondissent leur fin de mois en grattant la guitare, rendant la tâche plus compliquée à ceux qui vivent exclusivement de la musique.

Le Status of Artist Bill en sauveur

Il faudra attendre la rentrée parlementaire pour que la Status of Artist Bill soit présenté à l’Assemblée Nationale.  C’est une experte de l’UNESCO, Vesna Čopič, qui avait été mandatée par le gouvernement soit le ministère des Arts et de la Culture pour préparer un rapport.  Celle-ci recommande la création d’au moins quatre catégories d’artistes dont les artistes professionnels, les techniciens professionnels, les professionnels spécialisés dans les arts et les entertainers.  Vesna Čopič préconise aussi la création d’un registre des artistes qui seront dotés d’une carte professionnelle et agira sous la tutelle d’un National Body for Professionals in the Arts (NBPA)

Protections sociales

Parmi les mesures phares, et au rang des réclamations de la communauté artistique : des protections sociales et sur le plan de l’emploi. Les artistes, note Vesna Čopič, «ne bénéficient pas des droits acquis comme pour les autres travailleurs (e.g. contribution à un fonds de pension, congés payés)» à cause de la nature de leur travail. L’experte recommande ainsi un «allowance scheme» à partir de 60 ans pour ceux dont la contribution est jugée «exceptionnelle» sur le plan national et international. Il sera calqué sur les plans de pension accordé aux athlètes professionnels, qui est de Rs 3 000 à Rs 10 000 actuellement.

Les artistes doivent être encouragés à contribuer à leur pension via le «voluntary, self-contributory scheme» existant auquel le gouvernement contribue Rs 50 pour chaque Rs 100 de l’artiste. Le gouvernement devra aussi contribuer au National Pension Fund pour les professionnels dont les revenus ne sont pas imposables. Il sera en de même pour les employeurs, qui bénéficieront d’un abattement fiscal.

Des propositions pour encadrer les artistes qui évoluent dans le milieu hôtelier sont aussi formulées, notamment en ce qu’il s’agit de protections quant à leur emploi. Ils devront, par ailleurs, être enregistrés auprès du Tourism Employees Welfare Fund.

Mesures fiscales

Les propositions en vue d’un Status of Artist Bill proposent de simplifier les procédures administratives quant aux revenus. Avec, comme l’une des mesures phares : une «flat rate deduction» des impôts sur leurs revenus, sans avoir à fournir de reçus. Si le quantum de 40% à 50% est suggéré, il reviendra cependant à la Mauritius Revenue Authority de le déterminer. Il est, de plus, recommandé, d’éliminer l’impôt par la retenue à source, d’exempter  l’achat de matériel et d’équipement de la taxe à valeur ajoutée. Et de mettre en place des mesures d’accompagnement pour un accès préférentiel au marché international.

Pour encourager l’acquisition d’œuvres artistiques et les spectacles, une exemption à hauteur de 50% (sur le montant affiché sur les billets et reçus) est proposée. L’experte de l’Unesco suggère, en outre, d’abolir l’«entertainment tax». Le Film Rebate Scheme (FRS), dans sa forme actuelle, vise les productions à gros budget. Ce qui est «un sérieux obstacle» à l’émergence d’un secteur du cinéma local visant le marché international». Le FRS doit être revu à la baisse : Rs 1,5 million pour les films et Rs 500 000 pour les productions télévisées.

 

Le rôle du National Body for Professionals in the Arts

Le mandat du NBPA couvre plusieurs aspects : promouvoir les artistes et leur importance ; améliorer leurs statuts professionnel, social et économique ; agir comme facilitateur pour la dissémination d’information aux professionnels notamment à travers un site Web ; promouvoir l’accès à la formation et le marketing des œuvres et services artistiques à Maurice et ailleurs.

L’organisme sera chargé de conseiller le gouvernement en matière de politique culturelle. Le ministère des Arts et de la Culture pourra «donner des instructions d’une nature générale», auxquelles le NBPA devra se conformer. L’organisme comprendra six comités d’experts de six membres chacun concernant les arts visuels, la littérature, la musique, le secteur audiovisuel et les médias électroniques, la danse, les arts du spectacle. Les experts seront sélectionnés après un exercice d’«expression of interest». Les présidents des comités d’experts siégeront sur le conseil d’administration aux côtés des représentants des ministères des Arts et de la Culture, des Finances, du Travail, du Tourisme et de la Sécurité sociale.

Formation et éducation

Vesna Čopič souligne l’importance de l’éducation à l’art. L’inclusion dans le cursus scolaire au primaire de l’enseignement de l’art à travers la «holistic education» est louable mais jugé insuffisant. Les enseignants n’ont pas tous été formés aux arts et «la majorité d’entre eux n’ont pas de compétence ou de connaissance artistique». L’experte de l’Unesco recommande de collaborer avec les écoles d’art existantes dans le cadre du «Holistic Teacher Education Programme». Le ministère de l’Education devra développer des programmes de formation spécifiques.

Les écoles devront collaborer avec les artistes et auteurs mauriciens, suggère Vesna Čopič. Qui ajoute qu’au secondaire, les matières artistiques et l’architecture devront être enseignées et proposées aux examens menant au School Certificate et au Higher School Certificate.

Le piratage…ennemi no.1

Concernant la vente d’albums à travers les disquaires, cette époque est quasiment révolue. Les téléchargements illégaux n’étant que peu ou pas réprimandés sur l’île, les fans ne se donnent plus la peine d’acheter les albums. Une marche pacifique avait été organisée en 2016 à ce sujet par le Kolektif Artis Morisien qui souhaitait dénoncer le piratage.  Certains suivent la tendance et n’hésitent pas à mettre leur musique en vente sur les plateformes de téléchargement légal. Même si les ventes ne garantissent pas un revenu extraordinaire, l’artiste gagne en visibilité, ce qui rejaillit automatiquement sur le reste et notamment la vente  « bonus », plus traditionnelle de CD à la fin des concerts. La principale source de revenus pour les artistes musiciens à l’Île Maurice est sans aucun doute les performances Live.

Les artistes se livrent à cœur ouvert…

Christopher Warren Permal interprète du séga Agatha disque de l’année en 2017 est le premier vers qui nous nous tournons. Il est jeune et rempli de créativité. « Ce n’est pas évident de vivre de son art à Maurice. On pourrait le faire mais il faut pour cela retravailler tout un système pour faire de sorte que ça fonctionne. Il faut avoir l’esprit entrepreneur», dit-il.  Pour Christopher Warren Permal, «votre art c’est votre créativité, votre talent mais surtout votre produit.  Pour réaliser cela, il y a tout un gros travail qui au final peut permettre tout comme un autre métier de gagner sa vie », avance le jeune artiste.  Ce dernier affirme également que sans l’aide des autorités ce sera très difficile d’atteindre l’objectif.

Sedley Assone, écrivain : « À part une petite exception composée de plasticiens qui arrivent à vivre de la vente de leurs tableaux/sculptures, la grande majorité des artistes mauriciens ne peuvent vivre de leur art », soutient l’écrivain.  Il poursuit, « qu’ils soient musiciens, hommes de théâtre ou autres, tous doivent avoir un travail. Leur art devenant alors une passion. Personnellement sans l’aide de mécènes, je n’aurais jamais pu sortir plus de vingt ouvrages. À titre d’exemple quand j’ai sorti ‘Ségatiers’ c’est le Centre Nelson Mandela qui avait sponsorisé la publication du livre. Mais avec le nombre de pages dépassant 600 j’ai dû faire appel à un mécène ».  Sedley Assone affirme que sans l’aide de sponsors il n’aurait pas pu faire publier ses livres.  « Je profite pour lancer un appel à qui de droit. On n’aurait jamais dû taxer les artistes. Nous travaillons pour le pays et en retour nous ne sommes pas toujours traités à notre juste valeur. Il est temps de valoriser le statut des artistes. Pourquoi ne pas donner une carte d’artiste qui nous donnerait droit à des préférences fiscales auprès des banques par exemple ? Tout cela pour dire qu’un artiste est un homme et une femme comme les autres et qu’il nous faut travailler pour gagner honnêtement notre pain », dit Sedley Assone, le vicomte des Gueux.

Lewis Dick, sculpteur : « Oui, bien sûr ! Tous les artistes peuvent vivre de leur art.  Moi je l’ai fait depuis 40 ans. On a simplement besoin d’un bon planning, la créativité mais aussi la diversité dans le travail que je fais. Et puis je partage ma connaissance…C’est mon gros investissement ». 

 

Marvin Anthony, comédien : « Si vous m’aviezposé la question il y a une décennie j’aurais dit que c’est difficile de vivre de son art à Maurice.  Mais de nos jours, en 2019, je vois qu’il y a tous les moyens possibles qui font que nous puissions vivre de notre art.  Le public est ouvert à tous les types d’art, nous avons aujourd’hui toutes les facilités pour avancer ». 

 

Vishnou Carombayenin, chanteur : « La réponse est non. Tant qu’il n’y aura pas un vrai ministre de la Culture qui a de l’expérience et une connaissance en matière d’art, nous partons avec un gros retard. Une mission impossible. Après tant d’années passées à l’étranger,  j’ai essayé plusieurs fois de faire carrière dans l’art dans mon pays en vain. C’est un grand débat et on a tout à étudier. Probablement un jour cela viendra mais il faut changer tout un système des médias, de la production à la distribution et la communication. Il ne faut pas que les artistes restent dans l’oubli dans leur pays ».