Discours-programme : Un programme sans ambition

Les attentes étaient grandes. Mais le discours-programme a déçu. Outre des mesures annoncées précédemment dans divers budgets, il est surtout caractérisé par son manque d’ambition et de vision, ne correspondant pas aux défis qui nous attendent. S’il est vrai que le discours-programme contient quelques mesures attendues comme l’introduction d’un code de conduite pour les parlementaires, une loi sur le financement des partis politiques ou encore sur la réforme électorale, le doute persiste quant à la volonté du gouvernement de les mettre en pratique, d’autant qu’elles exigent un consensus des deux côtés de la Chambre pour pouvoir l’appliquer. Ce qui fait dire à certains que ce ne sont que des mesures trompe-œil. D’autres mesures, comme les « sunshine laws », sont prises avec des pincettes alors que la politique inclusive prônée par le gouvernement ne fait que rire sous cape les opposants…

Reza Uteem, Mouvement Militant Mauricien (MMM)

« Un discours creux où il n’y a rien de concret »

Reza Uteem (MMM) nous confie pour sa part que « En termes pratiques, c’est un discours creux où il n’y a rien de concret. »

Abordant le premier thème du discours programme, qui traite du développement inclusif, il commente : « Rien n’a été mis de l’avant pour l’élimination des discriminations, surtout en ce qui concerne ceux qui obtiennent un emploi par le ‘backing’. » 

Selon lui, ce discours programme n’a pas vraiment démontré comment le gouvernement a l’intention de relancer l’économie par la création d’emplois. « Le gouvernement n’a rien proposé de concret pour relancer l’économie, le secteur sucrier, le tourisme, le secteur manufacturier, l’offshore et les services financiers. Et cela après cinq ans au pouvoir. »

« Le gouvernement parle de l’intelligence artificielle alors que 70 % des élèves du School Certificate (SC) ne pourront pas être admis en Grade 11 et 12, et cela malgré les milliards de roupies dépensés dans le secteur de l’éducation. » 

Commentant sur l’importance de la lutte contre la fraude et la corruption, il dit noter que cet item a été inséré parmi les dernières mesures, avec un seul paragraphe. « Il n’y a aucune volonté politique pour combattre la fraude et la corruption », lance-t-il. « En outre, le gouvernement n’a pipé mot sur la réduction des gaspillages révélés tous les ans dans le rapport de l’Audit », ajoute-t-il.

Il a ensuite abordé la lutte contre la pauvreté, et se demande ce que le gouvernement a fait en termes de logement sociaux. « Il n’est pas possible qu’en 2020, des personnes vivent toujours dans des maisons en tôle », affirme Reza Uteem.

Yahya Paraouty, ancien president de l’UPSEE

« On doit juste ajuster nos curriculums d’après la réalité d’aujourd’hui. »

Pour l’ancien président de l’UPSEE (Union of Private Secondary Education Employees), Yahya Paraouty, qui suit de près le système de l’éducation, les projets annoncés dans le discours programme concernant l’éducation sont répétitives de ceux des années précédentes. Pour lui, il y a une gangrène dans le système de l’éducation et on doit l’attaquer dès la racine.

« Ces mesures annoncées ne sont bonnes que pour faire plaisir à l’oreille alors que la réalité demeure autre chose. Malgré que beaucoup de gens s’attardent sur le fait que les étudiants n’obtiennent pas 5 credits car ils sont trop scotchés à leurs portables, je trouve que ces enfants continueront ainsi tant qu’on n’accepte pas le fait qu’on vit dans une ère digitale. C’est la réalité. Le gouvernement doit comprendre que les étudiants de nos jours ne peuvent s’en passer à utiliser la technologie et à être actifs sur les réseaux sociaux. Cependant, cela ne veut pas dire qu’ils ne pourront réussir académiquement. On doit juste ajuster nos curriculums d’après la réalité d’aujourd’hui. » Il demande au gouvernement de venir de l’avant avec des projets concrets pour hausser le niveau de l’éducation au lieu de passer par quatre chemins pour faire croire qu’ils sont en train de faire avancer les choses alors qu’on patine sur place.

Yahya Paraouty a aussi mis l’accent sur la revalorisation des métiers. « Les centres polytechniques doivent revoir leurs structures et les certificats qu’ils offrent pour leur redonner leurs lettres de noblesse. Ce n’est qu’à ce moment plus de jeunes seront intéressés à s’inscrire pour des cours. »  Il a dans la foulée fustigé le fait que des écoles payantes ‘’poussent’’ de nulle part à Maurice. « Pourquoi tant de parents sont contraints à inscrire leurs progénitures dans des écoles payantes alors que l’éducation est gratuite à Maurice ? Il est primordial de savoir la cause de cela. »  Et d’ajouter qu’il y a tant de ‘’major issues’’ qui n’ont pas été adressées, comme la lecture. Yahya Paraouty trouve déplorable le fait qu’il n’y a point d’intérêt pour un enfant de faire la lecture. Il propose que le gouvernement subsidie des magazines éducationnels pour que les étudiants puissent lire.

Pour conclure, il a tenu à rappeler que l’Educators Council dont parle le gouvernement n’a pas porté ses fruits dans plusieurs pays qui ont tenté de l’introduire. Il a aussi suggéré qu’on attaque le problème dès le préprimaire car les étudiants qui arrivent à l’Université sont toujours ‘’bookish’’ et ne peuvent y faire face.

Jack Bizlall, observateur politique et syndicaliste

« Nos industries connaissent une mort lente »
Jack Bizlall nous confie qu’il est plutôt resté sur sa faim, après un survol du discours-programme. « Par exemple, rien n’a été annoncé sur le secteur manufacturier », nous dit-il. Il est d’avis que le discours-programme s’inscrit dans la logique de Pravind Jugnauth quand ce dernier était ministre des Finances.
Le syndicaliste a profité de cette occasion pour dire son inquiétude sur la situation économique du pays : nos industries connaissent déjà une mort lente car les gens ne s’intéressent plus à se lancer dans l’entreprenariat, mais achètent plutôt des terres et construisent des bâtiments afin de les vendre. « L’économie de Maurice se fie ainsi sur des revenus que nous recevons sur la vente de nos biens », a- t-il conclu.
Suttyadeo Tengur, président de l’Association pour la protection des consommateurs et de l’Environnement
« Il faudrait qu’il y ait une politique de l’environnement basée sur les normes internationales »
Suttyadeo Tengur a mis l’emphase sur les mesures concernant l’environnement. « Maurice n’est pas un pays isolé. De ce fait, peu importe quel développement a lieu dans un autre pays, cela aura un effet sur Maurice, et vice-versa. Il faudrait qu’il y ait une politique de l’environnement basée sur les normes internationales », affirme-t-il.
En ce qui est de l’annonce faite sur la création de trois forêts endémiques, Suttyadeo Tengur dit saluer cette décision. Il est d’avis que le pays fait face à des problèmes d’inondations vu que beaucoup de forêts ont été détruites dans le passé. « La rétention de l’eau de pluie n’est possible que quand il y a des forêts. Et il faut aussi faire de sorte que les rivières et les lacs soient préservés », dit-il.

Hantish Mattabadul, jeune écologiste
« Un pas dans la bonne direction »
Le jeune Hantish Mattabadul, 21 ans, s’est fait le porte-parole de la jeune génération écologiste de Maurice au UN Climate Action Summit qui s’est tenue à New York en septembre 2019. Ce dernier dit accueillir favorablement la décision d’initier un National Youth Environmental Council, qu’il qualifie de « pas dans la bonne direction ».
« Toutefois, il est chagrinant de constater que beaucoup de politiciens essayent de gagner la confiance des jeunes mais en fin de compte, ne vont pas agir sur l’environnement », nous dit-il.