Dharam Gokhool : « Le Premier ministre appréhende-t-il les pétitions électorales ? »

  • « Il faut que le leadership change de style »

Ancien politicien, ex-ministre de l’Éducation, universitaire et observateur politique, Dharam Gokhool passe en revue la situation sociopolitique. Il revient sur les promesses non-tenues de ce gouvernement et se dit, dans la même foulée, très inquiet de la situation concernant la drogue dans le pays. Il aborde aussi d’autres sujets d’actualités…

 

Zahirah RADHA

 

Q : Les travaux parlementaires reprendront ce mardi avec en toile de fond les marches citoyennes. Quel sera l’enjeu pour le gouvernement ainsi que pour l’opposition ?

Ces vacances parlementaires ont été ponctuées par plusieurs sujets préoccupants, dont le naufrage du Sir Gaëtan, l’affaire Angus Road, la CSG ainsi que les Rs 80 milliards de la MIC, entre autres. De plus, les effets de la crise économique se font sentir, la population se retrouvant avec une baisse de son pouvoir d’achat alors que le taux de l’endettement et de la pauvreté augmente. Le gouvernement a été constamment sur la défensive, le Premier ministre multipliant sa présence sur le terrain pour gérer l’opinion publique, mais aussi pour montrer que son gouvernement travaille et que des projets sont mis en chantier en dépit de la situation difficile.

L’opposition parlementaire, qui a pris l’initiative de combiner ses efforts, aura pour sa part, l’occasion de rebondir sur tous ces problèmes, en misant sur la vague de mécontentement et de frustration généralisée qui règne dans le pays. Elle doit optimiser ses opportunités pour démontrer que le gouvernement ne peut pas gérer la situation. Elle doit aussi faire preuve de solidarité envers le peuple.

 

Q : L’opposition semble être déjà sur le pied de guerre avec l’annonce d’une ‘motion of disallowance’ contre la CSG. Est-ce de bon augure ?

Évidemment ! La CSG est très controversée. Business Mauritius l’a d’ailleurs expliqué. Des actuaires spécialisés dans le domaine ne cachent pas leurs réserves non plus. Le NPF, il faut le rappeler, était un fonds d’investissement et de récolte tandis que la CSG est une taxe qui est imposée sur des travailleurs. Les recettes de cette taxe seront réparties de façon discriminatoire. Le projet a été mal ficelé dès le départ. Le gouvernement n’a pas été à l’écoute des spécialistes. Il y voit un raccourci d’une promesse qu’il a faite en novembre 2019 pour augmenter la pension universelle à Rs 13 500 d’ici 2024. Puisqu’il n’a pas la capacité d’honorer cet engagement, il impose donc une taxe. C’était une mesure populaire qui est devenue populiste au fil du temps.

 

Q : La fourniture d’eau sur une base 24/7 n’est-elle pas aussi devenue une mesure populiste, selon la récente déclaration du Premier ministre ?

Il n’y a pas que l’eau ! Il y a aussi toute une série d’autres promesses qui n’ont pas été tenues, dont l’implémentation de la taxe municipale, le PRB qui est toujours en attente et le paiement du SCBG, entre autres. Pour revenir à votre question sur la fourniture d’eau, la déclaration du Premier ministre est très grave. Il ne faut pas oublier que l’ancien ‘Deputy Prime Minister’ avait fait état de dépenses énormes en ce qu’il s’agit de l’amélioration de la fourniture d’eau. Or, 60% d’eau sont toujours perdues. Cet engagement n’a pas été respecté par le gouvernement.

Soulignons, dans la même foulée, que le MSM avait aussi pris l’engagement de ne pas tenir des discours politiques lors des fonctions organisées par les associations socio-culturelles. Cependant, on les voit régulièrement tenir des meetings lors de ces rassemblements à la MBC.

J’aimerais aussi faire ressortir que, dans sa ‘newsletter’ d’octobre, le DPP Satyajit Boolell a souligné qu’il y a 10 000 à 12 000 consommateurs de l’héroïne par jour, qu’il y a des saisies d’environ Rs 500 millions liées à la drogue et que 700 millions de dollars transitent par Maurice. Ce qui explique sans doute l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’UE. Cela fait peur !

 

Q : En parlant de drogue, comment expliquez-vous que la demande d’Ally Lazer pour la tenue d’une marche contre la drogue ait été rejetée alors que le PM se targue de vouloir combattre ce fléau ?

La déclaration et les prises de position du Premier ministre révèlent son état d’esprit. Il a mis beaucoup d’accent, ces derniers temps, sur des projets de prestige, plus précisément des projets d’infrastructures tels que le métro ou la Safe City que j’appelle personnellement les ‘hardwares’. Par contre, il ne fait rien qui touche au bien-être de la population et ne prête pas attention aux ‘softwares’. La situation concernant la drogue, qui touche beaucoup de jeunes, incluant des étudiants, en fait partie.

Il y avait eu en septembre dernier, la tenue d’un ‘High Level Drug and HIV Council’. Ce comité a été mis en place dans le sillage du ‘National Drug Control Masterplan 2019-2023’ et du rapport Lam Shang Leen. Je n’ai pas tous les détails mais si jamais l’implication de certains membres de l’ADSU dans des transactions de la drogue ou si les observations faites par le DPP dans sa ‘newsletter’ concernant les 10 000 à 12 000 utilisateurs d’héroïne/ jour, les saisies de Rs 500 millions ou les 700 millions de dollars qui transitent par Maurice n’ont pas été évoqués alors que le Premier ministre est très bien renseigné, alors c’est très grave.

Au lieu de s’occuper des dossiers prioritaires, le Premier ministre se montre hyperactif. Il donne l’impression d’être en campagne électorale permanente tandis que les élections générales sont terminées. Il est évident qu’il est perturbé. Est-ce qu’il appréhende les pétitions électorales ?

 

Q : Ou peut-être jette-t-il les jalons en vue des élections villageoises et éventuellement des municipales ?

Oui, mais en lisant entre les lignes, il me semble perturbé. D’où sa constante présence sur le terrain. Ce qui fait dire à certains qu’il ne lise les dossiers et ne réfléchisse aux problèmes de la société que quand il en a le temps.

 

Q : Est-il possible qu’il soit perturbé par l’affaire Angus Road ? Il a est sorti de son mutisme pour annoncer que Bhadain et l’Express entendront bientôt parler de lui…

L’Angus Road Saga date depuis 2001. Une mise en demeure servie par un Premier ministre à un journal est déjà synonyme d’une parade pour bloquer l’information et d’empêcher aux médias de travailler. C’est surprenant qu’il dise qu’il va rassembler tous les éléments avant de prendre des actions. En tant qu’une des parties concernées dans cette affaire, il doit déjà disposer de toutes les informations concernant cet achat. Au lieu de perdre du temps et de laisser perdurer les spéculations, il aurait pu y mettre fin en s’expliquant lors d’une conférence de presse. Mais pourquoi fait-il toute cette parade ? Ce n’est pas ainsi qu’il mettra fin aux spéculations.

 

Q : Il y a beaucoup d’attentes sur l’Opposition. Pourra-t-elle faire le poids face à un gouvernement souvent perçu comme étant arrogant et intransigeant ?

Il y a une perception que le travail de l’Opposition manque de mordant. Face aux problèmes auxquels fait face la population, on s’attend à ce que sa stratégie soit plus pointue. Il ne faut pas qu’elle disperse ses énergies. Il faut qu’elle se concentre, entre autres, sur le problème central qu’est la drogue. L’Opposition avait bien défendu ce dossier dans le passé, mais je note que, depuis quelque temps, elle éparpille ses efforts. L’Opposition doit se rapprocher aux Mauriciens et à leurs problèmes, tout en proposant des solutions.

 

Q : Certains pensent qu’elle n’est pas suffisamment présente sur le terrain. Partagez-vous cet avis ?

Le rôle de l’Opposition est celui d’un chien de garde. Il y a peut-être des problèmes de communication avec la MBC qui ne se concentre que sur le gouvernement et les médias qui ont leur agenda, mais avec l’internet, ce problème peut être facilement résolu. Le contact humain est également important. La situation exige qu’il y ait une présence accrue de l’Opposition sur le terrain. Les réunions d’explications et de mobilisations doivent se poursuivre. Sinon, les problèmes seront relégués, amplifiés et la situation se dégradera.

 

Q : N’est-ce pas compliqué pour l’Opposition de descendre sur le terrain quand les trois partis discutent toujours des modalités d’une alliance ?

Ce gouvernement avait promis, en 2019, un deuxième miracle économique. Il avait aussi promis que toutes les pourritures seront nettoyées. D’autres engagements se sont succédé, comme le combat contre la drogue et la pauvreté, la construction des maisons sociales et la création de 100 000 emplois, entre autres. Or, nous nous retrouvons actuellement dans une situation de crise économique qui peut déboucher sur une crise sociale, surtout parce que les ‘softwares’ ont été négligés.

L’Opposition ne peut pas attendre que la situation s’empire avant d’agir. Chacun peut avoir son point de vue sur la concrétisation de cette alliance, mais le système électoral tel qu’il est, favorisera le retour du gouvernement au pouvoir au cas où les partis de l’Opposition vont séparément. Les vieux routiers que sont Ramgoolam, Bérenger et Duval le comprennent. D’où leur démarche pour unir leurs forces. Ils n’ont pas d’autre choix que de travailler ensemble.

J’estime que c’est un projet qu’il faut discuter et qui prendra du temps. Ils devront trouver un terrain d’entente, surtout sur les points communs sur lesquels ils s’entendent, pour pouvoir travailler ensemble car, avouons-le, ‘perfect world’ n’existe pas. Un an s’est déjà écoulé depuis les dernières élections. Bientôt, il y aura les municipales. Le temps passera très vite.

Vu la situation dans laquelle le pays se retrouve, je pense personnellement que c’est salutaire qu’ils se concertent puisque l’opposition représente un gouvernement alternatif. En se basant sur leurs expériences et les erreurs du passé, ils pourront œuvrer pour donner un nouveau souffle au pays.

 

Q : Mais de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer un renouvellement de la classe politique, surtout au sein du PTr. Qu’en pensez-vous ?

Durant les 52 ans depuis l’indépendance du pays, nous n’avons connu qu’un cycle politique : celui de continuité. Cependant, nous sommes actuellement à un tournant. Outre la Covid-19, la crise économique, les aspirations de la nouvelle génération qui en a marre du népotisme, de la corruption et des atteintes à la démocratie, il y a aussi une mouvance internationale qui réclame un changement du système politique. Nous ne sommes pas en reste.

Une personne fait de la politique soit parce qu’elle veut servir le pays, soit parce qu’elle veut, en cours de route, se servir elle-même. Or, il faut repositionner la politique en tant qu’une responsabilité envers la société. Quant au renouvellement, il en faut. Néanmoins, elle ne doit pas se faire de façon brutale. On a vu ce qui s’est passé en 2019. Cette expérience n’a pas été plaisante, Même auparavant, soit de 2014 à 2019, il y a eu des cas de mœurs politiques. Le Premier ministre dispose actuellement d’une équipe de troisième division. Les jeunes ne font pas le poids alors que beaucoup de ministres ne maîtrisent même pas leurs dossiers.

Même les petits partis avec de grandes idées, qui réclament que les partis traditionnels fassent de la place aux jeunes, sont dirigés par les mêmes personnes qui sont là depuis des années et dont la plupart s’approchent de la soixantaine. On ne doit pas se baser uniquement sur le critère d’âge car cela constitue une forme de discrimination, tout comme le racisme ou le sexisme.

Tout renouvellement doit passer d’abord par une transition. Les chefs de partis doivent réaliser qu’il y a une attente parmi la population et qu’un renouvellement s’impose. Mais il faut un bon dosage de jeunes et d’anciens qui ont de l’expérience. Il faut aussi préparer les jeunes pour qu’ils prennent conscience de leurs responsabilités.

 

Q : Mais comment concilier les attentes de la population aux aspirations des membres du parti, sachant que cela peut provoquer des frictions internes ?

C’est effectivement très complexe, surtout quand on se base sur la sociologie des circonscriptions et les considérations qui sont prises en compte dans le cadre d’une élection générale. Cette tâche ne sera pas facile. Mais c’est là que les leaders politiques devront faire preuve de leadership. Il leur faut assurer que leurs membres puissent travailler en équipe. Quand le pouvoir est trop centré vers le haut au niveau des partis, cela créé beaucoup de frustration. Il faut que le leadership change de style. Le leader doit persuader et convaincre en expliquant les exigences, et non tomber dans la facilité. Sinon, on en paiera le prix cher lors des prochaines élections.

 

Q : Quels sont les enjeux des élections villageoises et éventuellement ceux des municipales qui peuvent survenir tout aussi brusquement ?

Les élections villageoises auraient pu servir d’opportunité pour renforcer la démocratie au niveau des villages, soit la ‘grassroot democracy’. Il aurait été salutaire si les partis politiques se tenaient à l’écart pour laisser s’exprimer les citoyens. Leurs aspirations et leurs attentes auraient ensuite pu être inclues dans un manifeste électoral.

Or, il est clair que le gouvernement s’implique grandement dans ces élections. Le budget consacré à certains projets d’infrastructures le démontre clairement. D’ailleurs, selon mes informations, les ministres ont eu la responsabilité d’assurer que leurs équipes soient présentes et qu’elles font campagne en faveur du gouvernement. L’Opposition est, par contre, beaucoup plus discrète étant donné les circonstances. Ces élections feront vraisemblablement office de baromètre politique pour le gouvernement aussi bien que pour l’Opposition puisqu’elles leur permettront de cerner leurs problèmes, leurs aspirations et leurs priorités.

En ce qu’il s’agit des municipales, l’enjeu sera beaucoup plus grand puisque les partis politiques seront directement représentés et l’Opposition devra se présenter comme l’alternance pour les élections générales qui s’ensuivront. Le temps passera vite. D’ailleurs, on ne sait pas ce que le cas des pétitions électorales en cours nous réserve.

 

Q : Si jamais une élection spécifique est remise en cause, l’Opposition pourra-t-elle réclamer de nouvelles législatives ?

Tout dépendra de la nature du jugement que livrera la Cour suprême. S’il touche aux procédures électorales qui n’ont pas été appliquées correctement ou s’il y a eu des irrégularités, il est fort possible qu’il y ait des répercussions dans d’autres cas. Si cela s’avère, l’Opposition pourra alors réclamer légitimement de nouvelles élections générales.