Dev Virahsawmy, observateur politique : « Selon la loi du pays, un ex-président de la République qui touche une pension n’a pas le droit de recevoir des salaires »

  • Showkutally Soodhun a donné l’impression que Maurice a déclaré la guerre contre l’Iran

 

Dev Virahsawmy, observateur politique, est d’avis que Paul Bérenger  passera toute sa vie à quémander quelques mois dans le fauteuil de Premier ministre.  Selon lui, le leader de l’Opposition est la cause principale de la défaite PTr-MMM. Dans l’interview qu’il nous accorde cette semaine, il affirme que Soodhun, en faisant des déclarations en faveur de l’Arabie saoudite, a donné l’impression que Maurice a déclaré la guerre contre l’Iran. D’autre part, il soutient que, selon la loi du pays, un ex-président de la République qui touche une pension n’a pas le droit de recevoir des salaires.

Sanjay BIJLOLL

 

Q : Dev Virahsawmy, décidément, vous êtes un personnage surprenant. On vous surprend là où on vous attend le moins sur l’échiquier politique : ex-MMM dans les années 70, ex-conseiller politique au MSM dans les années 80. Aujourd’hui, vous annoncez votre adhésion au Parti travailliste. Expliquez- nous pourquoi tous ces zigzags ?

R : Il y a deux façons de voir les choses. Certaines personnes parlent de zigzags. Moi, je vois une ligne qui avance vers un avenir meilleur. J’ai toujours aimé les défis et, à chaque fois, quand il y a eu à choisir entre mes intérêts personnels et le bien de mon pays, j’ai choisi mon pays.

En 1968, j’aurais pu choisir le confort car depuis ma naissance j’appartiens à la famille travailliste. Le Dr Seewoosagur Ramgoolam était mon médecin. Quand j’étais à Goodlands, mon grand-père, mon père et mes oncles étaient tous des ‘supporters’ du PTr. Mais après l’indépendance, j’ai choisi un combat pour un socialisme plus avancé et pour une culture nationale, combattant ainsi le réflexe communautariste. Plus tard, quand il y a eu des conflits idéologiques entre Paul Bérenger et moi, j’aurais pu fermer ma gueule, m’agripper au poste de no2 du MMM. Or, ma conscience ne me le permettait pas. Donc il y a la rupture et les raisons pour lesquelles j’ai quitté le MMM sont toujours valables.

Je demeure un socialiste qui croit en la nécessité de faire de la République de Maurice une nation arc-en-ciel avec une culture nationale forte et dynamique. Ce combat-là, j’ai continué à le mener. Avant les élections de 1982, Paul Bérenger m’a demandé de retourner au parti. Si j’avais pensé à mes intérêts personnels, j’aurais été ministre ou député. Mais j’ai refusé parce que je n’étais nullement d’accord avec la politique de Paul Bérenger.

 

Q : Et après ? 

R : Puis vint 1983 et la grande cassure. Si j’avais voulu, encore une fois, avoir une position extrêmement importante, j’aurais accepté les offres du MMM. Pour moi, le plus important était de faire tomber les masques de Paul Bérenger. Le reste, c’est l’histoire. Avec le soutien de SSR et de SGD, nous avons pu « cut Bérenger down to size ». Ensuite vinrent les conflits que j’ai eus avec Boodhoo et Jugnauth concernant la nécessité de combattre le communalisme pour construire une société méritocratique. Encore une fois, si j’avais pensé à mes intérêts personnels, j’aurais fermé ma gueule et continué à rester au pouvoir avec les autres que je méprisais. Mais j’ai choisi de partir et c’est là que j’ai demandé à être admis au PTr que Jugnauth voulait détruire en disant qu’il allait jeter le PTr dans la poubelle de l’histoire.  Et j’ai commencé à faire un certain travail au sein du PTr qui fut très apprécié par les dirigeants du parti.

Ensuite est venue l’affaire SGD. Qui a sauvé SAJ en 1983 ?  Pour le récompenser, SAJ a monté un complot pour casser son cou et j’ai pris la défense de SGD pendant que Paul Bérenger jubilait croyant qu’il allait se débarrasser de la personne de SGD. Si les gens persistent à avoir un zigzag dans leur parcours, c’est leur droit. Mais moi j’ai toujours milité pour la droiture et pour une République réellement démocratique.

 

Q : Vous avez connu plusieurs générations politiques, laquelle vous a le plus marqué ?

R : J’ai eu le bonheur de connaître tous les Premiers ministres depuis l’Indépendance. Bien que je fusse l’adversaire de SSR après l’indépendance, nous avons maintenu de bonnes relations civilisées.  Ensuite, j’ai connu Jugnauth qui, pour moi, était la plus grande déception car il est motivé par une seule chose : l’argent, encore d’argent et toujours beaucoup d’argent. Après, j’ai connu Navin Ramgoolam. Je persiste à dire qu’il est un gentleman. Quant à Paul Bérenger, il passera toute sa vie à quémander quelques mois dans le fauteuil du Premier ministre.

 

Q : Dev Virahsawmy, quel rôle comptez-vous jouer au Parti travailliste ? Est-ce celui d’un ‘gourou’ new-look ?

R : Je sais que j’ai certaines compétences et aussi des limites. J’étais un assez bon orateur qui sait utiliser la parole humaine pour persuader. En plus, j’ai une certaine idée de ce que devrait devenir mon pays. Nous sommes une nation d’immigrants, venus d’Europe, d’Asie et d’Afrique et c’est l’histoire que nous avons en commun. Mon pays n’est pas la petite France ou ‘Little India’. Mon pays est une nation arc-en-ciel où on pourrait construire une démocratie non seulement au niveau politique, mais aussi au niveau économique.

Je sais que je pourrais m’occuper de la formation des cadres du parti afin que tous les activistes qui vivent dans les villages et villes sachent ce que c’est l’idéologie et la mission du PTr et aussi ce qu’il faut faire pour faire face aux grands problèmes tels que le réchauffement de la planète, le changement climatique, la sécurité alimentaire, l’égalité des genres, etc.

Je pourrais participer à des activités, soit dans des meetings et réunions ou m’occuper de l’éducation des membres ainsi qu’à la réflexion qu’un parti moderne doit avoir. Toutes ces choses prennent beaucoup de temps. Je l’ai déjà dit que je veux faire de la politique d’une autre manière. La députation au Parlement ne m’attire pas. La responsabilité ministérielle ne m’intéresse pas. Or, je suis très attiré par le travail politique qui doit être fait au niveau de la base. Avec l’aide de Navin  Ramgoolam, on a commencé un travail très intéressant dans la prison de Maurice. Le travail se fait pour permettre la réhabilitation des détenus. Si j’ai les moyens, j’ose espérer pouvoir continuer ce travail jusqu’à la fin de mes jours.

 

Q : Est-ce votre certitude que Navin Ramgoolam compte rebondir dans l’arène politique qui pourrait expliquer votre choix ?

R : Navin Ramgoolam, en tant que leader du PTr, est une force incontournable. Qu’on le veuille ou pas, le PTr a besoin de lui. On oublie toujours ce qu’il a donné au pays. Avant, la République de Maurice était faite de 1 000 km de terre. Or, grâce aux réalisations de l’ex-PM et de son équipe, la République possède 2, 3 millions km de mer,  ce qui veut dire que nous allons devenir une république maritime. Quand ceci fut annoncé, la réaction de SAJ  avait fait rire tous les intellectuels du pays. Je cite les mots de SAJ : «  Ki pou faire are ça ? Ramasse gomons ? » Et aujourd’hui, il est en train de parler de l’économie bleue. Il veut voler l’idée de Navin Ramgoolam.

Il faut aussi dire que c’est grâce au fils de SSR que l’île Maurice avait commencé à démocratiser l’économie. Il ne faut pas oublier que quatre groupes,  appartenant à une même ethnie, possèdent 80% de la richesse de la République. Navin Ramgoolam voulait démocratiser l’économie et commencer à détruire l’apartheid économique. J’ai comme l’impression que le MSM a été financé par le gros capital pour empêcher qu’émerge une bourgeoisie financière non-blanc.

Navin Ramgoolam était au courant de graves problèmes écologiques qui allaient affecter la vie des gens de la République. Il avait déjà mis sur pied une petite organisation qui s’appelait Maurice Ile Durable (MID), dirigée par Osman Mahomed. La première chose que le gouvernement MSM a faite, c’est de démanteler le MID, ce qui démontre clairement que pour le gouvernement, la lutte contre la dégradation écologique n’est pas nécessaire.

L’ancien chef du gouvernement a mis dans l’agenda politique de notre République la ‘gender policy’. Grâce à sa vision et son travail, il était devenu une obligation à tous les partis politiques d’aligner un certain nombre de femmes aux élections municipales et villageoises. Le projet devrait finalement aboutir à une plus forte représentation féminine au niveau du Parlement et du gouvernement.

Il a eu aussi le courage politique de faire entrer dans le programme scolaire le créole mauricien. C’était un petit pas, je l’admets, mais il a ouvert une grande porte parce que maintenant il nous faut réfléchir à une refonte totale du système éducatif. Le Nine-Year Schooling du présent gouvernement ne résoudra pas le problème, mais continuera à rendre la situation encore plus grave.

J’ai l’impression que les gens ont oublié les grandes contributions de Navin Ramgoolam. Est-ce que nous avons une mémoire courte ou une ‘sélective memory’ ? Il a fait des erreurs, mais ses accomplissements, réussites et succès sont plus forts que ses erreurs.

 

Q : Dans l’express, lundi, le leader du MMM, Paul Bérenger, a déclaré que Navin Ramgoolam doit se retirer du PTr afin que ce parti puisse relever la tête. Qu’en dites-vous ?

R : Je demande à Paul Bérenger de s’occuper de sa basse-cour. Nous savons de ce que nous devons faire pour relancer le PTr. Paul Bérenger n’a pas le courage d’admettre que la défaite de 2014, à plus de 70%, a été causée par ses inqualifiables propos.  Quand il a voulu faire croire qu’après les élections de 2014, Navin Ramgoolam allait devenir un président sans pouvoir et qu’il allait devenir un Premier ministre avec tous les pouvoirs, c’est-à-dire il a voulu faire gober à la population  que le président élu au suffrage universel dans 21 circonscriptions allait avoir moins de pouvoir qu’un Premier ministre élu dans une circonscription.

La population n’a pas voulu accepter cela. Paul Bérenger est la cause principale de la défaite PTr-MMM. Depuis, il passe tout son temps à jeter la boue sur Navin Ramgoolam. Aujourd’hui, il a le culot de faire la leçon au PTr, lui qui a passé toute sa vie à se cacher derrière le ‘langouti’ d’un ‘vaish’ et il continue à le faire. Je demanderais à Paul Bérenger de ne pas nous prendre pour des imbéciles. En tant que leader de l’Opposition, il est de facto le ‘shadow Prime Minister’. Il fait croire que, maintenant, il va y avoir un débat pour savoir s’il sera le prochain Premier ministre. Mais il nous prend pour quoi, pour des imbéciles ? S’il peut couillonner quelques militants qui restent, il ne peut couillonner le peuple de Maurice.

 

Q : On a l’impression que le socle sur lequel repose l’Alliance Lepep chancelle après les pluies torrentielles. Quelle est votre opinion ?

R : Il ne faut pas blâmer la pluie pour les bêtises politiques du gouvernement au pouvoir. Le VPM Showkutally Soodhun a annoncé que dans la guerre entre l’Arabie saoudite et l’Iran, Maurice va soutenir l’Arabie saoudite et il s’est présenté comme ministre des Affaires islamiques. Or, un Premier ministre digne de ce nom l’aurait rappelé à l’ordre, voire le limoger. Il n’a pas le droit de dire qu’il est ministre des Affaires islamiques parce que la République de Maurice est un État laïc.

Ce qui est plus grave, c’est que Soodhun a donné l’impression que Maurice  a déclaré la guerre contre l’Iran. Les Mauriciens qui se trouvent en Iran sont en danger d’emprisonnement et de mort. Ils peuvent être traités d’espions dans le règlement de la guerre.

Au sein du gouvernement, il y a deux tendances : tendance Bhadain  et tendance Pravind Jugnauth. Le pauvre Xavier-Luc Duval ne sait plus sur quel pied danser. Il faut qu’il fasse attention que SAJ n’utilise pas la même méthode contre lui qui fut utilisée contre son père qui était attaqué sur le témoignage d’un proxénète  et d’un ‘habitual criminal’. C’est l’arme que SAJ aime.

 

Q : Au sein de l’Alliance Lepep, il y a de jeunes loups qui aiguisent leurs crocs et d’autres plus  âgés qui veillent au grain. Quels sont vos commentaires à ce sujet ?

R : Le gouvernement est fait de ramassis, d’incapables et d’incompétents, tous âges confondus. C’est le gouvernement le plus désastreux que notre pays ait connu. Il faut tout faire pour faire partir le gouvernement. C’est quelque chose que doit apprendre Paul Bérenger.  S’il veut participer à la renaissance du pays, qu’il cesse de chercher des boucs émissaires !

 

Q : Le PMSD que vous avez côtoyé au temps de sir Gaëtan Duval a-t-il évolué sous Xavier-Luc Duval ?

R : La seule chose que je peux vous dire, c’est que XLD est un ami de ma famille. Le PMSD sous SGD était dirigé par un personnage très charismatique et XLD ne l’est pas. Mais il a les pieds sur terre et la tête sur les épaules. D’ailleurs, XLD est le seul ministre au gouvernement qui est toujours respecté.

 

Q : Une alliance PTr-PMSD, est-ce du domaine du possible ?

R : Je l’ai déjà dit et je le répète. XLD le sait très bien. S’il veut que le pays sorte de l’ornière, il faut qu’il vienne en aide au PTr  et qu’il prenne ses responsabilités.

 

Q : Ces jours-ci, on parle beaucoup du remboursement des salaires du Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, qui avait cumulé les fonctions du président de la République. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

R : Il y a une grande confusion et même si je ne suis pas légiste, je dois m’exprimer le plus clairement possible. Selon la loi du pays, un ex-président qui touche une pension n’a pas le droit de recevoir des salaires. L’argument qu’utilise le MSM, c’est que le Premier ministre est élu par l’électorat et n’a pas d’employeur. Mais c’est totalement faux, car le MSM, Gulbul et SAJ ne comprennent pas la différence entre le gouvernement et l’État.  L’État est l’employeur du gouvernement. Le Premier ministre reçoit des salaires auxquels il n’a pas droit. De ce fait, le Premier ministre est totalement dans l’illégalité ainsi que  tous les ministres qu’il a nommés. Toutes les décisions qu’il a prises sont illégales. Très bientôt, si mon raisonnement est correct, la cour va déclarer  que le gouvernement opère illégalement. Si cela est vrai, la cour doit demander l’organisation de nouvelles élections générales.

 

Q : Seriez-vous d’accord si jamais Navin Ramgoolam optera pour une nouvelle alliance avec le MMM de Paul Bérenger eu égard aux prochaines élections générales ?

R : Si Navin Ramgoolam veut d’une alliance avec le MMM, de facto il va perdre XLD et le PMSD. Ce sera une erreur grave. D’ailleurs, Navin Ramgoolam a bien compris qu’on ne peut pas travailler avec Paul Bérenger parce qu’il est trop erratique.

 

Q : Et quid du MSM de sir Anerood Jugnauth ?

R : Pas question avec le MSM. Le PTr devrait d’abord donner priorité à la réorganisation du parti.