Déportation des ouvriers bangladais en mars dernier : Un épisode vite oublié

Sunday Times revient sur la déportation des travailleurs étrangers, pour la plupart des Bangladais, suite à la manifestation le 14 mars contre leurs conditions de travail. Environ 57 de ces ouvriers, employés sur les chantiers du Metro Express par Larsen & Toubro, avaient été déportés manu militari dans les jours qui ont suivi cette manif, tandis que d’autres ouvriers avaient graduellement préféré rentrer chez eux à cause du Covid-19.

Cette manifestation avait eu lieu le samedi 14 mars sur les chantiers voie même du Metro Express à Richelieu. Environ 500 employés avaient obstrué le chemin de fer. Ils déploraient  leurs conditions de travail, notamment la qualité de riz qu’on leur fournissait pour leur repas quotidien.

Les éléments de la Special Supporting Unit (SSU) et ceux de la police régulière avaient dû être mandés sur les lieux, et les manifestants avaient été dispersés. Par la suite, deux Bangladais avaient été arrêtés pour participation dans cette manifestation illégale.

La responsable de la communication de Larsen & Toubro, Nawsheen Aullybux, avait voulu noyer le poisson dans l’eau. Elle avait déclaré que le riz en question a été soumis à des tests et rien ne semble indiquer qu’il était de mauvaise qualité, ajoutant qu’elle avait même partagé le repas de ces ouvriers dans le passé. Pour la direction de Larsen & Toubro, à travers la voix de sa responsable de communication, il s’agissait de quelques employés frustrés et de fauteurs de troubles.

Quelques jours après cette manifestation, environ 57 travailleurs avaient été déportés alors que d’autres avaient exprimé leur voeu de rentrer chez eux, en raison de Covid-19. Ces derniers craignaient ne pas pourvoir rentrer chez eux pour cause d’indisponibilité d’avion.

Selon Nawsheen Aullybux, le contrat de travail de tous ces employés était arrivé à terme, alors que le ministère du Travail avait fait bel et bien ressortir que leurs contrats de travail allaient être automatiquement renouvelés jusqu’au 31décembre 2021.

 

Constat accablant de Youth for Human Rights International

Toutefois, des membres de l’ONG Youth for Human Rights International avaient effectué une visite dans le dortoir des travailleurs de Larsen & Toubro. Leur constat était accablant : des conditions de vie non hygiéniques pour les employés, qui étaient servis du riz « en plastique », et qui dormaient sur des lits sans matelas.

En outre, les heures supplémentaires (‘overtime’) n’étaient pas rémunérées, et il n’y a aucune allocation pour les repas. À la place, les travailleurs sont facturés Rs 4 200 par mois. Par-dessus, ces derniers vivent dans la crainte : ils ont peur d’être envoyés en prison ou d’être expulsés du pays s’ils s’expriment sur leurs conditions de travail.

Selon Youth for Human Rights International, les Règlements sur la sécurité et la santé au travail (notamment en ce qui concerne le logement des employés), émis en 2011 par le ministère du Travail et mis à jour en 2015, ne sont pas respectés par Larsen & Toubro.

Ces règlements établissent les normes de sécurité et de santé en ce qui concerne le logement des travailleurs. Il doit y avoir des lits séparés avec des matelas, une fourniture adéquate en eau, des équipements sanitaires, de salles de bains convenables, des casiers pour les effets personnels, des équipements et des ustensiles de cuisine, des congélateurs et des réfrigérateurs, des meubles, la disponibilité des premiers soins etc.

En outre, l’employeur se devait de rembourser le ‘travelling’ entre le logement et le lieu de travail, comme spécifié dans le contrat et conformément aux lois du travail en vigueur à Maurice. En cas d’heures supplémentaires, l’employeur doit fournir un repas gratuit ou une allocation de Rs 70 (roupies mauriciennes) pour le repas. Autant de dispositions qui ne sont pas respectées par Larsen & Toubro.

Le syndicaliste Faizal Ally Beegun : « On déporte les employés pour faire peur aux autres »

Faizal lly beegun

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le travailleur social et syndicaliste Faizal Ally Beegun, que nous avions sollicité après cette manifestation, avait alors dénoncé les conditions de travail des ouvriers étrangers en général, et affirmé que beaucoup sont exploités.

Selon lui, ceux qui travaillent sur le chantier du Metro Express font un travail lourd et pénible, et la fatigue est omniprésente. Les heures sont longues et ces travailleurs risquent même de perdre leur vie. Ainsi, il devrait fait rappeler que deux ouvriers indiens avaient trouvé la mort sur le tracé du Metro Express.

En ce qui est des employés de la firme Larsen & Toubro, il avait dit ne pas comprendre comment cet exercice de rapatriement avait surgi brusquement quelques jours après cette manifestation. Pour lui, cette déportation a donné une mauvaise image au pays, et aura aussi des retombées pour l’économie. « Ce n’est pas possible qu’après chaque manifestation ou grève, la seule solution que le gouvernement et les compagnies trouvent, c’est de faire déporter certains employés pour faire peur aux autres. Cela afin qu’ils ne peuvent faire entendre leurs voix contre les injustices auxquelles ils font face », dit le syndicaliste.

Faizal Ally Beegun avait affirmé que le ministère du Travail et des Relations industrielles ne devrait plus accorder des permis aux employeurs ou compagnies qui mettent 150 personnes dans un dortoir. « Poulailler » serait un terme plus approprié, selon le syndicaliste.

« Peu importe la situation qui a poussé les employés à faire une manifestation, c’était grave. Les autorités concernées, y compris la police, doivent faire une enquête en profondeur pour savoir ce qui avait poussé les ouvriers à tenir cette manifestation. Il fallait faire des recherches et trouver des informations avant de prendre une quelconque décision », conclut Faizal Ally Beegun

La responsabilité de l’État mauricien mise en cause

Nous avons dans le pays environ 40 000 travailleurs étrangers (Bangladais, Sri Lankais, Malgaches, Chinois, entre autres), qui travaillent dans plusieurs secteurs. Ces derniers quittent leurs pays et leurs familles en espérant pouvoir travailler dans de meilleures conditions et surtout, pour avoir un salaire convenable pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Or, selon ‘Youth for Human Rights International’, dans de nombreux cas, il y aurait violation de l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dont Maurice est un signataire. Cet article stipule que chaque être humain a droit à un niveau de vie adéquat, pour sa santé et son bien-être, notamment en termes de nourriture, de vêtements, de logement etc.

Youth for Human Rights International avait lancé une pétition, destinée au Premier ministre, pour promouvoir l’importance des Droits de l’Homme dans le pays. La pétition avait été lancée en novembre 2019, et la date limite pour la signer est la fin de cette année-ci. La pétition demande au PM, en tant que chef du gouvernement, de s’assurer, entre autres, que l’ensemble du secteur privé veille à ce que les libertés fondamentales de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme soient mises en œuvre et deviennent une réalité vivante.

Neevedita Nundowah