Culture vivrière… l’Ile Maurice très loin de l’autosuffisance

Serons-nous un jour autosuffisant en légumes ? Nous sommes pour le moment très loin du compte car annuellement, nous importons une grande variété de légumes, alors que notre production ne dépasse pas les 100 000 tonnes.  Avec les conditions climatiques qui s’empirent avec le réchauffement de la planète, nous sommes aujourd’hui dans une impasse et l’avenir ne s’annonce guère fructueux…

Marwan Dawood

 Ceci devient depuis quelques années une tradition involontaire et très peu enviable.  Ces dernières années plus que jamais avant, les effets des grosses pluies et des cyclones se font toujours sentir sur le panier du consommateur.  C’est la coutume mauricienne, dès qu’il se met à pleuvoir, les prix des légumes connaissent des hausses parfois démesurées mais si les prix augmentent en ce début d’année, la légende locale y voit également un aspect religieux avec les divers carêmes qui voient la consommation de légumes prendre l’ascenseur. Et ne parlons pas de l’autosuffisance ? Une grosse demande équivaut aujourd’hui à une grosse production, c’est que les agriculteurs locaux n’arrivent pas à réaliser… Comme quoi tout est lié.  Un tour au marché au courant de la semaine permet de faire deux constats, le premier étant que certains légumes se vendent à des prix exorbitants tandis que d’autres se font rares sur les étals.

Les obstacles à l’autosuffisance

Dans la communauté des planteurs on évoque  avec insistance des obstacles à l’autosuffisance sur le marché mauricien.  Entre difficulté pour avoir accès aux financements et plans d’aide du gouvernement, un manque inquiétant de main-d’œuvre avec des jeunes qui abandonnent la terre, l’imprévision d’un changement climatique sans compter que les planteurs se plaignent de la présence des voleurs dans les champs de légumes qui affectent leurs récoltes.

Des coûts de production qui grimpent

Sen, 68 ans est un planteur qui habite la côte Est depuis maintenant plus de 50 ans et qui s’adonne depuis son plus jeune âge à la culture vivrière.  Pour Sen, c’est un héritage transmis de père en fils, à travers des générations. Ses légumes, Sen les vend au marché de Flacq et dans échoppe à une Belle-Mare.  Cependant depuis maintenant une décennie, la production de légumes dans les champs de Sen a diminué de quasiment 50%. «Nous ne pouvons plus subvenir à nos plantations.  Nous n’avons pas que ça à nous occuper. Le coût de la production a plus que doublé en 10 ans », dit-il.  Ce dernier ajoute qu’il est dans l’obligation de revoir à la baisse sa production et ceci impacte directement sur ses ventes et par ricochet ses revenus.

En début d’année, Sen et son fils Nataraj ont mis sous culture d’oignons, un arpent de terre.  Les investissements sont nettement supérieurs à ceux de l’année dernière. « Nous avons investi entre Rs 65 000 et Rs 70 000 dans cette culture d’oignons. Il y a 10 ans, seulement Rs 30 000 suffisaient pour faire ce que nous faisons et nous pouvions alors faire deux semences et deux récoltes réalisant plus de profits.  L’augmentation des investissements est due au coût des intrants, de la main-d’œuvre et de l’irrigation», disent fils et père.  

Nataraj nous brosse alors un tableau des investissements. «Il faut compter une dépense de Rs 400 pour payer un laboureur qui travaille dans les champs 3 à 4 heures par jour.  On peut compter jusqu’à 6 à 7 employés pour la récolte et le défrichement des champs », explique-t-il.  Ce dernier nous avance également le chiffre de Rs 3 500 annuellement pour l’irrigation, par arpent.  Il indique alors que des huit arpents qu’il cultivait avec son père il y a des années, ils préfèrent aujourd’hui se concentrer sur seulement quatre et laisser l’autre moitié à l’abandon.  

2019 légèrement mieux que 2018 ?

Les derniers chiffres manquent à l’appel.  Il n’y a pas encore de statistiques pour la courante année, mais nous pouvons faire le point car la tendance se respecte.  Pour les six premiers mois de 2018, une superficie totale de 2 789 hectares sous cultures vivrières a été récoltée.  Ces chiffres représentent une baisse de 16,3% par rapport au chiffre de 3 332 hectares du premier semestre de 2017. La production a diminué de 33,4%, passant de 41 989 à 27 965 tonnes. La superficie de riziculture récoltée a diminué de 76,4%, passant de 55 hectares au premier semestre de 2017 à 13 hectares au cours de la même période en 2018. Les chiffres poursuivent leur décadence car si le pays doit produire au moins 130 000 tonnes de légumes par an, Statistics Mauritius révèle que la production en 2016 a été de 106 000 tonnes contre moins de 100 000 tonnes en 2017. Par ailleurs, la superficie de terrain sur laquelle les légumes sont cultivés a connu une baisse. Passant de 8 124 hectares sous culture de légumes en 2012, la superficie a été réduite à 7 766 hectares l’année dernière.

Le panier ménager prend un coup !

 Les consommateurs doivent revoir à la hausse leur budget consacré à l’achat de légumes. La raison est qu’ils coûtent cher. C’est ce qu’un détour au marché de Port-Louis nous a permis de constater, hier. Pour la pomme d’amour, il faut compter Rs 45 le demi-kilo pour le dernier choix alors que pour le premier choix, le prix varie entre Rs 80 et Rs 125. «C’est en raison de la pluie», nous explique un maraïcher. Parmi les autres légumes les plus coûteux, on retrouve le haricot vert à Rs 60, le chou et le pâtisson à Rs 75 et Rs 80 respectivement, la bringelle et le lalo à Rs 40 le demi-kilo, le margoz et la carotte à Rs 35 ou Rs 60 le demi-kilo. Les rares légumes disponibles à un prix abordable sont les brèdes et les fines herbes à Rs 15, le giraumon à Rs 25 le demi-kilo.

L’échec du Sheltered Farming

Présenté en fanfare comme un moyen de moderniser l’agriculture et d’attirer ainsi plus de jeunes vers ce secteur,  le «sheltered farming» ne ferait pas l’unanimité du côté des planteurs.  Depuis peu, les autorités veulent aller de l’avant avec plus de projets de culture protégée. Un d’entre eux, géré par des diplômés, a été lancé en grande pompe, à Plaine-Magnien, par le Premier ministre le 5 avril 2018. Il y aurait un certain intérêt pour la culture protégée chez certains investisseurs qui soutiennent que depuis quelques semaines leurs compagnies reçoivent de plus en plus de commandes pour installer des structures, soit des tuyaux et des filets spéciaux provenant d’Israël pour ce genre d’agriculture.

Autre son de cloche du côté des planteurs, que nous avons interrogés. Ils avancent que si le «sheltered farming» permet de doubler la production de légumes, ils sont peu nombreux à pouvoir investir dans un tel projet. Il faut compter environ Rs 2 millions pour lancer la culture protégée sur un arpent de terre.

Culture bio : le plan d’action pour 2016-2020

Plan d’action Sensibilisation des planteurs Formation des planteurs à l’agriculture biologique Régime de soutien à l’agriculture bio Maintien d’un régime de subventions au compost
Budget (Rs M) 2015/2016 0,1 2,0 10 20
Budget (Rs M) 2016/2017 0,1 1,8 10 20
Budget (Rs M) 2017/2018 0,1 2,0 10 20
Budget (Rs M) 2018/2019 0,1 2,0 0 20
Budget (Rs M) 2019/2020 0,1 2,0 0 20
Total 0,5 9,8 30 100
Agence d’exécution FAREI FAREI SFWF SFWF
Indicateurs de rendement Nombre de programmes de sensibilisation Nombre de planteurs qui seront formés Pour la subvention des planteurs aux intrants biologiques afin de les encourager à adopter ces intrants pour promouvoir l’agriculture bio Encourager les planteurs à passer des engrais organiques aux engrais organiques non chimiques (compost) et à réduire leur coût de production

 

La souffrance des planteurs du Nord

Depuis plus de deux semaines déjà un tuyau de l’Irrigation Authority a été endommagé et les champs de légumes se trouvant à Camp Des Bravades à Pamplemousses se retrouvent avec une fourniture d’eau interrompue.  Le problème selon un planteur nommé Acktarally Sahabooleea, un tuyau a été abimé. « Depuis quelques années nous avons le même problème. Nous demandons à l’Irrigation Authroity et la CWA de prendre leurs responsabilités car nos plantations sont affectées avec la fourniture d’eau qui est quotidiennement perturbée.  Kan noune ale get zot, zot dire nou pena pièce », martèle Acktarally Sahaboolea.  Ce dernier explique également qu’aujourd’hui au moins 6 arpents de terre sous culture de légumes risquent d’être affectés par un manque de sérieux de la part des employés de l’irrigation authority. «Si seulement zot ti fer zot travail couma bizin. Kan bizin ferme valve zot fermé, tuyau pas ti pou cassé ». Au niveau de l’irrigation authority on avance que le problème sera résolu dans les plus brefs délais.