Cri de détresse des petits planteurs et inquiétude des ménagères

Après les grosses pluies

Après la période de forte chaleur qui a affecté la culture vivrière en début d’année,  c’est maintenant la saison pluvieuse qui s’avère désastreuse pour les plantations. Celles se trouvant à Mare d’Australia, à Flacq, n’ont pas été épargnées. Les dégâts sont considérables. Les pertes financières aussi. Les petits planteurs de ce village agricole se plaignent d’un manque de considération des autorités et réclament une compensation financière afin qu’ils puissent réinvestir dans leurs plantations. Si c’est le désespoir dans le camp de ces ouvriers agricoles, dans celui des consommateurs c’est l’inquiétude puisqu’il y aura hausse des prix et pénurie.

Zahirah RADHA

 

Les plantations de légumes de Mare d’Australia sont réduites à un spectacle de désolation.  Les grosses pluies qui ont récemment arrosé le pays y ont causé des dégâts considérables. Margoze, calebasses, piments, gombos (lalos), concombres, bringelles angives, etc. ont tous subi les caprices de la forte pluviométrie. Au fond de ce village montagneux, Gundowree Premlall s’active à piocher des drains dans la plantation de ‘lalos’ appartenant à son frère afin d’évacuer l’eau accumulée durant les averses. «  Nou priorité pour le moment, c’est tire délo ki fine accumulé dans karo. Nou ti fini fer banne drains et délo ti pé commence allé. Mais après gros lapli fine retomber. Noune bizin re-pioche banne drains. Kan nou fini faire sa, nou pou rasse tou banne plantes et lerla nou pou refaire pikage », explique-t-il.

 

« Kuma bord la mer »

Un peu plus loin, Rookwantee Nursing s’affaire à déraciner des plantes mortes dans son carreau de voëme et de ‘margoze’. Le spectacle est ahurissant. Des accumulations d’eau verdâtres infestées de bestioles attirent mouches et moustiques. « Mo garçon so karo sa. Line découragé kan line trouve banne dégâts. Li dire moi : mama alle guetter to même ki to pou faire. Mo pas pou kapave occupe sa moi. Li fine extra découragé », nous dit-elle d’emblée. Et pour cause ! Sa plantation a été sérieusement affectée lors des récentes pluies. « Karo là ti noyé net. Ti vine kuma dire bord la mer telma ti éna délo. Tou ine fini pourri. Ki pou faire ? Bizin prend courage et recommence travail. Samem nou l’avenir sa, non ? » dit ce petit bout de femme d’une soixantaine d’années.

Ce n’est pas la première fois que Rookwantee Nursing vit un tel calvaire. Le fait que son carreau se trouve à côté d’une rivière n’arrange pas les choses. Les flots rageurs de cette rivière débordent automatiquement dans la plantation des Nursing à chaque grosse averse, dévastant tout sur leur passage. Au fil des années, la femme planteur s’est résignée à accepter cet état de choses. « Au moins ène fois par an, nou gagne sa problème là. Sak fois nou faire beaucoup défaite mais ki pou faire ? » ne cesse-t-elle de se demander, comme pour se consoler.

 

Manque de considération du gouvernement

Ibrahim Dinally est, lui, catégorique. C’est le manque de drains dans la région qui serait à l’origine des problèmes d’inondations et d’accumulations d’eau auxquels les petits planteurs sont souvent confrontés. « Délo la dessane dépi lor montagne et li péna aukaine place pou li allé. Alors li rentre dans banne karo. Banne plantations pa kapave tini sa délo salé là et kan li reste dans karo longtemps, li affecté banne racines. Lerla, banne plantes là sec. Mais selma, si ti éna banne drains, délo là ti pou allé et banne karo pa ti pou affecté », soutient-il.

Le planteur n’hésite pas à dénoncer le manque de considération des autorités à l’égard des planteurs. « Nou karo ine noyé complètement mais personne pane vine guette nous. Gouvernema pa donne aukaine priorité à banne planteurs. Dayal ti vini avant ti gagne lapli. Line dire li pou ranze banne drains. Selma li dire bizin donne li 2 ans pou régler tou banne problèmes. Bé moi mo demane li : kifer bizin attane 2 ans ? Eski nou bizin continué souffert pendant sa 2 ans là ? », s’interroge Ibrahim Dinally.

 

Double langage des autorités

Oomar Kurreembaccus, autre planteur de Mare d’Australia, dit ne pas comprendre le double langage des autorités. Sa plantation se situant à côté d’une rivière, il a demandé au ministre Dayal, lors d’une visite qu’il y avait effectuée il y a quelques semaines, de débrancher les arbres qui se trouvent à son bord. « Banne branches la déverse lor la rivière là et li bloque circulation délo. Kan éna gros lapli, tou sa délo là refoule dans mo karo », explique notre interlocuteur. D’où sa demande au ministre Dayal. Une requête à laquelle celui-ci a promptement accédé.  Or, grand a été son étonnement quand le garde-forestier lui a informé, quelques jours plus tard, que sa demande a été rejetée. Une situation qui le laisse pantois. « Garde-forestier dire moi pa pou kapave débranche banne pied là parski bizin préserve zotte. Mo pas gagne kompran. Mo pane dire coupe pied là net moi. Mone dire débranché. Et ministre là ti fini d’accord. Li ti fini donne l’ordre pou débranché. Mais aster, garde-forestier dire pas kapave », s’étonne-t-il.

Selon Oomar Kurreembaccus, ces arbres posent problèmes même quand il ne pleut pas. En effet, ils attirent des mouches de fruits dans sa plantation qui s’étend sur neuf arpents. « Sa banne mouches de fruits là zotte pique banne légumes et sa faire chenilles. Mo bizin dépense bocou l’argent pou asté médecine pou protège mo banne légumes. Et avec inondations, mo faire double perte », avance-t-il. Le planteur ne cache pas son exaspération quant à la façon de faire du ministre Dayal. Celui-ci aurait dû, selon lui, faire des constats de visu de chaque plantation afin de cerner leurs problèmes distinctifs et subséquemment trouver des solutions y relatifs. « Line vini kan le temps ti korek. Li ti bizin vini kan éna gros lapli, lerla li ti pou kompran ki kalité problèmes nous gagné »,  tonne-t-il.

 

Assistance financière

Devant l’étendue de ce désastre, les planteurs de Mare d’Australia sont unanimes à réclamer une assistance financière de la part du gouvernement afin de pouvoir se remettre en selle.  « Nou fine faire bocou la perte. Li pou bien difficile pou récupère nous capital. En plis, nou bizin trouve la monnaie additionnel pou paye travayers ek location terrain. Kot nou pou gagne sa? », se demande Vikash Aubeeluck, qui  a également vu sa plantation être affectée par les averses.

 

Les pommes d’amour et les fines herbes plus affectées

La pomme d’amour se fera de plus en plus rare dans les jours à venir. En effet, les cultures de la tomate ont été grandement affectées par les grosses pluies. « Nous venions de planter les ‘fossés’. Il nous faudra attendre encore quelques jours pour connaître l’étendue des dégâts, mais déjà, il y a des signes que les plantes ne vont pas tenir le coup », explique Kavish Dabeechurn, un planteur de Souvenir, Calebasses, en nous montrant les plantes jaunâtres. La forte chaleur, qui suit généralement les grosses pluies, n’augure rien de bon pour les plantations de pomme d’amour. « Li pou fini grillé akoz chaleur », renchérit-il. Conséquence : une pénurie de la pomme d’amour se profile à l’horizon.

Les grosses précipitations ont également eu un effet destructeur sur les cultures des fines herbes à l’instar du ‘cotomili’ (coriandre) et du persil. « Mo plantation cotomili fine affecté complètement. Li trop fragile sa banne plantes-là. Kuma gagne gros lapli, zotte abîmé. Et quand gagne gros soleil osi, zotte affecté », souligne, pour sa part, Sahabullah Aktar Ally, un planteur de Notre-Dame, à Montagne Longue. La culture du ‘cotomili’ nécessite en fait un climat frais pour qu’elle puisse se développer comme il faut. « Pas pou kapave re-planter tout de suite akoz l’humidité ek chaleur. Bizin attane 1-2 semaines encore », poursuit-il. Selon lui, il faudra attendre un peu plus d’un mois avant que la situation ne redevienne à la normale.

La pomme d’amour et les fines herbes étant très prisées des Mauriciens, il y aura bientôt un écart considérable entre l’offre et la demande. Résultat : ces condiments vont bientôt valoir de l’or.

 

Les prix vont encore grimper à partir de cette semaine

Les prix des légumes qui sont actuellement affichés au Marché Central font grincer des dents aux consommateurs. Le prix de la pomme d’amour est passé de Rs 40 à Rs 100 le demi-kilo, le ‘cotomili’, de Rs 50 à Rs 200 le demi-kilo et le chou de Rs 30 à Rs 60 l’unité en l’espace d’une semaine. Les prix vont encore grimper cette semaine, nous apprennent les planteurs. « Pour l’instant, on écoule les légumes qu’on a déjà en stock. Dès l’épuisement de ce ‘stock’, il y aura une pénurie de légumes sur le marché. Les prix vont alors monter en flèche », affirment-ils.