Corporate Social Resonsibility : Le GM aurait-il détourné le système ?

Avec le scandale concernant la National CSR Foundation que Sunday Times a révélé dans sa dernière livraison, un suivi s’imposait. Notre dossier de la semaine est sur la gestion des fonds portant sur le Corporate Social Responsibility suite aux récents amendements apportés par le gouvernement MSM-ML dans son dernier budget. Des amendements qui ont chamboulé le système existant : ainsi, les parties prenantes dénoncent le fait que des ONG commencent à fermer leurs portes par manque de fonds, ainsi que le manque de transparence quant à l’allocation des fonds par la NCSRF. Certains n’hésitent pas à affirmer que le gouvernement a accaparé ce qui relevait de la politique sociétale des entreprises à son compte et aurait même créé une taxe « déguisée » pour se constituer une « manne ».

En 2009, Rama Sithanen, alors ministre des Finances, lançait le programme Corporate Social Responsibility (CSR) dans le but de combattre la pauvreté en invitant les entreprises du secteur privé à y apporter leur contribution. Les compagnies et autres groupes doivent ainsi allouer 2 % de leurs bénéfices à des activités sociales.

 Or, en 2015, le gouvernement Lepep, avec Pravind Jugnauth aux Finances, annonce l’abolition de ce système. Les entreprises ne pourront plus utiliser leurs fonds CSR selon leur propre politique sociétale. Pravind Jugnauth avait ainsi annoncé la création de la National CSR Foundation (NCSRF), qui est en opération depuis janvier 2017. Dès lors, les entreprises du secteur privé doivent verser 50 à 75 % des 2 % directement à la NCSRF. À son tour, le gouvernement utilise les fonds de cette fondation pour venir en aide aux ONG qu’il a sélectionnées.

Une politique qui est loin de faire l’unanimité

Selon un CSR Manager sous couvert de l’anonymat, le nouveau système CSR s’apparente plutôt à une Corporate Social Tax surtout après la création de la National CSR Foundation (NCSRF). La CSR serait, selon lui, devenu une manne politique.

Plusieurs autres compagnies qui ont à cœur leur politique sociale décrient le nouveau système. Idem pour les ONG qui dépendent de ces derniers. Selon l’économiste Namben Mootoosamy, il y a très peu de transparence quant à la gestion des fonds CSR par la NCSRF. Sollicité, le CSR Manager d’un groupe du secteur privé a expliqué, sous le couvert de l’anonymat, que le CSR est devenu « une manne politique ». Et d’ajouter que l’actuel gouvernement a apporté des changements au programme CSR, non pas pour le meilleur mais « pour le pire ».

Des ONG ferment leurs portes

Depuis la mise en opération de la NCSRF, des ONG ont dû mettre la clé sous le paillasson, vu elles éprouvaient des difficultés à survivre. Selon Danny Philippe, ancien membre et employé de LEAD, certaines ONG sont forcées à réduire leurs effectifs. « La création de la NCSRF et cette mesure mise en place par le gouvernement pour que le secteur privé verse 50 % des 2 % des bénéfices directement à cette fondation sont les principales causes derrière les difficultés qu’éprouvent les ONG », soutient Danny Philippe.

 Autrefois, explique-t-il, les organisations utilisaient une partie de l’argent reçu pour rémunérer leurs employés. Or, tel n’est plus le cas pour beaucoup d’ONG. « Je me suis moi-même retrouvé dans une situation où je ne pouvais plus continuer à travailler pour LEAD, qui œuvre dans la prévention contre l’abus de drogue sur le plan national. Cette organisation est dans une mauvaise situation financière et on ne peut pas travailler dans une ONG sans percevoir un salaire », explique-t-il.

 

Quand le GM fait une mainmise sur la responsabilité sociale des entreprises

 Interrogé sur le sujet, le CSR Manager d’un groupe du secteur privé explique sous le couvert de l’anonymat que les changements apportés par ce gouvernement dans le domaine du financement sociétal « ne sont pas pour le meilleur mais pour le pire », que ce soit pour les compagnies ou pour les ONG. « Les derniers amendements au programme de CSR, notamment la création de la National CSR Foundation, vont à l’encontre de la philosophie de la CSR. La CSR est la responsabilité sociale du secteur privé et non pas celle du gouvernement. C’est au secteur privé de gérer les fonds. Maintenant 50 % de notre fonds CSR doivent être versées au gouvernement. C’est de la Corporate Social Responsibility ou une Corporate Government Tax ? Si le gouvernement veut percevoir une taxe, qu’il le dit au secteur privé ».

Notre interlocuteur ajoute que le gouvernement donne l’impression qu’il « veut prendre le contrôle absolu du programme CSR », alors qu’il a déjà deux fonds sur pied, notamment le Consolidated Fund ou le National Empowerment Fund, à travers lesquels il peut exercer ses responsabilités sociales.

« En 2009, le ministre des Finances d’alors, Rama Sithanen, avait lancé le programme CSR, et invité le secteur privé à participer à la responsabilité sociale. Maintenant, l’actuel gouvernement nous demande de verser 50 à 75 % de notre fonds CSR à la National CSR Foundation. Comment allons-nous mettre une structure debout et aider des ONG avec seulement 25 % de fonds restants ? Ce n’est pas définitivement pas une bonne initiative. Mais que voulez-vous, le gouvernement, c’est le gouvernement et on doit se plier à ses exigences. La CSR est devenue une manne politique. »

 Le CSR Manager affirme qu’avec les nouveaux amendements, les groupes et les compagnies éprouvent de grosses difficultés à gérer les fonds. « Nous le ressentons sur le terrain. Les ONG ne parviennent pas à opérer dans la sérénité. La grosse majorité de ces organisations dépendent sur un seul groupe ou sur une seule compagnie. À titre d’exemple, l’organisation le Thon du Marinier avait fait une demande de Rs 1 million. Elle n’a reçu que Rs 400 000. Une autre ONG qui fait dans la prévention contre le diabète n’a reçu que Rs 600 000 contre une demande de Rs 2 millions. » 

 Et de faire ressortir que depuis l’entrée en vigueur de la National CSR Foundation, trois à quatre ONG ont mis la clé sous le paillasson. Si cette situation perdure, d’autres vont suivre le pas ou vont réduire leurs services ou leurs effectifs.

 Sur le scandale impliquant l’Organisation communautaire Cité Jonction de Pailles, le CSR Manager soutient qu’il faut savoir faire la différence entre des ONG et des Community Based Organisations (CBO) qui sont des petites organisations la plupart du temps, sans aucun employé. « Pour ces CBO, Rs 400 000 sont plus que suffisantes. Par contre, nous avons des ONG qui sont maintenant des institutions, nommément PILS, qui lutte contre le VIH-sida, et aussi le centre Idrice Goomany,  qui depuis des années, lutte contre l’abus de substances illicites et s’occupe de la réhabilitation des toxicomanes ».

Namben Mootoosamy, économiste : « Un flou quant à la distribution des fonds par la NCSRF »

« Avec la nouvelle structure qu’est le National CSR Foundation, l’allègement de la pauvreté reste prioritaire, mais il y a très peu de transparence quant à la gestion des fonds », affirme l’économiste. Il tient à rappeler que le projet CSR avait été lancé avec l’objectif principal d’encourager le secteur privé à aider les organisations non-gouvernementales en finançant des projets et des activités.

Avant la création de la National CSR Foundation, ajoute-il, les organisations devaient présenter un plan stratégique avant que des fonds ne leur soient alloués. « There are not many documentary evidences on how well the CSR Fund is being managed by the National Foundation. Less is known on whether the funds being allocated to the different organisations are being allocated as per the established criteria. Il y a un flou quant à la distribution des fonds par la NCSRF. Avant, les fonds non utilisés par les ONG étaient versés au Consolidated Fund (NdlR : le compte bancaire principal du gouvernement). Ainsi, pour l’année fiscale 2015/2016, Rs 147,50 millions n’ont pas été utilisées par les ONG et transférées au Consolidated Fund. Avec les changements apportés par l’actuel gouvernement, les fonds non utilisés par les ONG sont maintenant versés à la National CSR Foundation. »

Françoise Labelle, responsable du dossier pauvreté au MMM : « Qui analyse les projets soumis à la NCSRF ? »

L’ancienne députée et responsable du dossier pauvreté au MMM, Françoise Labelle dénonce la manière dont les fonds du CSR sont gérés par la National CSR Foundation. De plus en plus d’ONG, selon elle, éprouvent des difficultés à obtenir des fonds. Car la National CSR Foundation « prend trop de temps pour les débloquer ».

  Françoise Labelle déplore ce qu’elle qualifie d’incompétence au niveau de l’analyse des projets. « J’ai appris qu’une personne s’est octroyée un contrat du gouvernement pour analyser les projets soumis. Je me demande si cette personne a les compétences nécessaires pour le faire ».

Revenant à l’affaire des cinq projets de l’Organisation communautaire Cité Jonction de Pailles, Françoise Labelle se demande comment Rs 721 000 ont été allouées pour la mise sur pied d’une salle informatique. « Est-ce qu’il y a un bâtiment à cet effet ? Quel est le nombre d’ordinateurs ? Quels sont les cours qui y seront dispensés ? La plupart des enfants de cette localité sont pauvres et ne savent pas lire. Comment vont-ils apprendre à utiliser un ordinateur ? Ne venez pas me dire que cette salle informatique sera utilisée uniquement pour que ces enfants jouent à des jeux informatiques ! ».  

Au dire de Françoise Labelle, si les fonds de la CSR étaient bien gérés et distribués, il n’y aurait pas autant de pauvres dans le pays. Et d’ajouter qu’on entend plus parler de Marshall Plan. « Ce n’est un secret pour personne que ce gouvernement a failli dans la lutte contre la pauvreté. Le ministre parle de logements sociaux. Combien est-ce que ce gouvernement en a construit ? Ce sont les maisons construites sous l’ancien régime qui sont en train d’être distribuées. »

Pour Françoise Labelle, la gestion des fonds de la CSR ainsi que la lutte contre la pauvreté, d’après la façon de faire du gouvernement actuel, est un « manque de respect envers la dignité humaine ».

 

Quelques chiffres

Selon la National CSR Foundation au 14 septembre 2017, 177 projets prioritaires dans une dizaine de secteurs ont été financés, à hauteur de plus de Rs 165 millions, comme suit :

 

Secteur

 

 

Nombre de projets

 

Financement

 

Education Support/Training

 

48 projets

 

Rs 42 millions

 

Allègement de la pauvreté

 

37

 

Rs 26 699 592

 

Personnes autrement capables

 

30

 

Rs 24 998 069

 

Problèmes de santé

 

22

 

Rs 23 965 296

 

 

Protection familiale

 

12

 

Rs 17 211 045

 

Sports et loisirs

 

8

 

Rs 6 149 410

 

Environnement

 

8

 

Rs 7 858 115

 

Peace/nation building

 

4

 

Rs 3 719 125