Cancer du sein : De graves lacune dans le dépistage et le traitement à Maurice

 

Dans notre dossier de la semaine dernière, nous avions abordé le sujet du cancer du sein dans le cadre de l’Octobre rose, un mois dédié par les Nations-Unies aux victimes du cancer du sein. Nous avions mis l’emphase sur la prévention ainsi que sur le dépistage. Cette semaine-ci, pour le deuxième volet de notre dossier, nous avons parlé avec des victimes qui ont pu vaincre cette maladie. Nous avons aussi parlé avec un médecin qui traite habituellement ce genre de maladie, qui nous décrit les complications auxquelles font face les victimes, et ce qui doit être fait par le gouvernement pour améliorer le traitement du cancer du sein. Ce qui saute aux yeux, c’est que le système de santé publique de Maurice pour les victimes du cancer du sein doit être substantiellement amélioré.

1 500 nouveaux cas de cancer du sein sont dépistés à Maurice chaque année

Chaque année, près de 1 500 nouveaux cas de cancer du sein sont dépistés à l’île Maurice, et on dénombre 350 décès.

Le cancer du sein est de loin le cancer le plus fréquent chez les femmes. On estime ainsi que 1,38 millions de nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2008 à travers le monde. Cela représente près de 23 % du nombre total de cancers qui affectent les femmes.

Les projections font état d’une augmentation du nombre de cancer du sein, qui atteindra  2,1 millions de femmes en 2030.

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Le dépistage précoce du cancer du sein peut sauver des vies

Le Dr Sharmila Mootoosamy, consultante auprès de l’ONG Breast Cancer Care (BCC) nous explique qu’il y a en gros deux types de cancer du sein : le cancer non-invasif et le cancer invasif.

En cas de cancers invasifs, il peut y voir une métastase du cancer vers un autre organe, comme les poumons, ou les os, entre autres. Ici, le cancer du sein peut être mortel.

Du diagnostic précoce du cancer dépendra la survie de la patiente. « Tous les cancers du sein ne sont pas guérissables. Mais si le cancer du sein a été diagnostiqué tôt, la patiente peut espérer un meilleur pronostic », nous explique le Dr Mootoosamy.

Les manquements de notre système de santé

Le Dr Sharmila Mootoosamy dénonce certains manquements dans notre système de santé pour les victimes du cancer du sein. Elle estime qu’il y a un défi majeur à relever dans le service de santé publique pour le diagnostic et le traitement du cancer du sein.

Tout d’abord, il y a les retards dans le dépistage, en raison d’une trop longue liste d’attente, par exemple pour les échographies et les mammographies. Il y a aussi non-disponibilité de la TEP (tomographie par émission de positons).

Le Dr Mootoosamy fait aussi ressortir que de nombreuses Mauriciennes, pour éviter le temps d’attente à l’hôpital, préfèrent voyager à l’étranger pour un traitement plus avancé, tandis que d’autres se tournent vers une clinique privée, où les traitements sont plus rapides ou plus efficaces.

Pour celles qui n’ont pas les moyens de voyager à l’étranger ou de s’offrir les services d’une clinique privée, elles se retrouvent confrontées à une longue liste d’attente, et pendant ce temps la maladie peut s’aggraver.

Le Dr Sharmila Mootoosamy met aussi en lumière qu’il y a un manque de spécialistes : oncologues (cancérologues), oncologues-chirurgiens, radiologues et spécialistes en radiothérapie dans les hôpitaux.

Les réformes à apporter dans notre système de santé

Le Dr Sharmila Mootoosamy explique qu’il faut une surveillance accrue et un suivi régulier des patientes.

La doctoresse plaide de ce fait pour que  des centres de bien-être et de réadaptation soient mis sur pied pour les femmes qui ont survécu au cancer.

Il faudrait améliorer la qualité de nos services de santé par des conférences et des ateliers réguliers organisés par le ministère de la Santé, pour aider les professionnels à établir leurs connaissances selon les dernières recherches et les récentes technologies, conformément aux normes et directives internationales.

Ce qu’il ne faut pas négliger : l’aspect psychologique du cancer du sein. En effet, le Dr Sharmila Mootoosamy explique que les victimes souffrent souvent de déséquilibre psychologique, pouvant mener à l’anxiété ou à la dépression.

Il faut donc faut identifier et traiter le stress psychologique des patientes par des conseils et un soutien aidant à améliorer le comportement cognitif face à cette maladie.

Meenachee Ramasawmy, 74 ans, survivante du cancer du sein

« La vie m’a donné une deuxième chance »

Meenachee Ramasawmy avait 65 ans quand elle a su qu’elle était atteinte du cancer du sein. Pour cette grand-mère, qui a aujourd’hui 74 ans, retourner dans son passé, soit sept ans de cela, est douloureux. « Pour moi, la découverte du cancer a chamboulé ma vie » nous dit-elle.

L’histoire ne commence pas par elle, mais par son fils aîné. Cette septuagénaire raconte que ce dernier souffrait beaucoup de son ventre en 2012. Sachant que son fils ne mangeait pas à des heures précises, Meenachee avait cru que son fils avait un ballonnement d’estomac, et elle devait essayer les remèdes de grand-mère, comme des tisanes.

Mais voyant que les douleurs de son fils ne s’apaisaient pas, elle l’emmena à la clinique, où la famille découvre que ce dernier avait des pierres dans la vésicule biliaire. Un spécialiste devait informer la famille qu’il y a aussi une infection dans la  vésicule biliaire du jeune homme. Le fils de Meenachee a commencé à subir des traitements mais malgré cela ses douleurs ne s’arrêtaient pas. Après de nouveaux examens, la clinique devait expliquer que l’infection a touché le poumon de son fils. C’est à ce moment que le médecin traitant lui a donné trois mois pour vivre. Meenachee Ramasawmy nous explique en larmes que c’est à cette époque qu’elle dû prendre soin de son fils comme d’un bébé.

Une semaine avant le décès de son fils, elle avait remarqué une grosseur au sein gauche. Son époux voulait qu’elle se fasse examiner, mais Meenachee qui voyait souffrir son fils ne voulait pas se faire traiter. « J’avais dit à mon fils sur son lit que je vais bientôt le rejoindre », nous dit-elle. De ce fait, Meenachee ne voulait pas se faire soigner.

Mais un beau jour en rendant visite à son petit-fils, Meenachee ne pouvait pas prendre le petit dans ses bras car elle ressentait des douleurs. C’est à ce moment là qu’elle devait informer la famille qu’elle a une grosseur suspecte au sein.

Son  fils et sa belle-fille  entament des démarches pour la faire soigner. Elle a par la suite subi des traitements à la clinique, mais après, elle a subi des séances de chimiothérapie à l’hôpital Victoria.

« La chimiothérapie est la phase la plus dure », nous dit-elle. Avec la chimiothérapie, Meenachee explique qu’elle a beaucoup souffert, ressentant de violentes  nausées, entre autres. Mais après 25 séances  de chimio, elle a repris ses activités habituelles, qu’elle avait mises de côté à cause de sa maladie.

Elle a aujourd’hui vaincu la maladie, et elle a repris le cours de sa vie. « Je contrôle maintenant mes aliments. Je suis aussi beaucoup dans la spiritualité, j’organise beaucoup mon temps », nous confie-t-elle. Veuve depuis cinq ans, elle est membre de l’ONG Breast Cancer Care.

« La vie m’a donné une deuxième chance, et cela m’a montré la signification de vivre », conclut Meenachee Ramasawmy.

Nazima Islam, patiente du cancer du sein

 « Parfois, une attente à l’hôpital dure de 7 h à 16 h »

Nazima Islam est une habitante de Vacoas. Elle devait prendre connaissance de sa maladie en prenant une douche, en constatant une grosseur au sein droit.

Malgré la petitesse de la grosseur, elle s’est néanmoins rendue à l’hôpital Victoria à Candos, et là, stupeur. Le médecin devait confirmer que c’était bien un cancer du sein. Elle a dû par la suite subir une mastectomie, notamment l’ablation du sein droit.

Après l’opération, elle a suivi un traitement de chimiothérapie. « La chimio est très difficile », nous décrit Nazima. Le processus de la chimio n’est pas douloureux en lui-même, mais ce sont ses effets secondaires qui sont pénibles. Des heures après une séance de chimio, un patient n’arriver pas à ingurgiter les aliments. Les vomissements sont aussi fréquents.

« J’ai du subir une chimiothérapie à un dosage très élevé. Les trois premières séances ont été très pénibles. J’ai perdu tous mes cheveux. L’intérieur de ma bouche avait été enflammé. Mais après, les choses étaient plus légères », nous décrit Nazima.

Cette dernière plaide pour que le service de chimiothérapie à l’hôpital Victoria soit revu et grandement  amélioré.

Une patiente doit ainsi se rendre au rendez-vous pour avoir les résultats de la séance de chimio précédente, et pour une nouvelle séance de chimiothérapie. Mais selon Nazima, l’attente est bien trop longue. « Des fois, nous pouvons nous rendre à l’hôpital dès 7 h du matin, et ce n’est qu’à 16 h que nous quittons l’hôpital », explique-t-elle.

Elle maintient que c’est le laisser-aller de la part du personnel de l’hôpital qui est la cause de cet état de choses. Selon elle, les patients se rendent à l’hôpital très tôt, mais ce seraient les membres du personnel  qui leur font perdre du temps. « On doit des fois aller nous-mêmes chercher notre dossier. Si la salle de chimiothérapie est pleine, nous devons retourner le lendemain, ce qui n’est pas évident pour les patientes qui habitent loin et qui souffrent d’anxiété », explique Nazima.

Corinne Lafleur, 51 ans

 « Dans beaucoup de cas, on peut surmonter cette maladie »

Habitante de Pailles, Corinne Lafleur devait un beau jour ressentir une grosseur. Elle décide donc de se rendre à l’hôpital Dr. Jeetoo, où on lui dit de revenir dans trois mois.

Mais Corinne a eu la chance d’avoir subi un test dans une caravane de santé. Sur place, le medecin devait conseiller à Corinne d’effectuer une biopsie. Elle s’est donc rendue dans une clinique pour faire ce test. Après 10 jours, la triste nouvelle est tombée: il s’agissait bien du cancer du sein.

Corinne a dû subir l’ablation du sein gauche, suivie de la chimiothérapie à l’hôpital Victoria.

Cette maladie n’a toutefois pas apporté de grand bouleversement dans la vie de Corinne. Elle mange et boit comme dans le passé. Beaucoup de gens sympathisent avec elle, et elle nous confie qu’elle ne subit aucun rejet de la société. « Dans beaucoup de cas, on peut surmonter cette maladie », nous dit-elle.