Budget 2020 / 2021 : Point de relance !

Rs 162 milliards de roupies, incluant les Rs 60 milliards décaissées par la Banque Centrale, pour un budget qui ne sort point de l’ordinaire, malgré ce que prétend le Premier ministre. Car concrètement, aucune mesure structurelle n’a vraiment été prise pour relancer l’économie et pour protéger les entreprises et les emplois. D’ailleurs, Business Mauritius a donné le ton en disant que « la communauté des affaires reste en attente de mesures fortes pour relancer plusieurs secteurs importants de notre économie face à la crise”. L’opposition parlementaire et extra-parlementaire dénonce également cet exercice qui a privilégié l’opacité au lieu de la transparence souhaitée. Même son de cloche du côté de certains secteurs qui sont restés sur leur faim

 

Réforme de la pension

Arvin Boolell : « Quel impact sur la pension publique et privée ? »

Une mesure annoncée par le ministre des Finances Renganaden Padayachy, lors de la présentation du Budget, et qui n’a pas fait que des heureux : le remplacement de la cotisation au National Pension Fund (NPF) par la ‘Contribution Sociale Généralisée’ (CSG), une mesure que certains estiment comme étant « dangereuse ».

Comme annoncée par le ministre, à partir de septembre 2020, la CSG sera en vigueur. Le but est d’assurer que toutes les personnes au-delà de 65 ans  auront un revenu mensuel garanti à partir de juillet 2023.

Les employés qui gagnent jusqu’à Rs 50 000 mensuellement auront à contribuer 1.5 % de leur salaire et l’employeur aura à contribuer 3 % du salaire.  Pour les employés qui gagnent au-delà de Rs 50 000 mensuellement, ils auront à contribuer 3 % de leur salaire tandis que l’employeur aura à contribuer 6 %.

Le leader de l’Opposition, le Dr Arvin Boolell, est d’avis que c’est la « mort anticipée de la pension universelle ». Arvin Boolell explique que c’est « très grave » car cela remet en cause le fonds de la pension. Selon lui, il faudrait d’abord savoir exactement ce que le gouvernement manigance, et à partir de là, établir l’impact général sur la pension publique et la pension privée.

Ce qu’il faut retenir de tout ceci : le gouvernement ne contribuera plus, et ce sera à l’employé, ainsi qu’à son employeur, qui va contribuer pour sa pension. On ne peut qu’attendre les détails et « bizin prier ki pena désastre. » Le hic, fait-il aussi observer, c’est qu’avec la dépréciation de la roupie, la pension de Rs 9 000 n’aura plus de valeur.

Pour sa part, le syndicaliste Narendranath Gopee revient sur le manifeste électoral de l’Alliance Morisien pour les dernières législatives, quand le gouvernement avait annoncé qu’en 2024, la pension passera à Rs 13 500. Et dès décembre 2019, les plus de 65 ans avaient bénéficié d’une pension de Rs 9 000. Cet argent avait était puisé de la caisse du gouvernement, et non pas dans celle de la National Pension Fund, ce qui a fait un trou dans la caisse du gouvernement.

Après cet épisode, et afin d’honorer la promesse qu’il a faite, le gouvernement ne puise plus dans ces fonds mais met en place la Contribution Sociale Généralisée. Narendranath Gopee fait comprendre qu’avec cette mesure, il n’y aura pas besoin de prendre de l’argent de la caisse de l’État pour payer la pension car les employés et employeurs vont soulager la tâche du gouvernement en contribuant.

 

Petites et moyennes entreprises

Vaines attentes

« Malheureusement, le Budget ne répond pas à l’attente des PME », nous dit sans ambages le président de la fédération des Petites et moyennes entreprises, Amar Deerpalsing. Ce dernier affiche sa déception en ce qui concerne les annonces faites par le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, lors de la présentation du Budget 2020/2021. « Les PME s’attendaient à ce que le gouvernement se soit adressé aux problèmes auxquels font face les PME, mais l’attente a été vaine », nous dit-il.

Amar Deerpalsing dit que les PME s’attendaient à ce que des taxes (‘levy’ ou ‘custom duty’) soient imposées sur les produits importés, qui font de la concurrence à ceux faits localement. Cela aurait encouragé la consommation des produits locaux. Les PME s’attendaient aussi à ce que le gouvernement leur fournisse une aide directe pour l’achat d’équipements modernisés.

« Après la crise du covid-19, la reprise a été difficile et sera définitivement lente, et le ministre aurait pu allouer un aide financière plus rapide aux petites et moyennes entreprises », dit Amar Deerpalsing.

En ce qui est de la facilité d’aide de Rs 10 000 par la DBM, cette initiative est très bien accueillie par les PME mais la question se pose, quand est-ce que tout cela va être disponible ? « Je suis sûr que l’Appropriation Bill’ n’aura pas l’assentiment du Président de la République aussi rapidement, contrairement au Covid-19 Bill et Quarantine Bill ! », lâche Amar Deerpalsing.

 

Tourisme

« Un déficit d’intelligence touristique dans le gouvernement »

Sen Ramsamy, le Managing Director de  Tourism Business Intelligence, et ancien directeur exécutif  de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), estime que Renganaden Padayachy a su démontrer de la dextérité en présentant un budget qui est dans l’ensemble « raisonnable et responsable », et qu’il évite une crise sociale en aidant financièrement les démunis. « Sur l’ensemble donc, coup d’essai et coup de maître », dit-il.

« Ceci dit, je suis déçu pour le tourisme, même si les opérateurs du tourisme semblent satisfaits car ils ont eu exactement ce qu’ils avaient demandé concrètement : aides financières, exemption sur le paiement des loyers et des licences. Ce n’est pas avec cela qu’on va relancer le tourisme et attirer des devises étrangères chez nous dans un contexte de concurrence internationale qui sera impitoyable après l’ouverture des frontières », fait-il ressortir.

Concernant le partenariat avec Liverpool FC, il lance : « Le rebranding, c’est du réchauffé et je ne suis pas convaincu qu’un partenariat avec Liverpool FC va aider grandement dans la relance de notre tourisme sur tous les marchés. »

Il livre une analyse impitoyable sur notre secteur du tourisme en général : « Il y a un déficit d’intelligence touristique dans le gouvernement. Je sens que le ministre n’a pas eu de soutiens techniques de l’intérieur ni de propositions valables des institutions privées du tourisme qui veulent garder l’ancien modèle qui date de 70 ans. Il y a un manque de profondeur dans l’analyse des tendances dans le tourisme avec pour résultat aucune innovation ni de créativité pour ce secteur. Ma question pourrait parâtre banale, mais elle est fondamentale : en ce temps de crise planétaire et de récession économique, pourquoi un touriste doit venir à Maurice ? Si on trouvait une réponse honnête à cette question, on aurait résolu beaucoup de problèmes pour le tourisme mauricien », conclut-il.

Pour sa part, le président de l’Association of Tourist Operators (ATO), Ajay Jhurry, se dit satisfait de certaines mesures, et dans l’approche du Budget. Cependant, il explique que beaucoup plus aurait pu être fait pour rééquilibrer le budget en encourageant l’intégration des Petites et moyennes entreprises (PME) dans le secteur touristique.

 

Prime de Rs 15 000 aux personnels hospitaliers et la police

Qu’en est-il des autres ‘frontliners’ ?

Une prime de Rs 15 000 va être accordée aux membres de la force policière et du personnel soignant. Une décision qui a soulevé les critiques, voire les passions. Et pour cause ! Alors que les ‘frontliners’ incluent aussi les éboueurs, les sapeurs-pompiers, les gardes-chiourmes, les employé(e)s des supermarchés, ceux de la CWA et du CEB, entre autres, ceux-ci semblent avoir été relégués aux oubliettes.

Asraf Buxsoo, le président de la ‘Government Services Employees Association Firefighters’, nous confie que le moral est au plus bas chez les sapeurs-pompiers : « C’est un sentiment de discrimination qui prédomine ». Il se dit content de cette prime de Rs 15 000 octroyée aux membres du personnel soignant et aux policiers, mais déplore que le ministre Padayachy n’ait pas pris en considération les sapeurs-pompiers et les gardes-chiourmes. « Des trois forces disciplinaires qu’on a à Maurice, la police, les sapeur-pompiers et les gardiens de prison ont tous travaillé pendant la période du covid-19 », explique Asraf Buxsoo. « Pourquoi seuls les membres de la force policière et du personnel soignant ont été récompensés ? »

Anusha, une employée d’un supermarché dans l’est du pays, est très déçue. « Malgré le fait que nous ayons pris toutes les précautions sanitaires, la maladie rôdait toujours, et nous ne pouvions savoir si nous allions être infectés en travaillant », nous explique notre interlocutrice.

Un éboueur ne nous cache pas ses émotions non plus, face à cette décision de ne récompenser que les policiers et les membres du personnel soignant. D’autant que leurs congés de ‘sick leave’ ne seront pas remboursables. « Pas gayn ene prime et en plus pas pe rembourse nou sick leave. C’est injuste ! »

 

Réactions 

Le PM : « La  priorité du Budget était de relancer l’économie »

Lors d’une conférence de presse peu après la présentation du Budget 2020/2021, le Premier ministre se dit satisfait avec son ministre des Finances. « Ce budget apportera un soutien aux entreprises en général sans oublier les personnes qui sont dans le besoin » explique Pravind Jugnauth. Il a expliqué que son gouvernement déboursera une grosse somme d’argent pour soutenir les pertes d’emplois. Le chef du gouvernement a fait ressortir que son gouvernement travaille d’arrache-pied sur la production locale.

Paul Bérenger : « Un budget décevant et non-équilibré » 

Le leader de mauves ne mâche pas ses mots en ce qui concerne le budget du 2020/2021 présenté à L’Assemblée Nationale. Selon lui, le ministre des finances  aurait dû mentionner les Rs 60 milliards empruntées de la Banque de Maurice. Paul Bérenger a aussi critiqué la façon dont le budget a été préparé, ce qu’il l’a qualifié de honte.

« Aucune mesure pour relancer l’économie n’a été annoncé et rien n’a été dit concernant les pertes d’emploi résultant de la Covid-19 » Souligne t-il.

Paul Bérenger a aussi commenté sur le Wage Assistance Scheme et le Self Employed Assistance Scheme. Il explique que le gouvernement n’a rien fait pour les personnes au bas de l’échelle car le Wage Assistance Scheme et le Self Employed Assistance Scheme n’ont pas été renouvellés comme attendue.

Xavier Luc Duval : « Le secteur de l’exportation délaissé » 

Le Leader du PMSD souligne que le secteur de l’exportation a été jeté aux oubliettes par le ministre des Finances lors de la présentation budgétaire 2020/2021.  « Aucun mesure pour venir en aide aux problèmes dont le secteur de l’exportation n’a été annoncée alors que ce secteur fait face à d’énormes difficultés en raison de l’éclatement de la Covid-19 à Maurice. Je suis très déçu pour le secteur sucrier, le textile et le tourisme », déplore Xavier Luc Duval.

Le leader des Bleus est revenu sur le Budget de 2019/2020 dans lequel, Pravind Jugnauth avait annoncé la construction de 6000 maisons qui n’ont pas été construites jusqu’à l’heure. Il se demande si la construction de 12 000 maisons annoncée pour 2020/21 par Padayachy se traduira dans la réalité.

Jocelyn Chan Low : « Une recette classique »

L’observateur politique Jocelyn Chan Low a partagé ses réactions à propos du budget 2020/2021. Il explique que le gouvernement a adopté une stratégie classique avec  la relance de la production à travers la construction afin de diminuer le chômage et éliminer les pertes d’emploi.

L’observateur politique regrette que seuls les policiers et le personnel de la Santé recevront la prime de Rs 15000, alors d’autres ‘frontliners’ comme les pharmaciens et dispensers des hôpitaux, les éboueurs et les sapeurs-pompiers méritent eux aussi cette récompense pour leur dévotion pendant la période du couvre-feu.

L’Association des pêcheurs : « Une augmentation de Rs 60 n’est pas suffisante »

Le président de l’Association des pêcheurs, Vinod Awootar est catégoriquement contre l’augmentation de Rs 365 à Rs 425. Il réclame une allocation minimale de Rs 500 par jour pour un pêcheur en chômage technique. Il explique que les pêcheurs font face à plusieurs problèmes dont le manquement d’équipements. Vinod Awootar a aussi fait ressortir qu’une allocation de Rs 5000 aurait dû être accordée aux pêcheurs afin de les soulager en cette période de crise économique.

« Notre association souhaite que le duty-free (hors taxe) soit réintroduit pour l’achat des moteurs hors-bord, comme dans le passé afin de faciliter notre travail ». Vinod Awotar déplore également que comme pour les précédents budgets, le gouvernement n’a aucune considération pour les pêcheurs.

Feizal Jeerooburkhan : « L’investissement de Rs 15 milliards est peu dans le secteur de l’Éducation »

Le pédagogue, Feizal Jeerooburkhan se dit déçu de la façon de faire du gouvernement selon le budget 2020/2021. Il explique que les mesures importantes n’ont pas été mentionnées. Les annonces du ministre des Finances pour investir dans le secteur éducatif pourrait se terminer en gaspillage. Il avance que le gouvernement aurait dû taxer les enseignants qui donnent des leçons particulières pour donner plus d’importance à notre système éducatif.

Kreepallo Sunghoon : « Le gouvernement devra réaliser ces mesures le plus vite possible »

Le secrétaire de la Small planters Association, Kreepallo Sunghoon se dit satisfait du Budget 2020/2021 mais des action concrétes devront être prises dès maintenant. “Les propositions des petits planteurs ont été bien accueillies par le gouvernement” confirme-t-il. Toutefois, Kreepallo Sunghoon explique que c’est très encourageant avec l’augmentation des subsides accordés pour l’achat des graines des pommes de terre et d’oignons qui passent de Rs 5000 à Rs 25 000 par tonne. En outre,il  fait ressortir qu’il souhaite qu’il y aura une bonne gestion  de la somme d’argent mentionnée dans le budget.

Osman Mohamed : « Chagrinant de voir que l’Ocean Economy a été convertie en Blue Economy »

L’ex-président de Maurice île Durable, Osman Mohamed, qualifie ce changement d’appellation comme un « drame ». Il explique qu’en 2013, le projet de ‘Ocean Economy’, maintenant converti en ‘Blue Economy’, avait été un succès. Il ajoute que la ‘Blue Economy’ a été réduite en terme de secteur. Le député estime que la ‘Blue Economy’ se  concentre plus sur le secteur de la pêche mais il ne comprend pas pourquoi Maurice continue toujours d’importer du poisson. Selon lui, Maurice doit réduire l’importation de poissons.

Pradeep Jeeha : « Aucun support technique aux petits planteurs »

Pradeep Jeeha ancien ministre de la Technologie a fait ressortir que le gouvernement n’a annoncé aucun support pour soutenir les petits planteurs.

“Le ministre des Finances n’a  rien annoncé d’intéressant à part les subsides pour booster la production d’oignons et de la pomme de terre. Selon lui, il n’y a aura aucun progrès et pour les prochains 12 mois, le secteur agricole ne changera pas en terme d’avancement.

 Business Mauritius : « La communauté des affaires est inquiète » 

Business Mauritius fait ressortir que « la communauté des affaires est inquiète par l’introduction de charges fiscales et sociales qui fragiliseront davantage les entreprises. » Selon Vidia Moonegan, le président de BM, « Malgré un certain nombre de mesures encourageantes, la communauté des affaires reste en attente de mesures fortes pour relancer plusieurs secteurs importants de notre économie face à la crise. Cela est essentiel pour protéger concrètement les entreprises et les emplois.”

La communauté des affaires est aussi inquiète par la forte augmentation du ‘Solidarity Levy’, qui ramène l’Income Tax à 40 % pour les Mauriciens à revenus élevés. Bien que se disant d’accord sur le principe de la solidarité, Business Mauritius note que cette forte augmentation nous place à un niveau de taxation plus élevé que des pays développés comme les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou encore Singapour. BM déplore aussi la taxe sur les chiffres d’affaires qui pénalisera plusieurs  entreprises.

Avec l’introduction de la Contribution Sociale Généralisée (CSG), qui remplace le NPF, Business Mauritius dit noter que les charges pour les entreprises vont encore augmenter, alors que nombres d’entre elles ont du mal à sortir la tête de l’eau.