Brutalité policière : Absence de volonté politique pour tacler le problème

Les brutalités policières sont un phénomène qui ne datent pas d’hier, et récemment des cas de torture, voire de mort d’homme en détention policière, sont venus émmailler l’actualité. Or, cela peut avoir des conséquences graves. On se souviendra qu’après la mort de Kaya le 21 février 1999 dans le tristement célèbre Alcatraz, de graves émeutes avaient eu lieu dans le pays. Mais après le décès de Kaya, plusieurs noms  sont venus  s’ajouter à la liste. Le dernier en date : celui de Krishna Seetul, qui a été selon ses dires torturé au poste de police de Terre-Rouge. Nous revenons sur quelques cas de brutalité policière qui ont fait la une de l’actualité, et nous abordons avec deux avocats pourquoi cet état de choses perdure.

L’IPCC : quelle est son efficacité ?

La National Human Rights Commission (NHRC) n’a plus aucune autorité pour enquêter sur les cas de brutalités policières. Selon une loi de 2016, c’est l’Independent Police Complaint Commission (IPCC) qui a désormais l’autorité requise pour enclencher toute enquête sur des cas de brutalités policières.

Nous sommes allés à la rencontre de l’avocat Sanjeev Teeluckdharry, qui se spécialise dans les dossiers devant être soumis au Privy Council et qui a à sa charge plusieurs cas de brutalités policières qui avaient fait la une de l’actualité, dont ceux concernant Krishna Seetul, Khalil Anarath et David Gaiqui.

Cet homme de loi nous affirme d’emblée que bien que l’IPCC soit, sur papier, indépendante, c’est un organisme sans dent et aux pouvoirs limités. Tout le pouvoir est concentré entre les mains du Commissaire de police. Or, celui-ci, très souvent, n’a pas la volonté de faire aboutir les enquêtes.

La mort de Kaya en détention policière démontre que la brutalité policière peut avoir des conséquences graves

Le 21 février 1999 : cela fait maintenant 21 ans que le chanteur Kaya, un icône pour de nombreuses personnes, devait trouver la mort dans le centre de détention de Line Barracks, connu comme Alcatraz. Sa mort provoqua une vague d’indignation dans le pays. De graves émeutes avaient éclaté dans plusieurs endroits, dont Roche-Bois, Goodlands, et Cité Kennedy. Le pays était au bord de l’embrasement, mais heureusement les choses étaient revenues à la normale quelques jours après.

 

Kaya et d’autres musiciens avaient organisé un concert au stade de Rose-Hill quelques jours auparavant, et apparemment, certaines personnes fumaient du cannabis sous le nez de la police. Les forces de l’ordre devait réagir quelques jours plus tard en procédant à l’arrestation de Kaya et en l’enfermant à Alcatraz.

Un médecin légiste réunionnais, le Dr. Jean-Paul Ramstein, fera le déplacement à Maurice pour une contre-autopsie. Son verdict est sans appel : on aurait agrippé le chanteur par ses dreadlocks et cogné sa tête contre les barreaux de sa cellule. Malade, le chanteur demandait aux gardiens de l’évacuer vers un hôpital, mais selon les procédures absurdes en place, les geôliers d’Alcatraz ne pouvaient pas prendre cette initiative, et il fallait que ce soit l’unité qui avait procédé à son arrestation qui prenne cette décision.

Une enquête judicaire avait eu lieu, mais ensuite, rien. Une commission d’enquête avait aussi siégé, présidé par Keshoe Parsad Matadeen, alors juge à la Cour suprême. Mais hélas, les cas de brutalité policière sont toujours d’actualité. On aurait au moins espéré que la mort de Kaya allait changer cet état de choses.

Iqbal Toofany : quand la justice fait preuve de célérité

Les décès en cellule policière ou autres cas de brutalités policières demeurent souvent une énigme, car ils restent souvent impunis par la justice et cela pour insuffisance de preuves.

Rarement, toutefois, la justice peut faire preuve de célérité.  Ainsi, dans le cas d’Iqbal Toofany en 2015, où ce dernier avait trouvé la mort au poste de police de Flic-en-Flac, cinq policiers avaient été poursuivis devant la cour intermédiaire pour « torture by public offical ». Deux des prévenus sont décédés, mais le procès se poursuit contre les autres. Iqbal Toofany a apparemment subi une forme de torture connu comme « falanga », soit le matraquage de la plante des pieds, selon le médecin légiste qui a déposé en cour. Il aurait par la suite perdu un tiers de son sang.

  • David Gaiqui, forcé à se dévêtir et ligoté à une chaise

Rappelons que ce dernier avait été arrêté en janvier 2018. Les photos prises de lui nu comme un ver et menotté à une chaise dans le QG de la CID de Curepipe avait soulevé un tollé sur les réseaux sociaux.

Or, le prévenu qualifie son arrestation d’arbitraire. Selon lui, aux petites heures du matin du 26 janvier 2018, des officiers de la CID ainsi que ceux du GIPM, avaient atterri chez lui sans aucune raison évidente. Ils ont perquisitionné sa maison et ont procédé à son arrestation sans lui  en donnant les motifs.

Il affirme avoir été contraint de se dévêtir au poste de police de Curepipe et d’avoir été battu. Menottes aux poignets, il avait été contraint de signer des aveux et subi une forte pression des officiers de police pour avouer être l’auteur d’un meurtre aussi bien que d’un vol. Il clame son innocence dans les deux cas.

  • Khalil Anarath, mort à Alcatraz en 2019

Rappelons que Khalil Anarath est décédé en cellule policière en 2019. Il avait eu l’arcade sourcilière brisée et les paupières endommagées. Depuis, aucun policier n’a été suspendu de ses fonctions en attendant l’aboutissement de l’enquête. Khalil Anarath aurait été torturé durant sa détention à Alcatraz.

Me Sanjeev Teeluckdharry, qui représente la famille Anarath dans ce procès, avait écrit une lettre au Commissaire de police, Mario Nobin, pour réclamer l’ouverture d’une enquête. Le Directeur des poursuites publiques avait par la suite institué une enquête judiciaire concernant ce cas, et l’affaire sera appelée devant la cour de district de Port-Louis le 16 avril prochain.

  • Krishna Seetul allègue avoir été torturé au poste de police de Terre-Rouge

Pour ce qui est de Krishna Seetul, il affirme qu’il se promenait le long d’une rue à Arsenal en compagnie de son ami. Ce dernier devait dérober le sac à main d’une femme qui se tenait à l’arrêt d’autobus. Krishna Seetul affirme avoir suivi son ami. Les officiers de la CID les ont par la suite embarqués dans leur véhicule et les ont conduits au poste de police de Terre-Rouge.

Là, les policiers ont commencé à le frapper à l’aide d’un morceau de bois, tantôt sur sa cheville, tantôt sur son dos et ses jambes. Il affirme avoir été  dévêtu et torturé par d’autres policiers à l’aide d’une barre de fer. Il dit pouvoir identifier ses agresseurs. Les photos de ses blessures sont assez éloquentes.

Shakeel Mohamed : « Aucune volonté politique pour venir à bout du problème »

Quant à Shakeel Mohamed, avocat et parlementaire, il trouve pour sa part qu’on ne devrait pas prendre à la légère les cas de brutalités policières. Selon lui, il devrait exister des  garde-fou pour veiller aux droits des citoyens.

Il tient tous les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir d’être responsables de cet état de fait. Selon l’avocat il devrait exister une volonté réelle auprès de ceux qui sont au pouvoir pour étudier le problème à fond. Pour ailleurs, il plaide pour que le budget consacré à   la police soit plus conséquent.

Faudrait-il enregistrer sur bande-vidéo les aveux ?

Selon Shakeel Mohamed, le Police & Criminal Evidence Bill fait provision pour que les aveux soient enregistrés sur bande-vidéo, mais ces provisions sont rarement implémentées.

Ainsi, quand un prévenu est interrogé, il n’existe aucun moyen pour vérifier les aveux du suspect.

La frustration au sein de la police engendre l’agressivité des policiers envers les citoyens

Pour Shakeel Mohamed, il existe un malaise profond au sein de la force policière. «  Il règne un sentiment de malaise et de frustration au sein de la force policière, ce qui explique bien des cas d’agressivité de policiers envers des membres du public », nous dit-il. Un exemple : les policiers affectés comme gardes du corps du Premier ministre bénéficient plus de promotions et d’autres avantages que d’autres policiers.

Il trouve que les officiers de police devraient bénéficier d’un meilleur encadrement, de meilleurs outils,  de meilleures conditions de travail, de meilleures infrastructures. Ils méritent aussi une plus grande  reconnaissance auprès du public, et le métier de policier devrait être revalorisé. Selon l’avocat, le syndicat de la police serait une « farce » et n’arrive pas à améliorer le sort de ses  membres.

La formation actuelle à Maurice est loin d’être comparable à la formation en vigueur dans d’autres pays, à l’instar de la Réunion, où les policiers bénéficient d’une formation plus poussée.

ÉDITION: 23.02.2020/423