Bashir Jahangeer :« Les postes ont été distribués en fonction des liens de parenté et de proximité »

Bashir Jahangeer ne cache pas son amertume contre le MSM. Les dirigeants du parti soleil, dit-il, préfère des ‘goungah’ et des pantins au lieu de privilégier la compétence. S’il n’a pas quitté le gouvernement avant, avoue le député sortant du no. 13, c’est parce qu’il croyait dur comme fer qu’il pourrait y faire une différence. En vain.  Il se dit néanmoins fier des projets qu’il a pu faire bloquer, car puant de maldonnes et de corruption, et de ses 200 questions qu’il a posées à l’Assemblée nationale durant son mandat.

 

Q : Vous avez claqué la porte du MSM pour n’avoir pas obtenu de ticket pour les prochaines élections. N’est-ce pas faire preuve en quelque sorte de mauvaise foi ?

Certainement pas. Je regrette d’avoir eu à prendre cette décision parce que je ne suis pas de ceux qui aiment changer de parti comme on change de chemise sans qu’il n’y ait de raison valable. J’ai intégré le MSM en 1995 à mon retour de Kuweit où j’ai passé 21 ans. En 2001, j’avais été élu comme conseiller municipal de Beau-Bassin/ Rose-Hill sous la bannière du MSM, et cela dans un ‘ward’ très difficile, soit à Barkly et à Mont Roches où il n’y a aucun musulman. Après mon mandat comme conseiller et avec l’avènement du gouvernement travailliste, j’ai dû rester derrière les rideaux sur le plan politique en raison de mes engagements professionnels. En 2014, on m’a appelé en renfort pour prêter main forte à la campagne électorale. Il n’était jamais question, à ce moment-là, que j’obtienne un ticket. Ce n’est qu’à la veille du ‘Nomination Day’ qu’on m’a donné ce ticket au no. 13 où j’ai été très bien accueilli et où j’aurais pu certainement être élu de nouveau.

Ceci dit, quand Pravind Jugnauth m’a informé que je n’aurai pas de ticket puisqu’il comptait y envoyer Zouberr Joomaye, j’ai accepté, avec un pincement au cœur bien entendu, parce que je sais que ce dernier n’est pas un homme de terrain. C’est regrettable qu’il ait été favorisé au détriment de ceux qui ont investi le terrain pendant cinq ans. On nous disait aussi, lors des comités parlementaires de la majorité gouvernementale, que la présence des élus dans l’hémicycle pèsera dans la balance au moment du partage des tickets. Mais tel n’a pas été le cas. Au cas contraire, au moins quinze des 25 personnes qui n’ont pas eu de ticket auraient dû se retrouver sur la liste des candidats. De plus, je n’ai effectué que trois missions officielles en cinq ans. Je n’ai pas protesté, mais c’est une injustice…

Q : C’est donc une question de voyages aussi ?

Je trouve très injuste que des ministres et des PPS soient nommés dans des comités,  avec la bénédiction du Premier ministre, uniquement pour qu’ils puissent voyager. Mais revenons à votre question initiale, la déception a pris le dessus quand, après les protestations – dont je n’étais pas au courant – des agents du no. 13 contre la candidature de Zouberr Joomaye qu’ils estimaient être un transfuge. Mais, à mon grand étonnement, au lieu que je sois appelé pour le remplacer, comme ils le réclamaient pourtant, c’est un néophyte qui a été désigné à ma place. C’est ainsi que j’ai réalisé qu’il n’avait aucune considération pour moi.

Q : Mais vous attendiez-vous vraiment à être récompensé après avoir embarrassé votre propre parti et son allié à travers vos questions ?

Au départ, ils ne s’attendaient certainement pas à ce que je pose ces genres de questions. Cependant, je dois préciser que mes questions ne visaient pas à embarrasser qui que ce soit, mais simplement de tirer certaines choses au clair dans l’intérêt du public. J’aurais bien aimé que les ministres m’appellent pour en discuter avant qu’on n’aille au Parlement. Mais ils ne l’ont jamais fait, malgré mes appels téléphoniques.

Je suis fier d’avoir levé les lièvres concernant certains projets, surtout par rapport aux secteurs de l’eau et de l’électricité, afin qu’il n’y ait pas de maldonnes. Ce sont deux secteurs que je maîtrise. Donc, je sais exactement que des contrats ont été taillés sur mesure pour favoriser telle ou telle compagnie. Raison pour laquelle ils ont été choqués quand j’ai exposé certaines magouilles. Ils ne s’attendaient peut-être pas à ce qu’il y ait quelqu’un d’aussi intelligent au sein du MSM. D’où mon évincement.

Q : Pourquoi avez-vous tenu bon malgré les diverses tentatives de vous museler ?

Il y a effectivement eu plusieurs tentatives de me faire taire, surtout lors des réunions parlementaires. Jusqu’à ce que ‘bolom’, quand il était Premier ministre, avait un jour balancé « pa koné kot sorti. Ki sanla ine donne sa ticket ? ». Voilà le traitement qu’on me réservait. J’ai, malgré tout, tenu bon et j’ai continué à leur tenir tête, tout en poursuivant le travail pour lequel j’avais été mandaté de faire. C’est malheureux cependant de voir qu’au lieu d’être fier qu’il y ait des personnes compétentes au sein de son équipe, il préfère les pantins. Les parlementaires du MSM ont la plupart des cervelles de moineau. Ils ne savent rien de la gestion et ils sont dépassés. Les postes de responsabilité, ministériels ou autres, ont été distribués en fonction des liens de parenté et de proximité et rien d’autre.

Q : Mais vous êtes quand même resté dans ce gouvernement en dépit de tout ce que vous dîtes. Regrettez-vous maintenant de ne pas l’avoir quitté plus tôt ?

J’estime avoir fait mon travail en tant que backbencher en mon âme et conscience, dans l’intérêt du pays. Mais posez-vous la question : pourquoi un ministre vous demanderait-il de retirer une question ? Soit parce qu’il ne connaît pas son dossier soit parce qu’il y a anguille sous roche. De toutes les façons, c’est anti-démocratique. Raison pour laquelle je demande à la population de bien réfléchir avant de voter. Voyez-vous maintenant le tollé qui s’élève contre ceux qui ont choisi d’être ‘goungah’ et qui n’ont fait que ‘sof banc’ au Parlement ?

Moi, je n’ai pas de regrets d’avoir fait mon travail. J’ai tenu tête à Ivan Collendavelloo sur plusieurs projets, que ce soit la turbine à gaz, le projet d’affermage de la CWA qui était une semi-privatisation déguisée, ou l’augmentation du prix de l’eau. Le gouvernement a dû faire marche-arrière sur ses dossiers. Vous n’avez qu’à voir les nombreuses compagnies qui ont été créées par le CEB afin de pouvoir dépenser sans avoir à rendre des comptes pour comprendre tout le mécanisme de dilapidation des fonds publics. Je peux d’ailleurs vous donner toute une liste où il y a eu des gaspillages à gogo.

Il est évident que mes prises de position n’ont pas toujours fait plaisir et ils m’ont fait payer le prix. Mais, ma conscience est claire puisque j’ai pu mettre un frein à tous les projets qui allaient nuire au pays.

Q : Pourquoi donc cherchiez-vous un nouveau ticket si vos compétences n’étaient pas reconnues?

Je pensais que je pourrais aider à améliorer les choses. Soyons clairs sur un point, ce ne sont pas toujours les ministres qui sont responsables des scandales. Leur seule faute, c’est qu’ils ne maîtrisent pas leurs dossiers et ils se laissent facilement embobiner. Si j’avais eu un portefeuille qui relève de mon domaine, tel que les utilités publiques, l’environnement, les télécommunications ou encore les infrastructures publiques, j’aurais pu prévenir des cas de corruption, tout en développant ces secteurs et en promouvant une gestion saine des fonds publics. Même un poste de conseiller, à défaut d’un poste ministériel, m’aurait convenu, le plus important étant, bien sûr, de pouvoir mettre mes compétences au profit de l’intérêt national.

Q : Vous avez décidé de prêter main forte à l’Alliance Nationale. Pourquoi l’électorat devrait-il sanctionner Pravind Jugnauth et son équipe, selon vous ?

Le nombre de casseroles que le gouvernement sortant traîne suffit pour le sanctionner. Je ne comprends d’ailleurs pas comment vous pouvez priver 25 personnes de votre équipe sortante de tickets pour diverses raisons, mais vous leur garantissez néanmoins un poste quelconque, soit celui d’ambassadeur ou d’autres nominations. S’ils ne sont pas compétents ou s’ils sont impliqués dans des scandales,  pourquoi donc leur promettre des ‘bouttes’ ? C’est illogique !

Je ne comprends pas aussi pourquoi il sanctionne les autres quand il y a aussi des allégations contre lui.  Prenons l’affaire Serenitygate, par exemple. Quand un citoyen cherche un emprunt à la banque, il doit fournir toutes sortes de garanties, mais comment est-ce que celui-ci ait pu obtenir Rs 960 millions aussi facilement sans qu’on sache combien a été remboursé jusqu’à présent ? C’est très grave et le peuple a le droit de réclamer des explications.

En fait, le MSM était ‘overconfident’ car il pensait qu’il remporterait les élections comme une lettre à la poste en se basant sur les divers projets. Mais tel ne sera pas le cas. Je crois qu’il est maintenant découillonné…