Avec les navires qui évitent la rade de Port-Louis… : De graves répercussions pour l’économie et les consommateurs

 

Il faut dire que la covid-19 a mis l’économie mondiale, y compris celle de Maurice, à rude épreuve. Dans ce contexte difficile, s’ajoute un nouveau problème : de nombreux navires bouderaient Port-Louis vu le manque d’espace, des droits portuaires trop élevés, des contraintes administratives, entre autres. Or, ces retards dans la livraison de marchandises essentielles pour notre économie pourront avoir de graves répercussions sur l’économie mauricienne et sur les consommateurs, avec des risques de flambée de prix et de pénuries. En toile de fond, les multiples dysfonctionnements de la Mauritius Ports Autority (MPA), responsable de la gestion du port. Il n’est peut-être pas trop tard pour redresser la barre mais l’absence de volonté fait défaut.

 

La rade de Port-Louis : un point névralgique pour notre économie

Il faut dire que la rade de Port Louis est moins présent que l’aéroport SSR dans notre conscience collective, et pourtant…  C’est la principale porte d’entrée des marchandises du pays. Elle joue un rôle essentiel dans l’économie mauricienne, en traitant environ 99 % du volume total des importations et exportations.

Toutes les importations stratégiques, telles que les produits alimentaires, les produits pétroliers, les matières premières transitent par le port. Idem pour nos principales exportations, telles que le sucre et les produits textiles.

Au cours des dernières décennies, le port a connu un certain développement. Vous entendrez souvent les politiciens utiliser le mot ‘hub’ pour décrire les projets grandioses qu’ils comptent apporter au port. Toutefois, avec certains dysfonctionnements au port qui ont la vie dure, on voit mal les projets fonctionner à leur plein rendement.

Les dysfonctionnements de la Mauritius Ports Authority et le recul du port

Anciennement connue sous le nom de Mauritius Marine Authority (MMA), la Mauritius Ports Authority (MPA) est l’unique autorité portuaire nationale, créée sous la Ports Act (1998). Elle a pour but de réglementer et contrôler les activités maritimes dans la rade de Port-Louis. Elle fournit les installations de support aux navires, et d’autres services maritimes à ces derniers.

Mais, il convient de se pencher sur une manifestation quelque temps de cela. En effet, les membres de la Maritime Transport and Port Employees Union (MTPEU) avaient tenu une manifestation devant l’Hôtel du Gouvernement le 18 septembre dernier. Ces derniers dénonçaient les multiples dysfonctionnements de la Mauritius Ports Authority. Ils réclamaient en outre la révocation de Ramalingum Maistry, le chairman de la MPA, qu’ils accusaient de mauvaise gestion.

Selon les manifestants, ce dernier a transformé la MPA en un bureau politique régional, et pratiquerait une politique de recrutement qui laisserait à désirer. Il fait continuellement la sourde oreille face aux multiples doléances des employés du port, notamment en ce qui concerne l’état des remorqueurs. Avec les conséquences que l’on sait.

Ceci expliquerait-il que la rade de Port-Louis a pris du recul comparé aux ports des pays avoisinants ?

Mahendra Gondeea, Association des transitaires

Mahendra Gondeea« Les solutions existent, mais il manque une certaine volonté pour les implémenter »

Le président de la ‘Freight Forwarders Association’ (Association professionnelle des transitaires, APT), Mahendra Gondeea nous explique le problème auquel le port fait face : un problème d’espace. C’est-à-dire que Port-Louis est trop petit pour pouvoir accommoder tous les bateaux qui viennent pour livrer les produits. Les bateaux choisissent alors les autres ports pour aller livrer leurs marchandises.

 

Si jadis, Port-Louis était l’un des ports les plus modernes et efficaces de la région, tel n’est plus le cas. Ce qui fait que ce sont d’autres pays qui profitent de cette situation, vu que les bateaux utilisent leur port. En effet, il faut dire que nos compétiteurs maritimes, ont de leur côté, modernisé leur port, en offrant plus de services.

Autre facteur majeur : ce sont les prix portuaires offerts par les autres ports dans la région. Comparés à ceux pratiqués à Maurice, les prix sont en effet bien plus abordables. Et il nous revient que chaque année, les prix portuaires  augmentent, ce qui fait que Port-Louis recule. Le président de l’APT note aussi qu’à partir du 1er octobre, les frais portuaires ont connu une hausse de $ 300. « Vous imaginez à quel point nous allons encore reculer ? », lance-t-il.

Mahendra Gondeea tire à boulets rouges sur les contraintes administratives. Il explique qu’il est normal que les bateaux doivent suivre un protocole pour entrer dans notre port, car si ce genre de protocole n’est pas suivi, n’importe quel bateau pourra entrer dans nos eaux territoriales. Mais il existe toutefois, un gros souci en termes de paperasse. « Ce n’est pas logique, dans un monde aussi avancé sur le plan technologique, de faire remplir autant de formulaires aux bateaux », lance notre interlocuteur. En effet, le personnel d’un navire doit remplir environ 57 formulaires avant d’entrer dans le port. « Nous opérons avec des procédés archaïques », dénonce-t-il.

De l’autre côté, il y a des problèmes de ‘gang’ – rien à voir avec les gangsters, ce terme signifie tout bonnement  les équipages qui travaillent sur le port.

« Il y a des solutions mais il manque une certaine volonté pour les implémenter », assène-t-il. S’il y a une volonté de faire bouger les choses, Maurice pourrait rattraper son retard, sinon les bateaux vont aller transiter ailleurs, et nous allons beaucoup souffrir, met-il en garde.

Amar Deerpalsing, président de la Fédération des PME

Amar Deerpalsing« C’est toute la population qui sortira perdante de cette situation » 

Amar Deerpalsing, le président de la Fédération des Petites et moyennes entreprises (PME), fait ressortir que les bateaux prennent maintenant entre 50 et 60 jours pour venir débarquer à Maurice, au lieu de 24 à 26 jours, comme c’était le cas auparavant.

Il affirme qu’il n’y a aucun bateau direct à Maurice et que  les marchandises transitent dans d’autres ports avant d’être débarquées à Port-Louis.

Or, avec un plus long délai dans l’importation des marchandises, les frais portuaires seront plus forts. Et vu que la roupie continue  de se déprécier sur le marché mondial et que la plupart  de nos importations sont en dollars, ce sera très difficile pour  nous, selon ses dires.

Il avance que tous les secteurs qui dépendent des importations seront touchés,  car en cas d’accumulations des retards dans l’importation des matières premières, il y aura des délais dans ces secteurs (par exemple, dans le secteur de la construction). En outre, ceux qui fabriquent des produits localement devront être prêts à souffrir car les prix des matières premières coûteront plus cher.

Il a souligné que les consommateurs aussi sont concernés par cette affaire car les prix des marchandises augmenteront en flèche. « C’est la population qui sortira perdante de cette situation », avertit-il.

Amar Deerpalsing estime toutefois que « Si on peut adresser l’inefficience au port, cela pourrait ramener les bateaux à Maurice. »

Et pourtant, les solutions sont là

  • Mahendra Gondeea plaide pour que le port revoie les droits portuaires, car il est tout à fait normal que si les prix des compétiteurs sont meilleurs que chez nous, les bateaux vont choisir les autres pays.
  • Il faut aussi trouver une solution en ce qui concerne les contraintes administratives, car avec les nouvelles technologies, on peut fort bien réduire le protocole d’entrée des navires, de plus de 57 documents.
  • Il faudrait aussi que des réunions puissent avoir lieu de temps en temps. « Il faut que les idées et les propositions des parties concernées soient prises en considération, surtout si les idées sont bonnes et effectives », explique Mahendra Gondeea.
  • Il faut maintenir le dialogue principalement avec les compagnies de navires. Il faut connaitre leurs doléances pour pouvoir faire des améliorations. « Cela pourrait aider à ramener quelques lignes de bateaux à Port-Louis à nouveau », nous indique Mahendra Gondeea.

Pas seulement la covid-19, le port aussi contribue à la pénurie…

Durant la semaine écoulée, à l’entrée d’un supermarché, il y avait une annonce sur la rupture d’une marque de couches pour bébé. L’annonce fait mention que cette marque est en rupture pour « des problèmes d’approvisionnement à l’internationale et des problèmes de logistique dans le port à l’ile Maurice ».

Questionné à ce sujet, Mahendra Gondeea confirme que ce sont les facteurs dont il a fait mention qui sont à l’origine de cette pénurie. « C’est tout à fait normal car la plupart des produits importés sont livrés à Port-Louis. Si le port ne fonctionne pas comme il se doit, il y aura des retards dans la livraison des produits ou même une pénurie de certains produits », met-il en garde.

Ce dernier donne aussi l’exemple d’un bateau de fruits qui n’a pas pu procéder au débarquement de sa cargaison à Maurice, vu que le port était déjà rempli. De ce fait, les fruits ont été livrés dans un autre pays. Du coup, les importateurs doivent attendre un autre bateau qui passera vers Maurice pour livrer les fruits, ce qui retarde la livraison.

Neevedita Nundowah

Asraf Aullymun