Avec la réouverture des frontières théoriquement prévue pour octobre… : Les entreprises liées indirectement avec le secteur du tourisme dans l’angoisse

 

Avec le confinement et la fermeture de nos frontières, il n’est un secret pour personne que l’économie mauricienne est dans le rouge. Certains secteurs ont été plus touchés que d’autres, à l’instar du tourisme, qui est au bord de l’asphyxie. Or, avec la réouverture des frontières prévue pour octobre, ce ne sera pas, hélas, la bulle d’air que tout le monde attendait, car de nombreuses incertitudes persisteront… Nous nous focalisons dans ce dossier sur les opérateurs économiques indirectement liés au tourisme, qui doivent aussi lutter pour leur survie, et qu’on a quelque peu tendance à reléguer aux oubliettes, au profit des hôtels.

Ce lundi 31 août, le Premier ministre s’est adressé à toute la nation mauricienne. Il a expliqué que ce n’est qu’après le 31 octobre que l’ouverture des frontières mauriciennes va se faire, en phases, et sous des conditions sanitaires très strictes.

Car avec la pandémie de covid-19, qui est loin de s’estomper, le gouvernement n’aura d’autre choix que d’imposer des restrictions sur les arrivées des touristes, surtout en ce qui concerne ceux issus des pays les plus affectés par la covid-19.

En outre, beaucoup de touristes auront une peur bleue de prendre l’avion pour n’importe quelle destination, y compris Maurice, pour ne pas contracter le virus.

Mais le sort a choisi de s’acharner sur nous : il y a aussi le naufrage du vraquier MV Wakashio et le déversement de plus de mille tonnes de fioul sur le littoral du sud-est. Or, cela aura un impact négatif conséquent sur l’économie de cette partie du pays, avec les touristes (quand ils réapparaitront, du moins) boudant les hôtels, les restaurants et les commerces proches de la zone sinistrée.

Avec ces catastrophes, il sera difficile pour le pays de relancer le secteur touristique, qui est l’un des secteurs qui contribue le plus dans l’économie du pays.

Il est vrai que les grands hôtels, et les opérateurs liés directement au secteur du tourisme sont les plus affectés. Mais comment font les entreprises connexes, c’est-à-dire ceux qui sont liés indirectement avec ce secteur, comme les artisans, les chauffeurs de taxis, les marchands de plage, les restaurateurs, les planteurs et les commerçants ? Pourront-ils survivre pour les prochains mois ?

Ajay Jhurry, président de l’Association of Tourist Operators

Ajay Jhurry« Ce qui fait peur en ce moment, c’est l’incertitude au niveau international »

Nous nous sommes d’abord tournés vers Ajay Jhurry, le président de l’Association of Tourist Operators, pour avoir des éléments de réponse. Cette association, comme son nom l’indique, regroupe plusieurs entreprises opérant dans le secteur du tourisme.

Quel regard jette-t-il sur la situation nationale et internationale ? « Ce qui fait peur en ce moment, c’est l’incertitude au niveau international », nous confie-t-il.

Il plaide néanmoins pour le réalisme en ce qui concerne la réouverture des frontières. Il faudrait donc prendre toutes les précautions nécessaires car certains pays ont été frappés par la deuxième vague tant redoutée du coronavirus, juste après l’ouverture de leurs frontières.

Quels sont les problèmes qui affectent les entreprises dans le secteur du tourisme ? Ajay Jhurry nous explique que les problèmes auxquels font face les entreprises dans le secteur du tourisme sont différents, car tout cela dépend de la nature, la taille et le secteur d’activités de l’entreprise.

Dans le contexte des petites et moyennes entreprises (PME), le gouvernement avait mis en place des programmes d’assistance pour que ces entreprises ne mettent pas à la porte des employés. Mais il faudrait noter aussi que certaines compagnies n’ont pas reçu cette assistance, sous forme d’argent par le gouvernement, pour diverses raisons.

En ce qui concerne les pertes d’emplois, Ajay Jhurry estime que pour surmonter ce problème, le gouvernement doit identifier les secteurs où des redéploiements d’employés peuvent se faire. « Le gouvernement devrait envisager de réorienter les entrepreneurs vers des stratégies de diversification, pour que les entreprises et leurs employés puissent survivre », nous indique-t-il.

Les chauffeurs de taxi au bord du gouffre

Yousa, un taximan qui opère sur la plage de Flic-en Flac, nous explique que l’absence des touristes dans le pays en raison de la fermeture des frontières a bouleversé la vie des chauffeurs de taxis qui opéraient sur le littoral ou auprès des hôtels. « Depuis l’éclatement de la pandémie de la covid-19 à Maurice, de nombreux chauffeurs de taxi sont au chômage forcé », nous dit-il.

Il explique que beaucoup de chauffeurs de taxi sont stressés et certains font même face à une dépression, car ils ne trouvent aucun moyen pour nourrir leur famille. Ils doivent trouver de l’argent pour rembourser leurs prêts auprès des banques en fin de mois. D’autres chauffeurs doivent trouver un moyen pour s’acquitter des frais scolaires des enfants.

Un groupe de 20 chauffeurs de taxi, auquel Yousa fait partie, a lancé un appel au ministère concerné pour recevoir un soutien mais ça n’a rien donné jusqu’à présent. Ils ont aussi envoyé une lettre au Premier ministre, Pravind Jugnauth, et ils espèrent toujours une réponse positive.

Les commerçants qui dépendent des touristes dans le rouge

AkhmezAkhmez Jaulim compte plus que 40 ans comme commerçant. Il possède actuellement un emplacement à Mahébourg. Son commerce, ainsi que ceux d’autres voisins commerçants, souffre énormément en ce moment. Selon lui, son commerce a été affecté à 90 % avec la fermeture des frontières.

« Mahébourg est un centre commercial et attire beaucoup les touristes, ainsi que les Mauriciens, qui habitent le sud-est », nous explique-t-il.

 

Akhmez affirme que même lorsque les frontières ouvriront, les touristes bouderont le village de Mahébourg, où le lagon est toujours pollué par l’huile lourde du MV Wakashio.

Il précise que plusieurs commerçants mahébourgeois ont investi de fortes sommes d’argent pour l’achat de divers articles, mais avec la catastrophe du Wakashio, ces commerçants se dirigent très probablement vers une faillite totale.

De plus, selon Akhmez, de nombreux jeunes gagnent leur vie, directement ou indirectement, à travers la zone commerciale de Mahébourg ou grâce à la mer. « On peut être sur que beaucoup plongeront dans la déprime ou dans le fléau de la drogue », lâche-t-il, fataliste. Il prédit sombrement que les cas de vol, et la criminalité en général, prendront de l’ampleur et que les habitants devront craindre pour leur sécurité.

Les commerçants de Mahébourg ont déjà fait une demande pour une rencontre avec les membres du gouvernement  mais cela n’a pas abouti jusqu’à présent.

Les marchands de plage essaient désespérément d’écouler leurs stocks localement

Nous nous sommes tournés vers un marchand de plage pour savoir comment lui et les autres marchands font face à l’absence de touristes sur les plages.

‘Ferari Leaderprice’, comme il se dénomme lui-même, est bien connu des estivants mauriciens, et des touristes, pour les produits artisanaux qu’il écoule sur les plages.

 

 

Mais depuis l’apparition de la covid-19, ce père de famille n’en mène pas large. Il nous lance : « Bizin tremp dipain rasi dans delo ! » En effet, son mode de vie a basculé depuis la fermeture des frontières, cela depuis mars. Depuis, il a dû mettre ses produits en liquidation sur Facebook, mais essayer de faire écouler ses produits à travers ce réseau social n’est pas rentable, explique t-il.

Qu’en est-il des autres marchands ? « Ils sont dans la même situation que moi », nous dit-il. « Ils essaient d’écouler leurs stocks auprès des Mauriciens, et attendent tous la réapparition des touristes sur nos plages. »

Son épouse et lui ont un permis en bonne et due forme pour travailler sur les plages, ce qui a permis au couple, depuis le confinement, de bénéficier de l’assistance de Rs 5 100 du gouvernement. Mais depuis deux mois, pour des raisons inconnues, son épouse a cessé de recevoir cette assistance.

Or, Rs 5 100 est nettement insuffisant pour ses trois enfants en bas âge. « J’ai plusieurs factures à régler, et d’autres responsabilités, ce qui fait que cet argent n’est pas suffisant », explique-t-il.

Ses produits, tels que des tentes en vétiver (vacoas) et des paréos, entres autres, sont des produits qui attirent la poussière s’ils ne sont pas utilisés. « Si j’attends l’ouverture des frontières pour faire la vente, les clients ne voudront même pas de ces produits en cadeau ! », s’exclame-t-il. De ce fait, il a dû mettre ses produits en liquidation sur Facebook.

Les planteurs face à une baisse drastique dans la vente des légumes

Suraj est un planteur de légumes, qu’il livre dans les hôtels. Il nous raconte que depuis le confinement, avec la fermeture des hôtels, c’est très difficile pour lui de joindre les deux bouts. Il compte sur la réouverture des frontières pour pouvoir recommencer à zéro. Toutefois, il est toujours dans le flou si les contrats de livraison de légumes lui seront toujours alloués par les hôtels quand la situation retournera à la normale.

Pendant le confinement, il a dû faire face aux voleurs de légumes dans sa plantation. À plusieurs reprises, sa plantation qui se trouve dans les parages de Vieux Grand Port, a reçu la visite des voleurs. « Des fois, il ne restait rien dans ma plantation après leur passage », raconte-il, ulcéré par le souvenir de ces vols.

Découragé, l’homme a décidé d’arrêter de planter des légumes, et a dû se tourner vers le ‘Government Wage Assistance Scheme’ pour pouvoir nourrir sa famille.

Selon lui, la vente des légumes dans les marchés a diminué drastiquement. « Il ne reste rien dans les poches des Mauriciens en raison de la crise économique qui affecte Maurice », affirme-t-il.

Le Wakashio et son impact sur l’économie régionale

Comme expliqué par  de nombreux écologistes, ce n’est pas de sitôt que le fioul déversé dans la mer par le Wakashio sera dissipé. En outre, des effluves nauséabonds de mazout se font toujours sentir sur le rivage, ce que nous avons pu constater par nous-mêmes.

Bien qu’il opère sur la plage de Flic-en Flac, Yousa est bien informé de la situation des chauffeurs de taxi opérant sur le littoral du sud-est.

Mahébourg est un village touristique qui attire plusieurs touristes, et il y a de petits hôtels accrédités par le ministère du Tourisme. Selon lui, ces petits hôtels sont fermés à 100 %, ce qui signifie un coup dur pour les chauffeurs de taxis opérant auprès de ces hôtels.

Dans l’éventualité d’une réouverture des frontières, avec la crise du Wakashio dans le sud-est du pays, les touristes ne voudront pas loger dans les hôtels sur ce tronçon de la côte, et de ce fait, ces derniers ne rouvriront pas leurs portes de sitôt. Ce qui, par ricochet, aura un effet sur les chauffeurs de taxis opérant auprès de ces hôtels.

Selon Yousa, les restaurants que les touristes ont l’habitude de fréquenter ne sont pas en opération, et il craint que les touristes vont tout faire pour éviter la région de sud-est. « Est-ce que ces hôtels et restaurants ouvriront à nouveau leurs portes en octobre de cette année-ci ? Rien n’est moins sûr  », avance-t-il.

 

Neevedita Nundowah

Asraf Aullymun