L’employabilité  des autrement capables: Au bas de l’échelle des priorités

Depuis ces dix dernières années, il est indéniable que l’île Maurice a mis en place des mesures nécessaires pour les besoins des personnes autrement capables, du moins dans sa législation… Dans la réalité, c’est une autre question. On ne peut que constater que les handicapés sont toujours en grande partie délaissés par l’État et la société mauricienne dans son ensemble.

Rapport des Nations unies : Maurice a un retard énorme à rattraper

Le dernier rapport du Comité des Nations unies sur les droits des personnes en situation d’handicap (United Nations Committee on the Rights of Persons with Disabilities (CRPD), publié l’année dernière, souligne que Maurice a encore du chemin à faire. Le Comité déplore le manque d’encadrement, d’infrastructures, de lois adéquates pour le bien-être des personnes autrement capables dans la société mauricienne. La ségrégation des enfants handicapés dans notre système scolaire a aussi été décriée. Les principes de la Convention internationale sur droits des personnes en situation de handicap ne sont pas tout à fait respectés dans notre pays.  

Il y a un déphasage grave entre l’éducation, la formation et les possibilités d’emploi des handicapés à Maurice. Beaucoup de travail reste à faire pour préparer les personnes handicapées.

La formation professionnelle commence à l’âge de 15 ans d’après notre système éducatif mais force est de constater qu’à cet âge, de nombreux stagiaires handicapés ne possèdent pas les ‘basic literacy and numeracy skills’ leur permettant d’entreprendre une formation spécialisée.

Faute de moyens et d’infrastructures, il est toujours difficile d’intégrer les stagiaires handicapés dans des cours professionnels dans notre pays. La plupart des infrastructures des institutions de formation ne sont pas accessibles aux handicapés, par exemple des rampes pour chaises roulantes. En outre, le personnel de ces institutions n’est souvent pas formé pour venir en aide aux handicapés.

En outre, la formation fournie aux personnes handicapées est insuffisante et inadéquate et ne répond pas aux exigences du marché du travail.

Un autre obstacle majeur : l’attitude des recruteurs et des patrons mauriciens, qui sont toujours réticents vis-à-vis des autrement capables…

 

Les lois en faveur des handicapés : le Disability Bill mis au rencart ?

En 2016, la ministre de la Sécurité sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo, proposa un Disability Bill, qui élargissait de façon significative les possibilités offertes aux personnes handicapées dans l’éducation, l’emploi, les transports et dans d’autres secteurs clés.  Ce projet de loi visait à incorporer les provisions de la Convention des Nations unies sur les personnes autrement capables. Dans sa réponse à une PNQ de Paul Bérenger, alors leader de l’opposition, en date de juillet 2016, la ministre avait déclaré que le gouvernement considérait cette loi comme une priorité. Mais depuis, rien… La campagne Nu Kapav de la Global Rainbow Foundation circule actuellement une pétition en ligne (change.org) afin que le Disability Bill soit mis à la disposition des ONG qui soutiennent les droits des personnes handicapées et qu’il soit voté cette année même par l’Assemblée nationale. On est en droit de se demander si ce projet de loi a été mise au rencart ? En tout cas, cela donne l’impression que le gouvernement considère les droits des handicapés comme une low priority issue.

 

Yassine Edoo, personne autrement capable et activiste pour le droit des handicapés

Yassine Edoo, récipiendaire de The Queen’s Young Leaders Award, a reçu cette récompense en présence de la reine Elizabeth II au Buckingham Palace.Il nous décrit sa lutte pour obtenir l’égalité pour les handicapés, surtout dans le domaine professionnel. Il milite chaque jour pour que toutes les personnes ayant un handicap puissent trouver une place au sein dans la société. « Les personnes en situation de handicap sont plus ou moins capables d’accomplir les mêmes tâches que tout autre citoyen, certains sont mêmes plus doués que les personnes dites normales. », affirme-t-il.

L’activiste déplore la déficience de la Training and Employment of Disabled Persons Act (TEDPA) en faveur des handicapés. Certains employeurs préfèrent payer la contrainte mensuelle de Rs 4 000 pour chaque handicapé non-employé comme prévue par la TEDPA, au lieu d’employer ces personnes. L’employabilité des personnes autrement capables à travers le monde a augmenté durant les dernières années, mais Maurice a encore beaucoup de retard.

Il constate de plus en plus de développement pour les handicapés, mais qui n’est malheureusement pas toujours suivi en termes d’infrastructures.

 

Les recommandations de la NESC : à considérer d’urgence

En 2012, la National Economic and Social Council (NESC), organisme gouvernemental chargé d’assurer l’intégration sociale au développement économique, avait rédigé un rapport en vue d’encourager l’employabilité des autrement capables. Ce rapport, très intéressant de par ses propositions, a hélas été mis au tiroir. Ci-dessous, quelques-unes des principales recommandations :

  • Le maintien d’un système de quota, toutefois plus ‘réalisable’ que celui actuellement en vigueur, de 3 %.
  • Une évaluation objective des aptitudes d’un handicapé à accomplir des tâches spécifiques à son handicap.
  • La recherche prioritaire d’une solution sur l’effet de l’enregistrement à la Basic Invalid Allowance sur l’employabilité des handicapés.
  • Présentement, un handicapé bénéficiant de la BIA ne s’enregistre pas pour un emploi au TEDPB, de peur de perdre sa pension d’invalidité.
  • La mise sur pied d’une base de données nationale pour les handicapés.
  • Que les handicapés sévères comptent pour plus d’un handicapé dans le système de quota (le principe dite de double counting pour réunir le quota exigé). Par exemple, un handicapé aveugle en fauteuil roulant comptera pour deux.
  • La possibilité d’emploi des handicapés dans la fonction publique.
  • Le travail à domicile pour les autrement capables.
  • Une contribution monétaire au TEDPB, entre autres, comme alternative aux employeurs ne pouvant respecter le système de quota.
  • Que le TEDPB opère comme une One-Stop-Shop pour les autrement capables.

 

 

Jane Constance : le succès éblouissant d’une autrement capable

Faisant la fierté de l’île Maurice, il faut ici citer la jeune Jane Constance. Non-voyante, la talentueuse chanteuse a été championne de The Voice Kids l’année dernière. Celle qui avait bouleversé le plateau de cette émission en France est aujourd’hui une chanteuse dont la voix illumine la vie de ses fans.

 

Veda Baloomoody : « Aberrant que les employeurs ne respectent pas le quota de 3 % » 

Veda Baloomoody, responsable du dossier de l’emploi dans le shadow cabinet du MMM, nous donne son avis sur ce sujet. « C’est aberrant que la majorité des employeurs du secteur privé, de même que le secteur public, ne respecte pas le quota de 3 % des autrement capables », déplore ce membre du MMM.

D’emblée, Vela Baloomoody impute la faute au ministère du Travail car il existe une apathie pour mettre en œuvre ces règlements en faveurs des handicapés. « Le ministère du Travail aurait dû mettre sur pied une unité spéciale afin de veiller à ce que les employeurs respectent ces règlements », affirme-t-il.

En ce qu’il s’agit des infrastructures, il y a encore beaucoup de chemin à faire, selon lui. Veda Baloomoody déplore le fait que la majorité des entreprises n’a pas les infrastructures requises pour accueillir les travailleurs qui ont un handicap. Il prend pour exemple le bureau de la Sécurité sociale de Port-Louis qui se situe au troisième étage, et c’est très difficile pour quelqu’un qui souffre d’un handicap sévère d’y accéder.

 

Le Training and Employment of Disabled Persons Board : une instance fantôme

La Training and Employment of Disabled Persons Act de 1996 a mis sur pied le Training and Employment of Disabled Persons Board, qui a pour mission de promouvoir la formation des handicapés, de prévenir la discrimination envers ces derniers dans le secteur de l’embauche, ainsi que de sensibiliser les employeurs vis-à-vis des autrement capables. Cette loi impose aux entreprises employant plus de 35 personnes d’avoir un quota de 3 % réservé aux handicapés.

Ally Jukhoon, ancien président du Training and Employment for Disabled Persons Board, déplore le manque d’intérêt du gouvernement mauricien. « Tous les gouvernements sont pareils, le Board n’a jamais marché comme il le faut. Selon des informations recueillies, les contrats du Chairman et des membres ont expiré depuis 2014. Il n’y aurait aucun General-Manager comme le veut la loi. Notons que le Management Audit Bureau (MAB) a préconisé la fermeture du Training and Employment for Disabled Persons Board.

 

Anishal Madhub : faute de mains, il se sert de ses coudes

Anishal Madhub, un habitant de Centre-de-Flacq, est handicapé de naissance. Mais cela ne l’a pas pour autant découragé. Âgé de 27 ans, Anishal travaille à son propre compte. Ce dessinateur de plans 2D et 3D ne peut pas faire usage de ses mains mais se sert de ses coudes. Pour lui, c’est catégorique, il n’aurait pas pu travailler dans une entreprise. « Ils sont nombreux à vouloir travailler mais sont souvent contraints de rester immobiles. Une personne autrement capable nécessite des infrastructures adaptées à ses besoins, comme par exemple des chaises spéciales. Mais souvent, elle se retrouve laissée à elle-même », déclare-t-il. Par ailleurs, Anishal a d’autres projets, comme celui d’animer son émission de télé, par laquelle il compte partager ses connaissances et son savoir-faire du bricolage. Pour lui, il ne devrait y avoir aucune barrière pour un handicapé. Ce dernier doit tout faire pour avoir son indépendance.

Les autres pays par rapport à Maurice

Nous avons sélectionné trois pays parmi plusieurs autres pour comparer les prestations de ces pays vis-à-vis des handicapés. Premièrement, notre plus proche voisin, La Réunion, deuxièmement un pays riche et moderne comme la France, et troisièmement une métropole peuplée comme l’Inde.

  • La France

Notons cette mesure phare de la France : l’Allocation des adultes handicapés (AAH). L’AAH rémunère les entreprises et contribue ainsi à une meilleure insertion professionnelle des personnes handicapées. 3 % du personnel du secteur privé en France sont constitués de personnes autrement capables, tandis que la fonction publique fait mieux, avec approximativement 5 %. L’île Maurice est encore loin d’atteindre ces chiffres, selon les ONG que nous avons interrogées.

  • L’île de la Réunion

L’ESAT (Établissement et service d’aide par le Travail) accompagne les autrement capables, rémunère l’employeur et sert de tremplin pour l’insertion professionnelle de ces personnes. Notons cette initiative fort louable à l’île sœur : un établissement de maintenance emploie 47 personnes autrement capables pour faire le nettoyage dans les bureaux et les hôtels.

  • L’Inde

En Inde, seulement 0.37 % des employés dans le secteur publique sont des personnes handicapées. Néanmoins, ces dernières ne sont pas représentées par des syndicats et elles sont quelquefois maltraitées au travail.