Arvin Boolell : « Plus grande escroquerie politique du siècle »

Accession de Pravind Jugnauth au poste de PM

Le Dr Arvin Boolell est catégorique. L’accession prochaine de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre, comme annoncé par sir Anerood Jugnauth en début de semaine, est la « plus grande escroquerie politique du siècle », n’ayant pas bénéficié de la légitimité populaire pour ce faire. « Contrairement à l’alliance PTr-MMM qui avait clairement soutenu que Paul Bérenger deviendrait Premier ministre, l’Alliance Lepep, lui, n’a jamais mentionné durant sa campagne que Pravind Jugnauth accédera au Primeministership durant ce mandat », soutient-il. Le dirigeant travailliste revient également sur les ravages causés par l’épizootie de la fièvre aphteuse et de la salmonellose. Conséquences, dit-il, du « manque de rigueur, de discipline et de professionnalisme » des autorités. Le peuple, poursuit-il, en a marre de la politique dominère du gouvernement. D’où les diverses manifestations à travers le pays. Il est grand temps, dit-il, que le pays retourne aux urnes.

Zahirah RADHA

 

Q : Après les bœufs, c’est maintenant au tour des porcs d’être affectés par l’épizootie de la fièvre aphteuse. En tant qu’ancien ministre de l’Agro-industrie, êtes-vous satisfait que toutes les mesures ont été prises au niveau des autorités pour empêcher la propagation de cette épidémie ?

R : Non. Dès le premier jour, le dossier a été a mal géré. Ce n’est que bien plus tard qu’une cellule de crise a été instituée. Je dois souligner que le premier cas avait été détecté à Rodrigues en mai, mais il y avait une probabilité qu’il soit du type ‘low virulence’, donc pas très grave. Mais du moment que le cas a été officiellement détecté comme étant la fièvre aphteuse en juillet, n’importe quel vétérinaire ayant une notion de base aurait dû savoir qu’il fallait bloquer tout embarquement. Or, il y a quand même eu deux contingents qui ont quitté Rodrigues pour Maurice, le premier le 15 juillet et un second en août.

Du moment que la maladie a été déclarée, on aurait dû bannir toute exportation. Je ne comprends donc pas pourquoi on a mis la pression sur le service vétérinaire pour permettre l’exportation de ces animaux vers Maurice. Le fait que les cheptels mauriciens ont été affectés indique clairement que le bétail en était déjà atteint et qu’il se trouvait dans une phase avancée d’incubation. La fièvre aphteuse se propage extrêmement vite et on connaît les conséquences qu’elle a entraînées. En dépit du fait que des jeunes vétérinaires très compétents ont attiré l’attention de leur supérieur hiérarchique à ce sujet, des mesures n’ont pas été prises. Le manque de rigueur du chef des services vétérinaires est déplorable. Ce qui a entraîné des conséquences désastreuses.

 

Q : Les autorités locales ont-elles l’expertise et les ressources requises pour faire face à un problème de cette envergure ?

R : Malheureusement, le ministère prêche et pèche par son manque de rigueur. Malgré tous nos efforts, depuis 2005 sous le précédent gouvernement, pour rehausser le service des vétérinaires, avec le recrutement des spécialistes qualifiés et compétents et la mise en place des mesures sanitaires et phytosanitaires qui soient conformes aux normes internationales, le fonctionnement du service a dégénéré depuis quelque temps. Et aujourd’hui on subit les conséquences d’un manque de rigueur, de discipline et de professionnalisme.

 

Q : En permettant la vente de bétail, sans certificat de santé, provenant du cheptel affecté pour le Qurbani, les autorités n’ont-elles pas exposé une section de la population à des risques sanitaires ?

R : Il est malheureux qu’on soit arrivé à une situation qui a créé des étincelles parmi la population. Je comprends la réaction de certains, surtout à la veille du Qurbani. A cause de la gestion catastrophique de ce dossier par le ministère de l’Agro-industrie, la fête Eid-Ul-Adha n’a pu être célébrée comme il se doit. Tout le monde sait que pour le Qurbani, il faut que l’animal soit en bonne santé. Le ministère a donc pris un gros risque en n’émettant pas des certificats de santé. C’est extrêmement grave. Je tiens le ministre de l’Agro-industrie, mais aussi le gouvernement, responsables de cette situation et ils devront payer les conséquences de leur laxisme. On envoie, par la même occasion, un très mauvais signal à la communauté internationale car il ne faut pas oublier qu’on exporte le ‘livestock feed’, la ‘processed meat’ et le ‘one day old chick’, entre autres. Les pays de la région qui citaient Maurice comme exemple en matière de sécurité alimentaire sont aujourd’hui répugnés par l’incompétence du chef du service des vétérinaires. Un gouvernement qui se respecte aurait dû déjà partir.

 

Q : Après la fièvre aphteuse, c’est maintenant la salmonellose qui affecte les poulaillers. Y a-t-il un risque que cela entraîne d’autres problèmes au niveau social et économique ?

R : Encore une fois, cela démontre que le service vétérinaire laisse à désirer. On fait du ‘intensive farming’, mais on n’a pas le ‘good animal husbandry’ parce qu’il y a un manque de symbiose et de collaboration entre les secteurs public et privé. On sait que ce sont des poussins qui ont quitté l’‘Animal Production Division’ (APD) à Réduit qui ont été affectés. Grâce à l’incompétence des autorités, ce sont aujourd’hui les petits éleveurs qui doivent en faire les frais. Evidemment, tout cela a un coût. Le gouvernement risque de devoir payer des milliards de roupies en termes de compensations aux éleveurs et aux importateurs de bœufs, de porcs et de poulets.

 

Q : Il y a eu, ces derniers jours, une série de manifestations, à commencer par des élèves du SC/HSC, des plaisanciers et des fonctionnaires, contre le gouvernement. Comment expliquez-vous ce ras-le-bol de la population deux ans seulement après l’accession de l’Alliance Lepep au pouvoir ?

R : Tout se résume en un seul mot : la trahison. Aujourd’hui, il y a une anarchie dans le pays. Le peuple vit dans une confusion totale. Ce gouvernement s’est mis à dos toute la population en raison des mesures et des actions répressives à leur égard. Conséquences : il y a un ralentissement de l’économie, l’entreprenariat mauricien piétine et la classe moyenne s’appauvrit. Les débordements sociaux sont donc inévitables. Le pouvoir est concentré entre les mains de quelques personnes seulement alors que les autres, à l’instar des plaisanciers ou encore des entrepreneurs, souffrent. Cela me rappelle le Printemps arabe en Tunisie. On n’en est pas encore là, mais on vit dans une situation où la moindre étincelle sociale peut déclencher une tour infernale. La population en a marre de cette confusion et cette anarchie qui règnent dans le pays. Il est grand temps que le pays retrouve la stabilité et la sérénité.

 

Q : Sir Anerood Jugnauth a annoncé, en début de semaine, que son fils Pravind sera bientôt nommé Premier ministre. Cela ne représente-t-il pas une rupture de contrat entre le gouvernement et la population, quand on sait que celle-ci a voté pour que SAJ soit chef de gouvernement pour une période de cinq ans ?

R : C’est la plus grande escroquerie politique du siècle. Lorsque le PTr était en alliance avec le MMM aux dernières élections générales, on avait clairement expliqué le projet de deuxième république, tout en soutenant que Paul Bérenger deviendrait Premier ministre. Même si ce projet a été rejeté par la population, il faut reconnaître qu’on avait joué cartes sur table et que ce sont le franc-parler, l’honnêteté et l’intégrité politique qui avaient primé. Il y a deux semaines de cela, Showkutally Soodhun s’est permis de présenter un bilan de santé du Premier ministre tout en affirmant que celui-ci ira jusqu’au bout de son mandat. Mais que voit-on maintenant ?

Ce qui est plus inquiétant encore c’est que, contrairement à l’alliance PTr-MMM, l’Alliance Lepep n’a jamais mentionné durant sa campagne que Pravind Jugnauth deviendra Premier ministre durant ce mandat. Dans les coulisses, on soutient qu’Ivan Collendavelloo et Xavier Duval n’auraient jamais dû accepter une telle décision.  Même au sein du MSM, il y a des frondes à ce sujet. Tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime. En Grande-Bretagne, il y a eu un soutien populaire en faveur du Brexit. C’est cette légitimité populaire qui a poussé David Cameron à la démission. Or, il n’y a pas cette légitimité populaire à Maurice.

 

Q : On assiste ces jours-ci à un match entre Roshi Bhadain et Gérard Sanspeur qui a failli déboucher sur une arrestation de ce dernier. Ces tiraillements internes au gouvernement ne lancent-ils pas un mauvais signal à la population ?

R : La police a perdu son sens de responsabilité. On a vu des ministres aux Casernes centrales, tout comme il y a eu des ministres qui ont rencontré des policiers jusqu’à fort tard à leurs bureaux. Il y a une dérive totalitaire et des arrestations arbitraires, à commencer par celle du Dr Navin Ramgoolam. Les ‘provisional charges’ sont utilisées de façon abusive. On a un Commissaire de police qui ne sait malheureusement pas ce que c’est que le pouvoir constitutionnel. Un Premier ministre ne peut pas donner des instructions au Commissaire de police et ce dernier ne peut prétendre ne pas savoir si des ‘warrants’ ont été émis ou pas. Le Commissaire de police a démontré qu’il a renié à ses responsabilités. Personne n’a oublié les actions répressives prises par la police dans les cas du DPP, d’Ish Sookun, de Hassenjee Ruhomally et du fonctionnaire Hurrydeo Bholah, entre autres.

Quant au projet Heritage City, il ne faut pas oublier que le rapport préparé par Gérard Sanspeur, et qui n’avait supposément pas eu l’aval du ‘Financial Secretary’ (FS), avait été soumis au Conseil des ministres. SAJ a donné une claque sonore à ses ministres en disant qu’ils étaient tous d’accord quand le projet avait été présenté. Mais n’était-ce pas SAJ lui-même qui présidait le conseil quand ce document a été rejeté par ses ministres ?  Le père Jugnauth a rejeté le rapport préparé par le conseiller de Pravind Jugnauth. Et il ne faut pas oublier que le ‘memorandum’ avait été préparé et soumis au Cabinet par le ministre des Finances lui-même. On ne peut donc pas tenir Gérard Sanspeur responsable pour avoir fait capoter le projet. Ce n’est pas parce qu’on pense avoir la bénédiction du Premier ministre qu’on peut faire comme bon lui semble. Il ne faut pas oublier que Pravind Jugnauth avait donné le feu vert à son conseiller pour rédiger ce rapport. En contestant ce rapport, Roshi Bhadain, qui a bénéficié du soutien de SAJ, n’attaque-t-il pas frontalement Pravind Jugnauth ?

 

  • Le gouvernement risque de devoir payer des millions de roupies en termes de compensations aux éleveurs et imporateurs de bœufs, de porcs et de poulets.

Q : Le PTr tiendra, ce matin, un congrès à Triolet en hommage à SSR. Etes-vous confiant que l’électorat du no 5 y accueillera Navin Ramgoolam à bras ouverts, surtout après sa débâcle dans cette circonscription aux dernières élections générales ?

R : On a noté un retour en masse des électeurs vers le PTr. C’est la conséquence directe de la politique dominère du gouvernement, de l’appauvrissement de la population, du non-respect des institutions et de la balkanisation de notre société. Il y a eu des manquements à notre niveau dans le passé mais le PTr en a tiré des leçons pour se réinventer, mais aussi pour faire un retour aux sources des valeurs travaillistes. La population réalise aujourd’hui qu’il y avait, sous le règne du PTr, une vision et une stabilité sociale et économique. D’où le retour de nos partisans vers le parti et vers le Dr Navin Ramgoolam.

Il y a un sentiment généralisé de ras-le-bol dans le pays. C’est pour cela que le PTr, tout comme la population d’ailleurs, réclame la tenue des élections générales anticipées. Le plus tôt que le pays va aux urnes, le mieux ce sera pour le pays. Il est aussi souhaitable que chaque parti aille séparément aux élections.