Agression sexuelle sur mineures : « Il est temps pour les autorités d’agir »

Le lundi 29 juin, le pays a appris avec consternation et dégoût  le viol d’une fillette de 3 ans à Cité Anoska. Dans ce dossier, nous abordons comment les autorités ont failli à leur devoir. En tout cas, il est temps d’agir car le nombre de viols et d’agressions sexuelles ne cessent d’augmenter dans notre petite île paradisiaque.

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Quelques jours après que toute l’ile Maurice ait pris connaissance du viol de la fillette de trois ans, on devait apprendre que sa demi-sœur, âgée de 9 ans, aurait été elle aussi victime d’abus sexuels, de la part du même prédateur, un dénommé Jean-Marc Perrine, âgé de 47 ans.

Or, ces enfants avaient été prises en charge par la Child Development Unit (CDU), avant d’être renvoyées chez elles. Les personnes que nous avons interrogées pour ce dossier nous indiquent que ce serait une décision irresponsable de la CDU, qui a renvoyé ces enfants chez elles, alors qu’on savait que la mère est une alcoolique qui les brutalisait.

En outre, il n’y a  pas eu de ‘monitoring’ par la CDU dans ce cas, ce qui a sans doute permis au prédateur sexuel, qui vivait sous le même toit que les fillettes, d’assouvir ses basses pulsions.

On pourra aussi constater que l’approche traditionnelle des autorités est largement dépassée, et qu’au lieu d’attendre qu’il y ait des plaintes pour réagir, il faudrait procéder à la collecte systématique des données.

Qui plus est, divers ministres responsables de la protection de la famille et des enfants ne font que renvoyer aux calendes grecques le Children’s Bill, alors qu’il y a urgence. Idem pour l’éducation sexuelle, ou personne à Maurice ne semble être d’accord sur ce qu’il faut enseigner exactement, et quand, alors que cette pédagogie aurait pu permettre à une société plus saine d’évoluer à Maurice.

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Agressions sexuelles : une recrudescence depuis 2017

De 2015 à 2017, les cas d’agressions sexuelles sur les enfants de moins de seize ans avaient sensiblement diminué mais ont ensuite repris une courbe ascendante, selon le tableau ci-dessous.

Tableau 1 – Pourcentage des crimes sexuels commis sur les moins de 16 ans

 

Année

 

2015

 

2016

 

2017

 

2018

 

2019

 

Crimes sexuels commis sur les moins de 16 ans

 

63 %

 

56 %

 

57 %

 

66.9 %

 

67 %

 

Source : Statistics Mauritius.

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Cité Anoska : un crime similaire cinq ans de cela

eleana_1Le 6 avril 2015, la petite Eléana Gentil, 11 ans, une habitante de Cité Anoska, avait été portée disparue. Elle avait été vue la dernière fois dans une fête familiale. Les policiers et les proches l’ont cherchée pendant des jours, et ce n’est que le 15 avril que le corps de la petite a été retrouvé dans un bois à 16e Mille. Elle avait été victime de sévices sexuels avant d’être sauvagement assassinée, apparemment par un choc violent à la tête par une grosse pierre. L’affaire avait provoqué un émoi dans le pays.

L’enquête préliminaire a débuté l’année dernière  devant la cour de district de Curepipe. Un dénommé James Ramaswamy, 26 ans, répond d’une accusation de meurtre. L’ADN du prévenu aurait été retrouvé sur les sous-vêtements de la fillette. Pas moins de 68 témoins ont été convoqués dans cette affaire.

Sheila Bappoo : « Les parents et la CDU ont failli dans leur devoir »

Sheila BappooL’ancienne ministre de l’Égalité des genres et de la Protection de la famille, Sheila Bappoo, est indignée par cet énième cas d’abus sexuel. « C’est un cas très choquant, impliquant deux sœurs dans une seule famille », nous dit-elle. Selon Sheila Bappoo, « Les parents et les autorités concernées ont failli dans leur devoir ».

Elle tire à boulets rouges sur la Child Development Unit (CDU). Elle estime que « C’est le devoir et la responsabilité de la CDU de sécuriser les enfants qui pourraient être victimes des prédateurs sexuels au sein même de leur famille ». Pour elle,  la CDU savait que la mère est alcoolique, et n’aurait jamais dû laisser les enfants regagner leur domicile. Sheila Bappoo estime que la CDU aurait dû prendre les enfants avec un ordre de la cour et les placer dans un ‘shelter’, où elles auraient été en sécurité.

L’ancienne ministre insiste sur l’importance du ‘monitoring’, une fois que les enfants sont renvoyées chez leurs parents depuis le ‘shelter’. Le ‘monitoring’ permet de prévenir les cas de comme celui-ci, et doit être effectué à chaque fois que des enfants retournent chez leurs parents du ‘shelter’. Sheila Bappoo dénonce le fait qu’il y a de graves lacunes dans la façon dont le ‘monitoring’ est effectué par la CDU. « Si dans ce cas précis, la CDU avait effectué un ‘close monitoring’ régulier, on n’en serait pas là », dit-elle. « Il incombe à la CDU de redoubler d’efforts », dit-elle.

En ce qui concerne l’actuelle ministre de l’Égalité des genres et de la Protection de la famille, Kalpana Devi Koonjoo Shah, Sheila Bappoo est d’avis que la ministre a raison d’être émotionnelle, mais il faudrait qu’elle commence à réfléchir sur la stratégie et la politique à adopter dans ce genre de cas. La ministre est non seulement la mère de son enfant mais elle est aussi « la mère de tous les enfants de Maurice. » Elle conclut : « Que le gouvernement, la ministre et les autorités concernées se montrent doublement vigilants. »

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L’Ombudsperson for Children : « Les autorités et les ONG ne travaillent pas ensemble »

rita_venkatasamyL’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasamy est aussi bouleversée par ce cas : « Chaque enfant qui est abusé sexuellement est un cas de trop. »

Pour elle, le problème à Maurice est que les autorités concernées et les ONG ne travaillent pas ensemble pour combattre les abus sexuels. « Il est impératif qu’il y a le dialogue et le ‘networking’ pour combattre l’abus sexuel dans le pays », dit-elle.

Rita Venkatasamy plaide pour que tous ceux concernés se resserrent les coudes et travaillent ensemble. « Que tous les acteurs concernés, y compris les ONG, travaillent en étroite collaboration », explique-t-elle.

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Le Children’s Bill aux calendes grecques : Stéphanie Anquetil sort de ses gonds

anquetilLa députée Stéphanie Anquetil (PTr) est ulcérée par ce cas, surtout après que la fillette de 3 ans a dû subir une opération. Mais une fois la tristesse passée, elle ne cache pas sa colère envers la ministre Kalpana Devi Koojoo Shah, sans oublier les ministres précédentes qui ont occupe ce portefeuille, car le Children’s Bill, annoncé en grand fanfare par l’actuelle ministre en janvier dernier, n’a pas encore été présenté au Parlement.

La même chose s’applique pour Roubina Jadoo-Jaunbocus quand elle était ministre de l’Egalité des genres et de la Protection de la famille, sans oublier Fazila Daureeawoo, qui avaient toutes les deux mis le Children’s Bill en exergue. « Malgré toutes ces annonces, on a rien vu. C’est inacceptable ! », fustige la députée de la circonscription no 16.

Pour Stéphanie Anquetil, « Il y a une urgence et on ne comprend toujours pas pourquoi ce projet de loi n’a pas encore été promulgué. On n’a pas le droit de rester les bras croisés. J’en ai marre d’entendre que ‘nou pou vini, nou pou fer sa ek sa.’ On fait plusieurs discours, mais après deux semaines, c’est ‘back to square one’. En tas blabla ek zero action ! »

Elle revient sur les propos de l’actuelle ministre sur une radio privée, qui avait dit qu’après ce cas, elle se sentait encore plus motivée à faire passer ce projet de loi. La députée ne mâche pas ses mots : « Que les choses soient claires. La ministre aurait dû avoir fait cela depuis assez longtemps. Elle avait donné l’impression qu’elle allait apporter du changement mais c’est une grande déception. »

Selon la députée rouge, tout le monde attend le Children’s Bill avec impatience, qui aurait apporté un encadrement et un soutien à tous ces enfants qui sont victimes d’abus de tous genres.

Hors-texte

Stéphanie Anquetil a rendu visite ce jeudi 2 juillet à la petite fille de trois ans à l’hôpital de Rose-Belle. La députée nous explique que son état de santé s’est stabilisé.

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Monique Dinan : « L’éducation sexuelle pour une société plus saine »

Monique Dinan 1Selon Monique Dinan, promotrice du Mouvement d’aide à la maternité (MAM), l’éducation sexuelle est essentielle pour une société plus saine. Elle affirme que l’éducation sexuelle doit commencer dans la famille, et doit être enseignée dans les écoles dès le début du cycle secondaire. « Souvent, les parents ne parlent pas de la sexualité à leurs enfants, et des fois, les parents ne savent pas comment aborder le sujet », explique-t-elle.

Monique Dinan estime que «  les classes pour l’éducation sexuelle doivent se faire de façon préparée et de façon positive, pour montrer la beauté de la sexualité. Il faut savoir comment l’enseigner afin de montrer comment se définit le corps d’un garçon et d’une fille. Il faut aussi montrer aux jeunes comment la sexualité a un impact sur les émotions, et montrer aux jeunes comment contrôler leurs pulsions. »

Pourquoi l’éducation sexuelle doit-elle commencer au début du secondaire ? « C’est le moment propice car à cette étape, le corps d’une fille ou d’un garçon commence  à changer. Une fille commence à avoir ses règles, et il faut donc donner des informations aux jeunes filles pour qu’elles n’aient pas peur, et qu’elles comprennent le fonctionnement de leur corps. Tandis que les garçons, une fois au collège, vont avoir des pulsions, et ce ne serait pas bon s’ils ne savent pas les contrôler. »

Raise Brave Girls : « Il est maintenant temps d’agir, et non de réagir »

Prisheela Mottee La présidente de Raise Brave Girls, Prisheela Mottee n’est pas restée insensible sur le viol de cette petite fille de 3 ans, sans oublier sa sœur de 9 ans.

Selon elle, pour commencer, le guichet du ministère de l’Égalité des genres doit être opérationnel sur une base 24/7.

Pour la 3e année consécutive, l’ONG propose de mettre en œuvre un système sophistiqué, permettant de recueillir des informations de haut niveau et de relier tous les ministères concernés. Ce système aidera à recueillir un maximum de données sur un enfant à travers un dossier scolaire et un dossier de santé, qui aidera à détecter tous les problèmes émergents.

 « Nous ne pouvons nous permettre de perdre nos enfants en suivant l’approche traditionnelle. Réorganisons tout le système. Nous proposons un service national pour les enfants, un encadrement de la CDU, qui va collecter des informations en temps réel, en détectant les zones et les enfants à risque. Il faut cesser d’attendre que des plaintes arrivent pour lancer des enquêtes », déclare-t-elle. « Il est maintenant temps d’agir, et non de réagir », nous dit Prisheela Mottee.

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Neevedita Nundowah

Sarah Khodadin