Adrien Duval député du PMSD : « Pourquoi les commentaires de la Commission électorale n’ont-ils pas été rendus publics ? »

  • «  C’est difficile d’évaluer la tendance du trafic de drogue uniquement en se basant sur les saisies »

 Adrien Duval dit beaucoup regretter que le projet de loi sur le financement des partis politiques n’ait pu être voté. Cela en raison de l’entêtement du gouvernement à refuser le dialogue. Ce qui relève, selon le jeune député du PMSD, d’un mépris pour l’Opposition, mais aussi d’un manque réel de volonté de la part du gouvernement pour que ce projet de loi passe.

 

Zahirah RADHA

 

 Q : Vous avez été attaqué et par le père et par le fils Jugnauth au Parlement cette semaine. Cela vous a-t-il surpris ?

Je ne m’attendais pas à ce que ma question provoquerait un vif accrochage. Au contraire, il est tout à fait légitime que l’opposition soulève des cas très graves, surtout quand il s’agit d’un permis qui a été octroyé à un étranger pour résider et investir à Maurice alors qu’il a été condamné en Afrique du Sud pour trafic de drogue, d’autant plus qu’il est aussi impliqué dans des cas de meurtres. C’était mon rôle, en tant que parlementaire responsable, d’y attirer l’attention du Premier ministre. Je ne m’attendais pas du tout qu’il me réponde de la sorte. N’importe quel autre Premier ministre responsable aurait pris bonne note de la question et aurait promis d’y remédier. En ce qui concerne SAJ, il est resté fidèle à lui-même. Je laisse le soin à la population de juger son comportement. Moi, je considère que j’ai fait mon travail correctement, sans avoir incité la bagarre ou quoi que ce soit.

 

Q : Le Premier ministre vous a lancé un défi…

(Haussant les épaules) Il l’a dit pour dévier l’attention de la question. Cet individu (ndlr : Glenn Agliotti) a été condamné pour trafic de drogue. On veut d’une part combattre la mafia de la drogue et de l’autre, on donne accès à ce genre de personnes en leur octroyant un « occupation permit ». J’espère que le Premier ministre traitera le dossier comme il se doit et qu’il prendra les mesures qui s’imposent.

 

Q : En parlant de combat contre la drogue, les saisies record de ces derniers temps sont-elles une indication qu’on est sur la bonne voie ?

C’est très difficile d’évaluer la tendance du trafic de drogue uniquement en se basant sur les saisies. Il peut y avoir plus de saisies, mais davantage d’importation en même temps. Ce qui ne change rien. Par contre, depuis 2015, les crimes liés à la drogue, dont les vols avec effraction et violence, ont doublé. Idem pour les cas d’overdose. Ce sont là des indicateurs plus révélateurs qui nous poussent à conclure que les problèmes liés à la drogue s’empirent.

On a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Le gouvernement doit revoir sa position sur le cannabis puisqu’il n’y a autrement aucun espoir d’éradiquer ce fléau. Maurice n’est pas le seul pays qui fait face aux problèmes de la drogue mais il est définitivement l’un des seuls qui persiste à enfoncer sa tête dans le sable tout en refusant de voir les résultats obtenus ailleurs. Il est clair que le gouvernement ne le dépénalisera pas.

La dépénalisation du cannabis doit être la priorité du prochain gouvernement. Le cannabis médical, par exemple, peut non seulement atténuer la souffrance des milliers de personnes mais aussi de guérir bon nombre d’entre elles. Le combat contre la drogue doit être revu de fond en comble. Il faut cesser de pénaliser les petits consommateurs et de focaliser davantage sur les dealers et les drogues dures.

Q : Faute du soutien de l’opposition, le « Political Financing Bill » n’a pas pu être voté. Des regrets ?

Oui. Beaucoup de regrets puisqu’on y tenait énormément. On regrette surtout la position intransigeante adoptée par le gouvernement. Il est venu de l’avant avec un projet de loi qu’il ne voulait lui-même pas voter. Il a ainsi utilisé le même mode opératoire que celui sur la réforme électorale pour que cette loi ne passe pas. Que faites-vous quand vous apportez un amendement constitutionnel et que vous n’avez pas la majorité de trois-quarts requise pour qu’il soit voté ? La moindre des choses c’est que vous privilégiez le dialogue afin de trouver un consensus général.

Mais comme dans le cas de la réforme électorale, le gouvernement a imposé une loi différente de ce qu’il avait lui-même présenté en novembre dernier. Il a présenté un « white paper » tout en sachant qu’il n’aurait pas le consensus de l’opposition, en l’absence de discussions approfondies. Qui est le grand gagnant ? Le gouvernement !

Q : Pourquoi donc ?

S’il voulait vraiment que cette loi passe, il aurait entamé le dialogue, comme dans n’importe quelle démocratie. Le Premier ministre aurait pu instituer un « select committee », comme proposé par le leader de l’Opposition, dès le premier jour. Mais il ne l’a pas fait, prétextant qu’il fallait terminer les débats le même jour. Finalement, ceux-ci ont duré pendant une semaine, mais sans résultat. C’est dommage car on aurait pu trouver un consensus pour concrétiser la loi sur le financement des partis.

Q : Le gouvernement était pourtant confiant de pouvoir faire voter cette loi même si l’amendement constitutionnel ne passe pas…

Mauvaise communication, mauvaise préparation… En tout cas, Etienne Sinatambou croyait dur comme fer que tel serait le cas. Il pensait que le « Political Financing Bill » pourrait être voté et promulgué. Il en est de même pour les autres membres du gouvernement. Ce qui explique leur étonnement quand cette loi n’a pas été votée. Mais c’est clair que cela ne pouvait pas être le cas. D’où la position de la Speaker.

Le projet de loi tel qu’il était présenté au Parlement était inacceptable pour trois raisons. D’abord parce que les nouveaux pouvoirs accordés à l’Electoral Supervisory Commission (ESC) étaient inacceptables. Celle-ci est certes indépendante. Cependant, il y a eu, tout dernièrement, des nominations politiques à sa tête. Ce qui met en doute l’indépendance de cette institution. À quel point peut-on faire confiance à l’ESC quand des proches de certains partis politiques siègent au sein de son board ? Je suis content que les autres partis de l’Opposition nous aient rejoints dessus.

Deuxièmement, le projet de loi comportait beaucoup de lacunes et de portes de sortie. Au niveau des membership fees, par exemple, aucune limite n’est imposée quand on reçoit des dons financiers de vos membres. Pire, on n’a même pas à les déclarer. C’est un moyen de contourner les donations, tout en les gardant anonymes. Il y avait également des lacunes au niveau des bénéfices en espèces. Quand aux restes, on aurait pu trouver une façon de les accommoder. Mais le gouvernement a catégoriquement refusé tout dialogue.

Q : Finalement, on ira aux prochaines élections sans réforme électorale et sans un règlement du financement des partis politiques. L’opposition n’est-elle pas aussi à blâmer, puisque le MSM a quand même présenté un projet de loi ?

Bonne question ! On prête au gouvernement de bonnes intentions parce qu’il a apporté ce projet de loi. Mais si celui-ci est inacceptable, persistera-t-on à croire en ses bonnes intentions ?

Il est vrai qu’on parle de réforme électorale depuis des années, y compris la représentation des femmes au Parlement, le « best loser system », la proportionnelle et le financement des partis politiques. Mais ce sont des projets de loi extrêmement importants qui exigent un changement de la Constitution et du système. Et cela ne peut se faire sans l’apport des autres partis. Il est trop facile de blâmer l’Opposition parce que cette loi n’est pas passée alors qu’elle n’a pas été consultée.

C’est inacceptable, par ailleurs, que le gouvernement vienne de l’avant avec des projets de loi sur la réforme électorale et sur le financement des partis politiques mais qu’il ne rende pas publics les commentaires de la Commission électorale. Pourquoi les cacher ? Parce que le but, c’est uniquement de faire semblant d’apporter un projet de loi alors que la volonté n’y est pas vraiment.

Le prochain gouvernement devra impérativement apporter une réforme électorale, mais elle doit se faire dans le dialogue. Les grandes lignes de cette réforme peuvent être présentées dans le manifeste électoral ou sinon, le dialogue peut être entamé à travers la tenue d’une assise où toutes les parties concernées ont leur mot à dire.

 

Q : Vous avez été Deputy Speaker. Pensez-vous que l’Assemblée nationale, au lieu d’être le temple de la démocratie, est devenu un lieu où on règle ses comptes personnels et politiques, au vu des dernières séances ?

Il y a certainement un nivellement vers le bas, fut-il concernant des règlements de compte, d’attaques personnelles, ou de la politique de « zette la boue ». On le voit d’ailleurs dans la majorité des discours des parlementaires du gouvernement. Ce qui n’honore pas le Parlement. L’immunité parlementaire est un bouclier qui nous protège contre des actions en cour. C’est un privilège qu’on nous accorde pour qu’on puisse faire notre travail sans faveur ni frayeur. Mais on ne peut pas en abuser pour maltraiter, dénigrer ou tenir des propos diffamatoires contre ses opposants. Mais il incombe aux parlementaires de ne pas en abuser. Il revient également à la présidence de l’Assemblée nationale de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus.

Selon les « standing orders », on ne peut pas critiquer cette dernière, sauf s’il y a une motion de blâme contre la Speaker. C’est malheureux que la motion de blâme qui avait été logée contre elle, et pour laquelle je m’étais déjà préparé, n’ait pas eu de suite. Ç’aurait été une bonne occasion pour qu’on puisse dénoncer les abus. J’espère que Shakeel Mohamed reviendra avec sa motion.

Q : Pourquoi le PMSD ne prend-il pas les devants pour déposer une motion de blâme contre la Speaker ?

Une motion de blâme doit être motivée par une raison valable. Shakeel Mohamed avait cette raison valable, mais il n’en est pas allé de l’avant. On a raté une occasion en or de le faire. Toutefois, on n’écarte pas la possibilité de le faire au cas où le besoin se fait sentir. J’espère néanmoins qu’on n’ait pas à le faire !

Q : Il paraît que le PMSD a déjà finalisé une alliance avec le PTr avec, à la clé, douze tickets comparés aux 20 qu’il recherchait. Doit-on y prêter foi ?

Qui vous l’a dit ? Navin Ramgoolam ? Xavier Duval ? Il y a beaucoup de rumeurs. Je le redis, le PMSD n’est pas dans une optique de négocier une quelconque alliance. La séance parlementaire durera possiblement jusqu’à août. On se concentre sur nos PNQs, nos PQs et nos débats pendant le peu de temps qu’il reste avant que l’Assemblée nationale ne soit dissoute en décembre. Négocier une alliance ne figure pas parmi nos priorités pour l’instant. En temps et lieu, on le fera certainement puisque, depuis l’indépendance, aucun parti politique n’a pu se présenter seul pour les élections. On ne dit rien de nouveau, mais plutôt avec moins d’hypocrisie. Il doit obligatoirement y avoir une alliance. Si quelqu’un vous dit le contraire, c’est qu’il embête la galerie.