51e anniversaire de notre Indépendance « Un développement certain mais le manque de repères se fait sentir »

Dans le cadre du 51e anniversaire de notre Indépendance, nous faisons le point sur plusieurs volets, dont la politique, l’économie, les infrastructures et le social avec le politologue Jocelyn Chan Low. Ce dernier se livre à une analyse lucide et succincte sur ces sujets. Il jette une lumière crue sur ce qui a décollé à Maurice et sur ce qui va moins bien.

 

Politique

« L’électorat se sent perdu face au jeu des alliances »

Dans les années 1948 à 1968, Maurice passait par un processus de démocratisation et de décolonisation. Dans ce contexte, il y avait un certain antagonisme entre les différentes ethnies, ponctué par des  discours à relent ethnique. Ainsi, naissait la perception que tel ou tel parti représentait telle ou telle communauté. Ce qui, petit à petit, a mené au jeu des alliances politiques.

« Avec la naissance du MMM vers la fin des années soixante, il y avait un certain espoir que le MMM n’allait pas entrer dans ce jeu. Hélas, force est de constater que dès les années 1970, en 1976 pour être plus précis, le MMM est lui aussi entré de plain pied dans le système des alliances. Ainsi, en 1982, le MMM avait contracté une alliance avec le PSM d’Harish Boodhoo. De 1983 à monter, c’est toujours en alliance que SAJ devait remporter les élections. Le MMM promettait à chaque fois qu’il allait seul aux élections, pour finalement faire alliance avec des petits partis », analyse le politologue.

La conclusion qui s’impose : le jeu politique à Maurice tourne autour des alliances. Maurice a connu plusieurs alliances et ré-alliances : MSM-Ptr-PMSD, MSM-MMM, Ptr-PMSD etc. Est-ce une bonne chose pour Maurice ? « On peut dire que les alliances politiques stabilisent le système, car ce système promeut la politique de consensus. »

Toutefois, il y a  aujourd’hui un grave problème avec cela. Dans les années 1970, il y avait une grande division idéologique entre les partis. Par exemple, le PTr prônait un socialisme modéré, le MMM un socialisme plus radical tandis que le PMSD était politiquement plus à droite. Toutefois, aujourd’hui, nous assistons à la fin des idéologies. Tous les partis bougent vers le centre, vers la social-démocratie. Il y a aussi un consensus sur le modèle économique que nous voulons adopter.  Ainsi, tous les politiciens s’accordent à dire qu’il est nécessaire de préserver le ‘welfare state’.

« Donc, il faut se poser la question : où se situent les alliances aujourd’hui ? L’électorat se sent perdu dans ce jeu.  Les alliances gagnent les élections, mais après les cassures ne se comptent plus, et le transfugisme est toujours d’actualité. L’électorat est devenu blasé de nos jours », dit Jocelyn Chan Low.

Or, le système politique actuel repose sur le jeu des alliances. « Ce jeu est bloqué de nos jours. Car le jeu des alliances dépend sur le fait que l’échiquier politique est fluide,  où toutes les combinaisons sont possibles.  Aujourd’hui, toutes les combinaisons ne sont plus possibles. Par exemple, avec l’affaire MedPoint et les démêlés de Navin Ramgoolam avec la justice, il est difficile de concevoir que le MSM puisse contracter une alliance avec le Ptr. Il est aussi difficile de concevoir que le MMM puisse contracter une alliance avec le Ptr. Le résultat : le jeu des alliances est bloqué », analyse Jocelyn Chan Low.

Les grands partis politiques ont tous un ‘hard core’ d’électeurs qui voteront toujours pour eux. Toutefois, on constate que ce ‘hard core’ est en train de s’amoindrir. La catégorie des électeurs indécis et ceux qui flottent vers un parti ou un autre atteignent aujourd’hui 60 % de l’électorat. Aujourd’hui, la grande majorité des Mauriciens se rangent dans cette catégorie des indécis. Beaucoup ne croient plus dans la classe politique. Or, pour qu’une démocratie puisse fonctionner, il faut que les citoyens croient encore dans la politique. Ils doivent participer au processus électoral par leur vote. On constate que le niveau d’abstention augmente d’année en année, signe que les jeunes sont dégoûtés de la chose politique.  Il y a une « inadéquation  entre l’offre politique et la demande ».

« Tout ceci a occasionné une perte de crédibilité de la classe politique.  Plusieurs promesses faites en période électorale ne sont pas tenues. Les gens imputent à la politique un manque de moralité. Il y a actuellement un grand dégout de l’électorat », commente Jocelyn Chan Low.

Économie

« Nous sommes en sursis »

Beaucoup de personnes utilisent les termes ‘miracle économique’ quand on parle du développement économique de Maurice, de 1968 à nos jours. « Dans un sens, ces termes sont appropriés », selon Jocelyn Chan Low. « Avant l’Indépendance, 90 % de notre économie était basé sur le sucre. Beaucoup de jeunes n’avaient pas de travail. Le chômage et la pauvreté était prévalents. Le pessimisme régnait en maître. Beaucoup de cerveaux quittaient le pays. La situation économique était catastrophique. Même des lauréats du Prix Nobel  avait affirmé que ‘Mauritius is bound to fail’.

Or, depuis, il y a eu plusieurs changements. Pourquoi cette réussite ?

Selon le politologue, à l’époque, les grandes puissances occidentales, à l’instar de la France, avaient peur que Maurice ne se tournât vers l’Union soviétique.  Le président De Gaulle voyait l’émergence du parti communiste réunionnais d’un mauvais œil et craignait une « contagion ».  De ce fait, Maurice avait bénéficié des accès préférentiels vers les marchés européens, contenus dans l’accord de Yaoundé  et le Protocole sucre. De 10 à 12 % de notre produit intérieur brut (PIB) était garanti à cause de ces accords-là.

« La conclusion est que Maurice avait réussi parce que le pays était un marché protégé (sucre, textile etc.) », dit Jocelyn Chan Low. « Nous avons réussi grâce à un système protectionniste. » En outre, cela avait permis de financer l’État providence car SSR avait pu imposer une taxe de 15 % sur le sucre. Ce qui, à son tour, a créé une stabilité sociale. D’autres mécanismes, comme les triparties syndicats-gouvernement-patronat ont permis de renforcer cette stabilité.

Or, avec la mondialisation, le système protectionniste est parti pour de bon. Les secteurs traditionnels, comme le sucre et le textile ne veulent plus dire grand-chose et sont menacés. « Toutefois, Maurice a pu rebondir et faire une percée vers d’autres secteurs  (tels que l’économie de services, le secteur offshore etc.) », analyse Jocelyn Chan Low. « Mais quand nous jetons un regard sur la situation internationale, et quand nous constatons que notre croissance est à la baisse, il faut se dire que nous sommes en sursis. » 

Des évènements comme le Brexit auront un impact sur plusieurs pays, y compris Maurice. « Valeur du jour, nous sommes dans l’expectative. Certains économistes avancent une croissance de 3 ou 4 % annuellement, mais cela va dépendre de plusieurs facteurs. Nous restons extrêmement vulnérables à un choc extérieur. Il faut aussi savoir que nous sommes surendettés. Nous sommes entrés dans une zone de confort, mais nous oublions que nous sommes vulnérables », commente Jocelyn Chan Low.

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Infrastructure

« Le temps dira si le Metro Express est vraiment viable »

Jocelyn Chan Low explique que les divers gouvernements du pays ont investi dans l’infrastructure. « Le problème à Maurice réside dans la manière de faire. Par exemple, prenez la route Verdun-Terre Rouge et la cacophonie qui a suivi. Ou encore le Metro Express. Il subsiste une grande interrogation sur la viabilité de ce projet. Par exemple, va-t-il pouvoir résoudre le problème de la congestion ?  Nous nous sommes endettés grandement à cause de ce projet. Seul le temps dira si ce projet sera viable ou pas. » 

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Social

« Il y bien une crise sociale à Maurice »

Jocelyn Chan Low dénonce d’emblée la nature inégalitaire de la société mauricienne et cela plus de cinquante ans après l’Indépendance. « Quand nous analysons la société mauricienne et son évolution, nous ne pouvons que constater que Maurice est un pays extrêmement inégalitaire.  Historiquement, le pays est né de la violence, à partir de la traite négrière et l’engagisme, dont quelque part les séquelles subsistent encore aujourd’hui. » Selon lui, une « petite poignée de gens » ont toujours une mainmise sur notre économie.

Jocelyn Chan Low se base sur les rapports des agences des Nations Unies ou d’autres instances internationales pour affirmer que Maurice ne s’en sort pas si mal sur le plan social. Un succès qu’il attribue en grande partie au ‘welfare state’ et fait référence au fait que les Mauriciens jouissent d’une couverture sociale importante. Par exemple, la pension de vieillesse, l’éducation gratuite jusqu’au tertiaire, le système de santé gratuite, les allocations sociales etc. Il affirme qu’à Maurice, il y a une expansion du système social alors que même les  pays scandinaves, traditionnellement perçus comme étant le berceau de l’État providence, commencent à rétrécir le leur.

Toutefois, Jocelyn Chan Low aborde ensuite le revers de la médaille : « Il y a d’importantes poches de pauvreté dans les différentes couches sociales », affirme-t-il. Un problème grandement aggravé par les fléaux sociaux tels que la drogue synthétique.

Sans ambages, il affirme qu’il y a une  crise sociale à Maurice. « D’un côté, nous avions notre système traditionnel de valeurs qui a disparu. Or, de nouveaux systèmes de valeurs n’ont pas encore fait leur apparition. Ce gouffre crée beaucoup de tension et de problèmes au niveau social. La société actuelle ne sait pas très bien dans quelle direction où elle veut aller, et quelles valeurs transmettre aux générations futures. »

Il conclut : « Maurice s’est développé trop vite et les valeurs d’antan ont disparu. Nous sommes exposés aux fléaux sociaux grâce à la mondialisation. Il y a bien une crise sociale. »

Il plaide pour une professionnalisation du système d’aide sociale, que ce soit du côté du gouvernement ou des ONG : « C’est un secteur où il faudrait impérativement plus de professionnalisme si nous voulons faire reculer les fléaux sociaux. »