50 % d’échecs pour le deuxième trimestre : « Une situation alarmante », selon les pédagogues

Les résultats du deuxième trimestre, tous collèges et grades confondus, ont provoqué la stupeur en décembre. 50 % d’échec, c’est l’estimation des parties prenantes du secteur de l’éducation. Un chiffre alarmant alors qu’il reste à peine trois mois pour les examens finals. Comment expliquer une telle baisse ? Faut-il voir là uniquement une retombée du confinement ? Car il faut savoir qu’avant le confinement, les résultats n’étaient déjà pas fameux, et cela alors qu’il y avait un nivellement vers le bas pour rendre les choses plus faciles pour les élèves. Dans le fond aussi, il faudrait revoir tout le système éducatif dans son ensemble, soutiennent les pédagogues, et faire en sorte à ce que l’élève mauricien soit plus autonome sur le plan académique.

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Les classes en ligne ont-elles fait long feu ?

Les choses vont mal dans le secteur de l’éducation. Le taux d’échec est alarmant alors que les examens sont déjà derrière nous. Durant le confinement, le ministère de l’Éducation avait mis en place un système de classes en ligne, où les collégiens suivaient les cours de leurs enseignants sur des plateformes telles que Zoom, ou bien par des courriels, ou même à travers des groupes chats sur WhatsApp. Mais il semble que ce système n’ait pas porté ses fruits, vu que ni les enseignants ni les élèves n’étaient préparés à un tel système.

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Quelle sont les causes derrière ce taux d’échec ?

Faizal JeeroobarkhanFaizal Jeeroobarkhan : « Il ne faut pas mettre les causes de ces échecs sur le dos de la pandémie »

Le pédagogue Faizal Jeeroobarkhan, de Think Mauritius, tient à mettre les points sur les ‘i’. Selon lui, « Il ne faut pas mettre les causes de ces échecs sur le dos de la pandémie ».

Le niveau des élèves avait déjà connu une baisse avant le confinement, soutient-il. « Le taux d’échec avait déjà pris l’ascenseur », explique-t-il.

D’ailleurs, pour contrecarrer cela, des efforts avaient été faits pour baisser le niveau des questionnaires. En ce qui concerne le programme scolaire, il semblerait qu’un allègement allait être proposé sous prétexte que le curriculum était surchargé. Chose que le pédagogue trouve inacceptable car à la longue, ce sont des changements qui vont avoir un effet « boomerang ».

Il revient sur la mise sur pied des classes en ligne pendant le confinement. « La pandémie nous a pris par surprise, alors que le système éducatif, les enseignants et même les élèves n’étaient pas préparés pour faire face à une telle situation », dit-il. De ce fait, dans l’urgence, le ministère a mis en place un système de classes en ligne. Or, ce système a été mis sur pied sans préparation, que ce soit du point de vue des écoles, des enseignants, des parents, et des enfants. En ce qui concerne ces derniers, beaucoup n’avaient pas les ressources nécessaires pour les classes en ligne. En gros, un système que Faizal Jeeroobarkhan qualifie de « bancal »  où « l’amateurisme »  primait. Cela a naturellement eu un effet négatif sur les résultats.

Abordant ensuite le taux de 50 % d’échecs, il devait affirmer : « En vérité, il y a beaucoup plus de 50 % qui ont échoué, ce qui est une situation très grave ».

Selon lui, un autre facteur qui a pu contribuer à ce taux d’échec : le deuxième trimestre a été échelonné sur une période de 20 semaines, ce qui fait qu’au bout d’un certain temps, les élèves se sentent « relâchés ».

Là où le bât blesse : ce sont des décisions prises malheureusement sans aucune consultation avec les acteurs concernés, tels que les représentants syndicaux des enseignants, les pédagogues, voire les psychologues, entres autres.

 

Dharam Gokhool : « Un nivellement vers le bas dans notre système éducatif »

Dharam GokhoolL’ancien ministre de l’Éducation, Dharam Gokhool, rejoint le pédagogue Jeeroobarkhan dans ses dires, à l’effet que les élèves, les enseignants et les écoles ne sont pas habitués avec les classes en ligne comme mode pédagogique. Cela avait donc constitué un grand changement pour les enfants, qui avaient l’habitude d’être constamment en contact physique avec leurs enseignants. « Il y a des choses que les ‘policymakers’ auraient dû prendre en considération avant de mettre un quelconque système en place », dit-il.

L’ancien ministre tient à préciser que quand on parle de 50 % d’échecs, il ne faut absolument pas oublier que les 50 % de ‘pass’ incluent beaucoup de ‘pass’ « borderline ».

La cause de la détérioration des performances, selon l’ancien ministre, « C’est un nivellement vers le bas dans notre système éducatif ». Selon lui, « On doit regarder la qualité, et non pas la quantité ».

Michael Atchia : « C’est une combinaison de causes »

Michael AtchiaLe pédagogue Michael Atchia estime lui qu’une combinaison de plusieurs facteurs a fait que les résultats du deuxième trimestre ont connu une telle détérioration. D’abord, il y a eu la covid-19. Mais il tient aussi à souligner que les enfants de nos jours ne savent pas comment apprendre par eux-mêmes, ce qui fait que les élèves se sentent perdus en faisant leurs études.

 

 

De plus, ce dernier raconte qu’il a été témoin d’une baisse majeure de performance dans un collège, où dans une année, le pourcentage de ‘pass’ a dégringolé de 50 % pour atterrir à 11 %. La cause, selon lui, c’est que le manager, les enseignants, ainsi que les élèves ne fournissent pas les efforts requis. « Il y a un manque d’assiduité. C’est peut-être aussi le cas dans les autres collège, où un manque d’organisation est à la base de tout ceci », explique-t-il.

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Un rattrapage est-il possible ?

« Nous sommes dans une situation d’urgence », dit d’emblée Faizal Jeeroobarkhan. Que peut-on faire pour remédier à cela ? Il serait difficile d’apporter de grands changements alors que le temps fait défaut, nous dit-il. À court terme, on peut toujours voir comment on pourrait mettre les bouchées doubles pour essayer de remonter la pente.

« Pour commencer, les écoles, ainsi que le ministère, doivent prendre les choses au sérieux même s’il faut étendre les classes, ou organiser des séances de rattrapage pour essayer d’augmenter le nombre de ‘pass’. Et surtout, il faut avoir un système de ‘monitoring’ dans les écoles, ce qui n’existe pas maintenant », suggère-t-il.

Un avis que partage aussi Dharam Gokhool. Il ne croit pas que les choses peuvent connaître beaucoup de changements, car notre système éducatif est divisé en stages et si un enfant a des difficultés dans un stage quelconque, cela va affecter les autres stages qui suivent.

Un avis que ne partage pas Michael Atchia, qui pense que les choses commencent normalement et qu’il y a assez de temps pour permettre aux élèves de se rattraper.

Armoogum Parsuramen : « Un constat accablant »

Armoogum-parsuramenArmoogum Parsuramen, ancien ministre de l’Education, affirme lui aussi que le constat est accablant même si le Mauritius Examinations Syndicate (MES) n’a pas encore fourni de chiffres exacts. Il précise ainsi que ce sont principalement les écoles et les enseignants qui sont venus avec ce constat désolant.

 

Il nous confie aussi l’inquiétude des enseignants car si les questionnaires du deuxième trimestre sont préparés par eux-mêmes, tel ne sera pas le cas pour le troisième trimestre, dont les questionnaires seront préparés par Cambridge.

En ce qui concerne les causes de cette chute dans les performances des élèves, Armoogum Parsuramen est sur la même longueur d’ondes que Dharam Gokhool et Faizal Jeeroobarkhan. « Il y a le fait que certains enfants n’ont pas eu les moyens de suivre les classes en ligne durant le confinement. En outre, certains enfants n’ont pas la capacité académique pour étudier à la maison », explique-t-il.

Hors-texte 

Pour un changement de système d’éducation à Maurice

Il existe toutefois une catégorie d’enfants qui n’ont pas besoin de classes de rattrapage, car ces derniers sont déjà fortement motivés. Souvent issus des ‘star schools’, ils savent apprendre par eux-mêmes. Ou bien, ils viennent d’un milieu où ils sont encouragés par leurs parents, qui ont soit les moyens ou qui sont des enseignants eux-mêmes.

Il est ainsi malheureux de constater que dans les écoles, les élèves, dans leur grande majorité, sont souvent démotivés, y compris parfois par leurs enseignants eux-mêmes.

Idem pour le système « traditionnel » des examens, qui peut décourager certains enfants.

Dans ce contexte, le pédagogue Faizal Jeeroobarkhan dénonce le système d’éducation actuel, et demande à ce qu’il soit revu. « Par exemple, il faudrait faire provision pour des situations telles que les pandémies », explique-t-il.

Il faut dans le système d’éducation montre aux enfants comment apprendre, c’est-à-dire « apran kuma apran ». Par exemple, il faudrait leur montrer comment effectuer des recherches. « Ces changements seront nécessaires pour le long terme », avertit-il.