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À la reprise du troisième trimestre, beaucoup ont été choqués par le taux d’échecs  (environ 50 %) pour les examens du deuxième trimestre. Dans notre première édition de 2021, nous avions consacré notre rubrique ‘Dossier’ sur les causes de cet échec. On avait  mis en avant le confinement, les classes en ligne dysfonctionnelles et un nivellement vers le bas du programme scolaire, qui avaient aggravé un niveau de réussite déjà alarmant. On avait aussi mis l’emphase sur le fait que les élèves mauriciens devraient être plus autonomes. Pour ce dossier, nous nous plongeons un peu plus sur les mœurs des élèves de la nouvelle génération, de leurs parents, et d’autres facteurs qui expliqueraient qu’une bonne partie est encore à la traîne.

 Le constat est alarmant. Que faut-il donc faire pour freiner la chute en ce qui concerne la performance des élèves à l’avenir ? Selon beaucoup d’acteurs du système éducatif, les résultats des élèves avaient connu une baisse, cela bien avant le confinement. Donc, il semble logique qu’il y ait d’autres facteurs, autre que l’impact de la pandémie de covid-19, qui sont à blâmer pour cet état des choses.

Depuis maintenant des années, les parents et les enseignants, entre autres, ont été témoins d’un changement dans le comportement des jeunes. On parle même de génération 2.0, terme puisé de l’informatique, qui désigne la génération qui est née et qui a grandi avec les réseaux sociaux.

On ne vous apprendra rien en vous disant que les jeunes Mauriciens ont vite emboité le pas aux jeunes des pays occidentaux, en ce qui concerne les  nouvelles technologies. Or, on peut voir là un facteur majeur qui a contribué à cette baisse de performance des enfants, et non seulement  la pandémie et les problèmes inhérents au système éducatif.

L’ancien recteur du collège Dr. Maurice Curée, Soondress Sawmynaden, nous explique qu’à une certaine époque, les enfants n’avaient pas autant de facilités comme les jeunes d’aujourd’hui. Par exemple, les enfants de quelques décennies de cela devaient travailler pour avoir ce dont avaient besoin, et à cette époque, malgré que les parents travaillaient dur eux-aussi, s’assuraient néanmoins que leurs enfants étudiaient comme il le fallait. Les familles étendues, qui comprenaient aussi les grands-parents, encourageaient mieux les enfants à apprendre. Hélas, ce sont maintenant des mœurs révolues…

 

La génération 2.0 : Une addiction à la technologie

Photo D'illustrationLa génération 2.0 désigne la génération qui est née et qui a grandi avec les réseaux sociaux. Portables dernier cri, applis, et réseaux sociaux, entre autres, sont les apanages de cette génération.

« Le sacré portable ! Un vrai bijou, mais s’il n’est pas utilisé à bon escient, bonjour la catastrophe ! Peut-être que les parents devraient de temps en temps vérifier le contenu du portable de leur enfant, et aussi contrôler son utilisation. Même l’ordinateur doit être placé dans un lieu où les parents peuvent voir si les enfants travaillent réellement ou pas », nous fait comprendre Vishal Singh Balluck, un enseignant des langues comptant une quinzaine d’années d’expérience dans un collège des Plaines-Wilhems

Yasminabhai Vallijee, une enseignante dans le primaire depuis 20 ans déjà, déplore, quant à elle, le fait que les enfants utilisent leur téléphone en classe au lieu de suivre les explications. Selon elle, l’école devrait appliquer les règlements plus sévèrement afin de mettre fin à ce genre de comportement en classe.

Soondress Sawmynaden note qu’avec le temps, il y a eu la télévision et ensuite, de nouvelles technologies ont fait leur apparition, et beaucoup d’enfants perdent beaucoup de leur temps précieux devant la télé ou sur les réseaux sociaux. Dans ce côté il y a un manque de contrôle de la part des parents.

Karishma (prénom fictif), mère de deux enfants, dont une fille de 25 ans et un fils de 18 ans, se sent quelque peu perdue face à la nouvelle génération. « Ma fille a eu son premier téléphone à l’âge de 17 ans tandis que mon fils  a eu le sien depuis le CPE », dit-elle.

Aujourd’hui, elle voit ses deux enfants qui restent scotchés sur leurs téléphones, surtout son fils de 18 ans, qui y reste scotché 24/7. « Si ce n’est pas pour jouer, c’est pour surfer sur YouTube ou passer des appels vidéos sur WhatsApp, mais il a rarement un livre entre les mains », se désole cette mère de famille.

 

La négligence parentale : une vérité blessante

Photo D'illustrationEn ce qui concerne les parents, Vishal Singh Balluck se demande combien de parents vérifient si leurs enfants ont fait leurs devoirs et s’ils comprennent ce qu’ils apprennent. « Le suivi à la maison est essentiel », nous dit l’enseignant. « Il faut que l’enfant sente qu’il est pris en charge, sur le plan éducatif, par les parents aussi », souligne-t-il.

Beaucoup d’élèves, malheureusement, sont issus des familles brisées, et d’autres, des familles où il y a beaucoup de conflits. « C’est triste, mais les chefs de famille doivent se ressaisir pour que les études de leurs enfants ne soient pas affectées », nous dit l’enseignant.

Yasminabhai Vallijee nous explique pour sa part qu’il y a certains parents qui sont bel et bien au courant que leurs enfants, depuis les petites classes, sont des « slow learners ». De ce fait, ces enfants ont besoin d’approches différentes. Si besoin est, ils doivent être admis dans des écoles spécialisées, mais les parents ont peur du qu’en dira-t-on. « Il ne faut pas avoir honte, mais il faudrait savoir plutôt respecter la différence qu’il y a parmi les enfants », affirme-t-elle.

En choisissant le bon établissement pour son enfant, ce dernier va se sentir mieux, dans un milieu qui lui convient, ce qui va l’aider grandement pendant les six années du primaire et par la suite, pour son admission au secondaire.

Pour cette enseignante, « C’est une vérité qui blesse mais il y a beaucoup de négligence parentale ». Cette dernière met l’emphase sur le fait que beaucoup de parents sont eux-mêmes accros aux réseaux sociaux et aux applications telles que TikTok. Or, selon elle, les parents doivent mettre du temps de côté pour leurs enfants, et cela tous les jours. « Prier, manger ou boire sont des obligations pour lesquelles on doit trouver du temps. De même, les parents doivent considérer que consacrer du temps à leurs enfants est aussi une obligation. »

L’enseignante déplore aussi le fait que les parents qui ont les moyens paient des leçons particulières à leurs enfants, et cela depuis un très jeune âge, et à un moment, le cerveau de ces enfants est saturé. « Il faut que les parents comprennent que l’éducation n’est pas une punition, ni une sentence ! De ce fait, les enfants doivent avoir des loisirs, à part leurs études », nous fait comprendre l’enseignante.

 

Le manque de communication au sein de la famille

L’ancien recteur du collège Dr Maurice Curée prend un exemple pour décrier le manque de communication, exemple auquel on a tous été témoins.

Quand la famille au complet allait au restaurant, il y avait une certaine communication, ce qui n’est plus le cas maintenant. En effet, on peut voir chaque membre de la famille prendre place à table, tout en restant accroché à son portable.

« On est d’accord que le pays a évolué mais on ne fait pas bon usage de la technologie », se désole Soondress Sawmynaden.

Il y a également le fait que les familles dites nucléaires comportent moins de personnes. Mais même en ce qui concerne les familles étendues, il y a un manque de communication entre les grands-parents et les enfants.

De ce fait, les seuls compagnons des enfants demeurent leurs portables, leurs ordinateurs, leurs téléviseurs, leurs consoles de  jeux, entre autres.

 

La lecture : Une culture qui s’estompe

Photo D'illustrationVishal Singh Balluck note que tout d’abord, la culture de la lecture traditionnelle, impliquant les livres, est en train de disparaître. « Les enfants lisent autrement de nos jours, mais lisent-ils ce qu’il faut lire ? », se demande-t-il.

Les enfants dans le passé lisaient beaucoup, explique Karishma  « Ma fille le fait toujours à l’âge de 25 ans, mais mon fils est différent. Il visualise beaucoup de vidéos en anglais ou français, et pense pouvoir améliorer son niveau en langues, mais ce n’est de cette manière qu’on améliore son vocabulaire en français ou en anglais. C’est plutôt en faisant de la lecture », dit-elle.

 

Le ‘bullying’ à l’école : un phénomène perturbateur qu’il ne faut pas prendre à la légère

Photo D'illustrationLe ‘bullying’ est un phénomène qui a fait son apparition dans les établissements scolaires depuis un certain temps. De plus en plus, on peut voir que les cas de ‘bullying’ s’empirent que se soit dans le primaire ou le secondaire.

Yasminabhai Vallijee estime que le ‘’bullying’ dans les écoles fait que certains enfants n’arrivent pas à se concentrer dans leurs études, ce qui fait qu’ils travaillent mal pour les examens.

Karishma dit avoir remarqué une grande différence dans la façon dont ses deux enfants ont grandi et agissent. À 16 ans, sa fille avait été victime de harcèlement de la part de ses camarades de classes : « Cela avait eu un impact majeur sur la vie de ma fille. Étant jeune, elle souffrait de l’acné. C’est la raison pour laquelle elle était harcelée. Elle se plaignait souvent en me disant qu’elle ne voulait plus aller à l’école. En tant que mère, j’ai dû parler avec ses amies qui, un beau jour, ont mis fin à leur petit jeu. »

Contrairement à sa fille, elle n’a jamais eu ce genre de problèmes avec son fils.

La ‘peer pressure’ : l’influence néfaste des amis

Certains élèves, même s’ils n’ont pas vraiment de problèmes, adoptent une attitude négative envers leurs études qui ne sont plus leur priorité, se désole Vishal Singh Balluck. Il fait aussi ressortir « l’influence des amis, et la tendance à ‘mette nissa’ ».

Il est rejoint dans son avis par Yasminabhai Vallijee, qui note que l’influence joue un grand rôle dans la vie des enfants.

Karishma explique qu’elle a archi parlé avec ses deux enfants, en ce qui concerne les amis qu’ils fréquentent. « En tant que parents, nous savons instinctivement quand certains amis ne sont pas des amis corrects. Mais les enfants persistent, pensant que nous, en tant que parents, mettons des restrictions sur la façon dont ils veulent vivre leur vie. »

 

Que proposent nos interlocuteurs ?

Ce problème concerne tout le pays, explique Yasminabhai Vallijee. Cette dernière dit que les étudiants peuvent utiliser la technologie à bon escient, surtout pour apprendre, car ils peuvent avoir beaucoup d’information sur Internet. Elle est rejointe dans ses propos par Soondress Sawmynaden.

Ce dernier explique aussi que de nos jours, il y a beaucoup de familles brisées, où les parents se disputent. « Grosso modo, il y a des enfants qui vivent et qui grandissent dans des situations difficiles, ce qui peut contribuer au nombre d’élèves qui échouent », dit-il. Il préconise donc de diminuer le nombre d’étudiants par salle de classe, de 40 élèves à 20 environ, ce qui fait que les enseignants auraient plus de temps à accorder à chaque élève individuellement.

D’un autre côté, comme préconisé dans le rapport du juge Paul Lam Shang Leen sur le trafic de drogue, chaque école devrait avoir un psychologue. Car les jeunes d’aujourd’hui ne font pas face aux mêmes problèmes auxquels faisaient face les élèves dans le passé. En diminuant le nombre d’élèves, et avec un meilleur suivi des enseignants, cette politique pourra porter ses fruits.

Finalement, les apprenants doivent savoir à quoi s’exposer et, si tout le monde – profs, élèves, parents, autorités – mettent la main à la pâte, les choses pourront éventuellement changer, nous fait comprendre Vishal Singh Balluck.

Hors-texte

Un effet domino néfaste pour tout le système éducatif ?

Les examens du National Certificate of Education (NCE) auront lieu pour les élèves de grade 9 en mars 2021, ce qui va orienter ces derniers vers les académies. Après les résultats décevants de décembre 2020, concernant tout le système éducatif, que pouvons-nous espérer pour ces examens ?

Soondress Sawmynaden a tenu à faire le point sur ces examens. Il y a d’abord un manque de préparation, note-t-il d’emblée. « Si cela continue jusqu’aux examens, nous nous dirigeons vers une situation chaotique », avertit-il.

Si on prend en considération les résultats du deuxième trimestre, sachant que la majorité de ses élèves ont mal travaillé en mathématiques, pour les examens de NCE, il est donc obligatoire de passer dans les mathématiques, l’anglais, ainsi que le français. « Ce qui fait que beaucoup enfants sont en voie de redoubler le grade 9. De l’autre côté, il faut 5 ‘credits’ pour poursuivre en HSC. Je crains fort que très peu d’élèves pourront faire le HSC dans les années qui suivent, baisse qui se reflétera aussi dans le nombre d’étudiants qui vont poursuivre leurs études tertiaires », estime Soondress Sawmynaden.

Il est temps que le ministère prête une oreille attentive à ce que disent les acteurs de ce secteur…

Sondage Afrobarometer de 2021

Plusieurs facteurs causent une baisse continuelle dans le taux de réussite

Le sondage Afrobarometer de 2021, qui avait sondé 1 200 Mauriciens (adultes) en novembre 2020, fait état d’une baisse continuelle dans le taux de réussite en ce qui concerne les examens du School Certificate durant ces dernières années. Si en 2005, le taux de réussite était de 79 %, il n’était plus que de 71 % en 2019.

Le sondage note que sur les 18 659 élèves qui avaient pris part aux examens du SC en 2019, seulement 5 518 élèves avaient été promus en HSC, vu que c’est seulement ce nombre restreint d’élèves qui ont pu satisfaire le critère de 5 credits requis pour monter en HSC.

Mais cette chute ne va pas s’arrêter là. En 2020, il y a eu le confinement et le chamboulement du système éducatif. Puis étaient venus les résultats de second trimestre, qui avaient provoqué la stupeur : 50 % des élèves avaient échoué.

Sur les 1 200 Mauriciens sondés par Afrobarometer, 24 % des citoyens attribuent cet échec aux enseignants, qui selon eux, ne travaillent pas au niveau requis. 23 % des sondés pensent que cela est dû à la politique du gouvernement de promouvoir les élèves automatiquement, alors qu’ils n’ont pas atteint le niveau académique requis. 21 % des Mauriciens pensent que le programme scolaire n’est pas adéquat pour préparer les étudiants pour les examens, et que les parents ne motivent pas suffisamment leurs enfants pour apprendre.

Afrobarometer est un réseau qui effectue des recherches et des sondages sur la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques  et d’autres sujets connexes en Afrique. Il est représenté à Maurice par StraConsult Ltd.

Neevedita Nundowah